« Oscar Wilde se voyait comme le Christ »

En mai 1897, Oscar Wilde sort de deux ans de travaux forcés pour « grave immoralité » c'est-à-dire, dans cette époque victorienne, pour homosexualité. Ruiné, renié et brisé, celui qui était encore quelques années auparavant adulé par le tout Londres pour sa prose et ses bons mots se retrouve à Paris dans le dénuement le plus complet. Ce sont ces dernières années que Rupert Everett met en scène dans The Happy Prince, son premier film en tant que réalisateur pour lequel il campe aussi, et de façon magistrale, Oscar Wilde. [scald=24545601:sdl_editor_representation] Quelle relation entretenez-vous avec Oscar Wilde ? Quand j'étais petit, ma mère me lisait ses histoires pour enfants et en particulier The Happy Prince. C'est quelque chose qui m'a profondément marqué. Après quoi, je m'en suis éloigné jusqu'à ce que j'aie la trentaine et joue dans des pièces d'Oscar Wilde. La première était Le portrait de Dorian Gray et ça a été un succès. Je pense que Wilde et moi nous complétons bien. J'ai compris instantanément comment dire ses textes, qui peuvent aisément tomber dans le ridicule si on force un peu la diction. Par contre, si on garde une simplicité, ils deviennent modernes et efficaces. Cela m'a poussé à jouer dans deux films adaptés de ses pièces. Et puis, aux alentours de 2006, quand ma carrière stagnait, que l'on ne m'offrait plus de rôle, j'ai commencé à écrire des livres et des scénarios dans lesquels je pourrais jouer. Je me suis tourné naturellement vers Oscar Wilde car je savais qu'il était un personnage que je pouvais porter à l'écran. Vous sentez-vous proche de lui ? Je suis très attaché à lui. Il est un personnage historique important pour moi. Si vous êtes gay dans le show business, il est comme une figure christique. D'une certaine façon, il est une inspiration. Il était ce qu'on appelle un dandy, un style qui s'est quelque peu perdu. Qu'est-ce qu'un dandy ? C'est un style très 1800 qui a commencé avec Beau Brummel. Un dandy était quelqu'un qui s'habillait très bien, parlait avec candeur, un type d'homme qui s'occupait beaucoup de son apparence. C'était quelque chose d'inhabituel jusque dans les années 1960, simplement parce que la plupart des gens s'habillaient tous de la même manière, en costume sombre. Les dandys se distinguaient en portant de vêtements flamboyants. Ils étaient comme des paons. Comment joue-t-on Oscar Wilde ? Quelque part, il était un des meilleurs acteurs du monde, toujours en représentation... La plupart des personnages dans ses pièces sont très proches de lui. On le retrouve vraiment partout dans ses écrits. Il a deux aspects : un côté dandy, beau parleur, exquis et puis un côté plus intime, plus sombre. L'Oscar Wilde que j'ai porté à l'écran est un vagabond, presque un hobo. Le dernier vagabond du XIXe siècle. Que sait-on de ses dernières années à Paris ? Tout. Grâce aux lettres qu'il écrivait, on sait ce qu'il faisait chaque jour. C'était assez facile de retracer son parcours lors de ses dernières années. Pourquoi vous êtes-vous concentré sur cette période ? Principalement parce que tous les autres films faits sur lui se concentraient sur d'autres périodes. J'ai essayé de faire quelque chose de différent... Et puis cette période me fascine. Paris est une ville importante pour moi, je me souviens encore quand je l'ai visitée pour la première fois quand j'étais enfant, j'étais émerveillé. Et l'idée de faire un film sur le Paris de 1900 m'a toujours paru très romantique. C'est le Paris de Proust, de Gide, de Wilde... Et cette idée d'une star déchue, se retrouvant seule, sans le sou, dans de vieilles fripes sentant la pisse et la sueur, c'est mon idée du glamour. Je trouve la tragédie de Wilde très glamour. Il y a une lumière dorée dans votre film. La photographie rappelle des tableaux de l'époque, entre ombre et lueur de bougies... J'aime les films en noir et blanc avec beaucoup d'ombres. Pour moi, l'ombre est plus évocatrice que ce goût moderne et digital de tout montrer dans les détails. Trop de lumière tue le mystère. Les ombres, pour moi, sont un ingrédient important pour garder les choses attirantes. Vous aviez une idée précise de ce que vous vouliez faire ? Oui, je n'aurais pas réalisé ce film sans savoir précisément ce que je voulais faire. J'ai été très influencé par les photos de Paris dans le brouillard au début du siècle. Comme je tournais à Bruxelles, j'ai dû trouver un moyen de changer son architecture flamande. Le brouillard et les ombres m'ont permis cela. Il y avait un défi parce que vous devez tourner là où vous avez trouvé de l'argent pour financer le film. C'est-à-dire, dans notre cas, à Bruxelles et en Bavière, deux endroits où Oscar Wilde n'a jamais mis les pieds, ou quasiment. Le film n'est pas un simple biopic, il a un aspect politique évident... Je pense que tous les films sont politiques. Vous êtes d'accord avec cette phrase d'Oscar Wilde : « J'ai mis tout mon génie dans ma vie ; je n'ai mis que mon talent dans mes œuvres. » Pensez-vous que son vrai message est à lire dans sa vie et sa condamnation aux travaux forcés parce qu'il était homosexuel ? C'est effectivement comme ça que je le vois. Je pense qu'Oscar Wilde avait un véritable complexe christique. Qu'il se voyait comme le Christ. Et c'est comme ça que je le perçois aussi. Il s'est laissé crucifier et a atteint l'immortalité de cette façon. Comprenez-vous sa passion pour Bosie, ce jeune aristocrate sans scrupule ? Autant qu'on puisse comprendre la passion des gens. Chaque histoire est propre mais, oui, je pense comprendre pourquoi il est tombé amoureux de lui. C'était un acte de snobisme. Vous devez vous souvenir que Wilde était Irlandais, ce qui équivalait, pour la société londonienne, à être considéré comme un gueux. Pour lui, devenir Anglais, faire partie de la bonne société, devenir intime avec des membres de l'aristocratie, c'était une élévation personnelle, comme atteindre la lumière. Son histoire d'amour avec Bosie, c'est du snobisme. Dans mon film, son véritable amour était Robbie, qui ne l'a jamais laissé tomber mais, par bien des aspects, Oscar Wilde était aveugle. Aveuglé par le succès, par sa passion pour Bosie, il ne voyait que ce qui se passait sous ses yeux. Si vous donnez votre pouvoir à une personne aussi jeune et imbue d'elle-même, c'est autant votre faute. Vous nourrissez la bête... C'est cette passion qui l'a tué ? C'est aussi ce qui l'a rendu immortel. Il y a beaucoup d'écrivains comme Wilde qui ont été complètement oubliés par le temps. C'est sa vie qui l'a gardé si pertinent pour le monde moderne. Dans un sens, oui, Bosie l'a tué, mais dans l'autre, il lui a donné l'immortalité. Wilde n'était pas confiant de son talent d'écrivain ? Son style est très volage. Certains écrits sont superbes, spécialement ses pièces de théâtres. Les dialogues étaient vraiment un art dans lequel il excellait. Concernant Le portrait de Dorian Gray , l'idée est fabuleuse, certaines parties sont splendides et d'autres sont surécrites. Il y a des moments où on a envie de lui dire : « Stop ! Arrête ! C'est trop ! » Aujourd'hui, c'est devenu un écrivain classique, révéré. Est-il une icône gay ? C'est difficile de savoir ce qui fait une icône pour les homosexuels aujourd'hui, beaucoup de monde ne lit plus de livres. Mais pour moi, il est assurément une icône gay, oui. Assumait-il son homosexualité ? Non. Il l'a niée publiquement. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est allé en justice. Il a attaqué le père de Bosie qui l'accusait d'être homosexuel. Il aurait pu ne rien faire, mais il l'a attaqué en justice pour cette déclaration. Il a absolument nié son homosexualité et son histoire est d'autant plus tragique que c'est lui qui a commencé le procès. Même durant les dernières années de sa vie, il gardait une certaine flamboyance... Je ne suis pas sûr que j'utiliserais ce mot. Pour moi, il était vraiment devenu un vagabond sale, perdu, avec des dents pourries... Il gardait un certain style, certes, mais il avait aussi abandonné la partie. Il se laissait complètement aller à sa mort. En fait, il était déjà passé de l'autre côté du miroir.

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