#MeToo: Woody Allen, une carrière à l’arrêt

Cela fait près d’un an que Woody Allen a mis sa carrière en quarantaine. Sorti le 1er décembre aux Etats-Unis, le 31 janvier en Europe (et chez nous), Wonder Wheel , son quarante-huitième long-métrage, s’est soldé par un échec retentissant. Et le film que le cinéaste new yorkais venait de tourner dans la foulée, A rainy day in New York, ne devrait pas sortir, Amazon studios, producteur du film, ayant décidé de ne plus le diffuser. La raison de cet échec commercial, puis de cet abandon artistique ? Elle est liée au déclenchement du mouvement #MeToo ? Qui a pris pour l’une de ses cibles favorites le réalisateur de Manhattan. Sur quoi se basent les accusations visant Woody Allen ? Sur le témoignage d’une partie de la famille d’Allen, qui affirme qu’il aurait abusé de sa fille Dylan lorsque celle-ci avait sept ans. Woody Allen a toujours nié vigoureusement. N’a pas été condamné par la justice, malgré deux enquêtes. Bénéficie du soutien de son fils adoptif, Moses. Le frère de Dylan accuse sa mère d’avoir manipulé cette dernière, afin d’accabler Allen, à qui elle a déclaré la guerre après avoir découvert sa relation avec sa fille adoptive, Soon-Yi, qui était âgée au moment des faits (1992) de 22 ans. Vous suivez ? Ce n’est pas tout. Le cinéaste est depuis le 17 septembre publiquement soutenu par Soon-Yi, qui est entre-temps devenue sa femme. Pour celle-ci, Mia Farrow « a profité du mouvement #MeToo pour afficher Dylan en victime ». Et Woody Allen en bourreau. Moses et Soon-Yi ne se contentent pas de le défendre. Ils chargent Mia Farrow, coupable selon eux de « mauvais traitements psychologiques et physiques » à leur encontre. Ronan Farrow, quant à lui, défend bec et ongles sa mère, « dévouée et aimante ». Ronan Farrow n’est pas n’importe qui : c’est par lui que l’affaire Weinstein a éclaté, suite à son enquête historique, publiée le 5 octobre dernier dans The New Yorker. On le voit : en cette saga familiale digne de Dallas, c’est parole contre parole, et clan contre clan. En somme, rien n’est simple. Sauf à Hollywood, où depuis que le vent a tourné, on ne veut prendre plus aucun risque. Et où le sacrifice de Woody Allen, qui ne pèse ceci dit pas bien lourd dans l’industrie américaine, est un moindre mal. Il n’empêche : le mal est fait. A tort ou à raison, Woody Allen, innocenté par la justice, est coupable, a tranché la rumeur, qui a mis au pas l’industrie du film. Tel l’un de ses héros de pellicule, souvent pris dans des drames cornéliens au détour de comportements pas nets, Woody Allen est donc aujourd’hui… présumé coupable. C’est le parfait accusé. Il paie au prix le plus fort les conséquences de la chasse aux sorciers entamée il y a un an aux lendemains de l’affaire Weinstein. On peut se tromper, mais on a aujourd’hui le sentiment qu’entre la tentation de l’accusation et le danger de l’absolution, la place du doute a été mystérieusement évacuée du débat. Si, dans le mouvement #Metoo, la présomption d’innocence a souvent été bafouée par le tribunal des tweets, c’est qu’il fallait sans doute des boucs émissaires. C’est aujourd’hui tombé sur Woody Allen, black-listé par l’industrie américaine et qui paie peut-être pour les autres. Le temps dira, mais là encore sans certitude, si ce lynchage médiatique qui a abouti à la mort artistique d’un homme, reposait sur des accusations fondées – ce qui serait grave. Ou sur du vent – ce qui serait tragique. Dans son essai à paraître la semaine prochaine chez Gallimard (Nouvelles morales, nouvelles censures), Emmanuel Pierrat tire la sonnette d’alarme. Pour lui, la confusion entre les artistes et leurs œuvres est totale. Elle est surtout extrêmement dommageable, dit-il, en rappelant les fondamentaux : Céline était collabo, Lewis Carroll pédophile, François Villon assassin, Malraux voleur. Cela ne nous a jamais empêchés de lire Le voyage au bout de la nuit, Alice au pays des merveilles, La ballade des pendus ou La condition humaine. Or aujourd’hui, déplore Pierrat, tout se passe comme si les auteurs suspectés d’agressions sexuelles « devaient être sanctionnés dans leur œuvre, à défaut d’être traduit en justice ». Et de citer les exemples de Roman Polanski ou de Jean-Claude Brisseau (condamnés, eux), dont les œuvres ne mériteraient plus d’être programmées. Ou Woody Allen, donc, dont les appels au boycott empêchent aujourd’hui la poursuite de sa carrière. « Ce qui compte en réalité, poursuit Pierrat, c’est de savoir si ces œuvres posent des problèmes par leur contenu, ce qui n’est pas le cas. »

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