Patrick Timsit au «Soir»: «Je prépare mon dernier tour de piste»

Il arrive à la rédaction du Soir précédé par sa voix un peu cassée d’arsouille. Patrick Timsit est en toute grande forme. Avant de se mettre en appétit et de revisiter quelques thèmes de l’actu, il plaisante. Et soutient, mordicus, qu’il va faire ses adieux au stand-up. Faut-il le croire ? Il s’en explique ci-dessous. Non sans s’être emballé pour Le livre de ma mère, le texte sublime d’Albert Cohen, qu’il vient porter à la scène belge, en octobre (Mons, Namur), puis en janvier (Uccle). On n’attendait pas forcément ce clown grinçant et hilare dans un répertoire lyrique. Il s’y montre pourtant redoutable. Et soulève les ovations de soir en soir. Tout ne fut pourtant pas toujours aussi simple avec le grand public, nous explique Timsit, qui se souvient de ses débuts parfois laborieux. « J’ai commencé par vider les salles. J’ai fait Lyon dans une salle de 200 places. Et de 200 je suis très vite passé à 7. On s’est rendu compte que ce n’était pas mon public. C’était un café-théâtre, les gens venaient un peu par habitude. Ça s’engueulait à la sortie. J’ai fait alors une rencontre, avec un metteur en scène, Jacques Descombes. Je lui ai dit que je ne comprenais pas ce qui ne marchait pas. Il m’a dit : “Oui, mais à la fois, tu dis après 17 minutes de spectacle : mère Teresa a le feu au cul… Tu ne t’es même pas présenté.” Et il avait raison. Il faut d’abord partir d’une base, installer les choses. On a réécrit, remonté. Un an après, je faisais la Bourse du travail avec 2.000 personnes. » Vous vous dites parfois que vous allez trop loin ? Ça m’arrive, oui. Quand j’ai été trop loin, je l’enlève du texte, en général. À chaque fois que j’ai voulu épingler une personne pour de mauvaises raisons, ça n’a pas marché. Passer en force, avec l’intention de choquer, ça ne marche pas, chez moi. Je pars, à la base, d’un sujet. Quand j’allume Arthur, en fait je parle d’un sujet, l’exil fiscal. Je n’ai aucune envie de fracasser Arthur. Il illustre mon propos. Idem au sujet de Sarkozy, que j’ai allumé mais en ciblant surtout la droite décomplexée. Si vous étiez en stand-up aujourd’hui, feriez-vous des vannes sur #Metoo ? Si j’abordais le sujet, avec mon décalage, je m’intéresserais aux gros lourdauds. Aux mecs odieux partout, au travail y compris. À New York, il y a un taux incroyable de femmes célibataires de 40 ans, et les hommes n’osent plus les approcher. Ça me rappelle un sketch que j’avais fait : pour prendre un rendez-vous avec une femme, il faut bien s’exprimer, prévenir que vous avez peut-être l’intention de coucher avec elle. Définir le contrat. Faire intervenir vos avocats. Vous aurez droit à un rapport sexuel de 26 allers-retours, dont quatre rapides. C’est devenu extrêmement compliqué. Aujourd’hui on se protège. Il ne vous arrive rien de mal. Mais il ne vous arrive rien de bien. Il ne vous arrive rien. Vous allez avoir une vie un peu bof, quoi. [scald=24529701:sdl_editor_representation] Comment consommez-vous les infos ? Quel est votre rapport à l’actualité ? Je lis des journaux. J’aime le papier. Même les scénarios, je les lis sur papier. Je mets un temps fou à lire, ceci dit. En ce moment je suis sur Sapiens (de Yuval Noah Harari, NDLR). Je crois qu’à 90 ans, je serai encore dessus. J’ai besoin d’apprendre. Et je veux retenir ce que j’apprends. Comme ce souvenir d’Aznavour. Un soir, il chante La Mamma, il s’arrête, il rechante, il s’arrête à nouveau, il reprend encore, s’arrête encore… et à la quatrième fois, il lâche au public : « Je dois vous chanter la Mamma… et c’est moi qui l’assassine depuis dix minutes ». C’est extraordinaire. On entend « La Mamma », dans votre spectacle actuel, « Le livre de ma mère »… Oui, avec lui, ça a été des rencontres. J’ai même eu la chance de chanter avec lui, en duo. Mais j’ai chanté aussi avec Lili Boniche, rendez-vous compte. Pour ses 80 ans, Aznavour voulait que je chante « Je suis un homo comme ils disent ». C’était peu après Pédale douce. À la fin de la chanson, Daniela Lumbroso m’a demandé ce que j’avais envie de dire à Aznavour. J’ai dit : « Merci, Charles. » Mais oui ! Imaginez : je suis en voiture, je raccompagne une jeune femme, je lui mets du Aznavour, elle me regarde comme si j’avais un charme pas possible. Or, c’est Aznavour qui faisait le boulot. On disait de lui qu’il était cynique. Je pense que non, c’était un homme drôle, mais il avait une observation sur le cynisme de la vie et des gens. On lui a attribué quelque chose qu’il observait. Il savait, comme Albert Cohen, que la vie est une farce. [scald=24529700:sdl_editor_representation] Aznavour, Albert Cohen, vous… Tous venus d’ailleurs. Y a-t-il une solidarité entre enfants de l’immigration ? Il y a une reconnaissance des moments qu’on a vécus et connus. On n’oublie pas l’accueil qu’on nous fait. Quand on a tout perdu et qu’on arrive d’ailleurs, on se demande, « Qu’est-ce qu’il vient foutre chez nous ? » Chirac parla jadis du bruit et de l’odeur, aujourd’hui on dirait peut-être la musique et la bouffe. Des choses qui vous parlent parce que vous êtes loin de tout. Albert Cohen était loin de sa Grèce. Moi loin de l’Algérie. Il faut bien comprendre ça. Ceci dit, moi j’ai trouvé en arrivant des personnes formidables, qui vous ouvrent leurs bras. Il ne faut pas oublier les héros de la vie. Aujourd’hui, il y a des gens qui disent, quand on parle des migrants, « Ah, je ferais bien du Samu social ». Oui, pourquoi pas. Mais vous pouvez commencer par arrêter votre voiture à chaque fois que vous voyez quelqu’un par terre, et vous faites du Samu social tout seul. Vous leur proposez une soupe, vous y allez doucement. Il y a un langage des mains. Il y a une façon. En tout cas, il faut aujourd’hui essayer de répondre à ces appels. À New York, on cultive des potagers sur des toits. Pourquoi nos SDF n’iraient pas cultiver ces potagers sur les toits de nos bâtiments publics, avec l’aide des municipalités ? Ça fonctionne. Et ça redonne de la dignité à des gens qui ont la sensation de ne plus avoir leur place dans la société. Vous verriez-vous, un peu à la façon de votre ami Bruno Gaccio, dans le commentaire politique ? Je l’ai beaucoup charrié là-dessus. Non… moi je suis un porteur d’eau. Je ne suis pas assez bien organisé. Quel regard portez-vous sur la dictature du buzz, qui semble faire la loi dans les médias français ? Dans l’audiovisuel ! C’est d’ailleurs pour ça que je lis encore les journaux. Ils ne peuvent plus simplement donner de l’information. Ils sont obligés d’aller plus dans l’analyse. Le principe du buzz, c’est alimenter. C’est se jeter sur n’importe quoi et être le premier à lâcher un truc. Du coup : moins d’investigation, plus de précipitation. Chez Ardisson, dans le débat avec Zemmour sur les prénoms français, vous seriez intervenu ? Je crois. Mais je ne sais pas ce que j’aurais dit. J’écouterais. Je poserais des questions. Il faut qu’il s’exprime, Zemmour. Il y a plein de gens qui sont d’accord avec lui. Il est brillant dans la communication, bien plus que dans son argumentation. Que lui demanderais-je ? Qu’est-ce qui le choque ? Le prénom lui-même ? Les gens qui portent ce prénom ne peuvent-ils pas habiter la France ? Qu’est-ce qui vous gêne ? Je poserais des questions comme un candide. Quel sera, après « Le livre de ma mère », votre prochain défi ? Je voudrais faire un one-man-show qui sera un dernier tour de piste, à l’Olympia en 2020. Ça s’appellerait « Adieu peut-être, merci c’est sûr ». Vous pensez à vos adieux, à 59 ans ?! Mais oui. J’y crois. Je me suis donné plein de raisons. La première, c’est qu’à mon âge, avoir la dernière vanne sur le trou de balle de Mimie Mathy, non. Il est temps d’avoir de la dignité. Je voudrais profiter de ce dernier salut. D’être vraiment là et de se dire au revoir en se disant « On se reverra mais pas comme ça ». Ça fait près de trente ans que je fais du stand-up. Je n’ai pas vu le temps passer, et là, je regarde ma montre.

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