Pierre Schoeller: «Je voulais revenir aux fondements de notre démocratie»

Parler de la Révolution française non plus à travers les grandes figures historiques qui l’ont théorisée mais à travers le peuple qui l’a rendue possible : voilà le défi que s’est lancé Pierre Schoeller. Une manière pour le réalisateur français de poursuivre ses recherches autour du pouvoir, qui anime ses films depuis Versaille et L’Exercice de l’Etat. [scald=24362441:sdl_editor_representation] Avec ce film, vous choisissez de prendre le peuple comme fil rouge. Le peuple est le point de vue. C’est une manière de percevoir, d’éprouver les événements. Le personnage de Gaspard Ulliel (qui appartient au peuple, NDLR) est celui qui change le plus. Comme un papillon qui se métamorphose à travers la Révolution, avec l’idée que la Révolution produit un être. Comme l’Union soviétique a produit l’Homme soviétique, la Révolution a produit la figure du « sans-culotte », la libération d’un être et la construction d’une identité. C’est un défi de faire exister le peuple au cinéma. Je voulais montrer toutes les générations et que la Révolution ne soit pas capturée par quelques grandes figures comme Marat, Robespierre… Que la Révolution soit une leçon de grandes figures. Qu’est-ce qui vous a mené à ce point de vue ? Le peuple est toujours le grand absent de l’histoire officielle. Il est toujours perçu comme émeutier, violent, enfant, manipulé. En fait, je me suis beaucoup basé sur des recherches historiques récentes qui travaillent sur les émotions, à la fois des députés mais aussi de toute la nation. C’est là qu’on s’aperçoit que les années de Révolution commencent dès 88. Que c’est le pays entier qui entre en questionnement. Personne ne pouvait échapper au cataclysme de la fuite du roi. C’est comme si Poutine partait. On n’avait jamais vu le lit du roi vide. J’ai essayé de construire l’écriture autour d’un moment d’incertitude, où on ne sait pas de quoi demain sera fait. Aujourd’hui, d’une certaine manière, on est aussi dans un temps historique ouvert. Il y a plus d’incertitudes que dans les années 1970. La question du pouvoir est centrale dans vos films… L’exercice de l’État évoquait déjà ces questions de pouvoir, de relation au pouvoir, d’impuissance politique. On était au cœur de ça, dans un ministère, avec un personnage principal comme un thriller. Avec Un peuple et son roi, je voulais revenir aux fondements de ce pouvoir. Pour moi, la fondation de ce que l’on est se situe dans la Révolution. L’opinion politique naît officiellement en 1789 avec les journaux, les débats à l’Assemblée… « Un peuple et son roi » est un film choral qui réunit un grand nombre de personnages. Comment avez-vous décidé de vous concentrer sur certains plus que d’autres ? Il y avait à la fois les personnages de chaque moment, avec les figures historiques, puis une espèce de feuilleton avec les personnages du peuple, avec un côté plus romanesque où on voit comment les événements transforment les êtres. Je voulais aussi insister sur le point de vue des femmes et des jeunes femmes. Les femmes prennent part à la Révolution mais au bout du compte, on garde généralement en tête une figure, un leader, et c’est souvent un homme. Est-ce qu’il existe des informations sur le rôle des femmes dans la Révolution française ? Ça a été très étudié. Il y a des discussions entre historiennes pour savoir s’il y avait par exemple une dimension féministe dans la Révolution française. Si le terme citoyenne avait une valeur aussi forte que celui de citoyen. Il n’y a pas de consensus sur la question. Ce qui est par contre sûr, c’est que les femmes sont présentes, parlent et interviennent. On le voit par exemple dans des documents d’archives de l’Assemblée. Elles participent aux débats, les écoutent. Les débats étaient publics et il y avait autant de femmes que d’hommes présents. Il y a une égalité de pensée et de poids politique.

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