Christian Kabasele: «Je ne dois plus traîner si je veux changer de statut chez les Diables»

Watford, nord-ouest de Londres. Le soleil planté au-dessus du centre d’entraînement des Hornets invite le jardinier à siffloter. Assis à la terrasse, trois joueurs (dont Stefano Okaka) prennent leur déjeuner en plaisantant, de tout et de rien. Christian Kabasele, lui, arrive dans le training du club et s’assied à une table de pique-nique en bois pour taper la discussion : pendant plus d’une heure, il se montrera généreux dans les propos et très juste dans l’analyse. Comment vous sentez-vous ? Bien, bien, en plus il fait beau à Londres ! Nous avons bien commencé le championnat, l’équipe est en place, il faut continuer. Cela vous a surpris ? On peut être surpris parce que personne n’attendait Watford dans le top 4 après 6 journées (NDLR : les Hornets sont désormais 6es), on savait qu’il y avait de la qualité dans l’équipe, mais peut-être pas pour se situer aussi haut. Watford peut s’installer, à terme, dans le haut du tableau ? Non, il faut rester réaliste. Le top 6 est toujours quasi connu en Angleterre, il y a des surprises mais si on veut se fixer des objectifs plus élevés que le maintien, c’est la 7e place. Est-ce qu’on voit le meilleur Kabasele en ce moment ? Oui, je pense. J’ai atteint un niveau assez élevé, j’ai acquis pas mal d’expérience en tant que défenseur et j’ai réussi aussi à répondre présent dans les grands matches (Tottenham et Man United), ce qui est le vrai baromètre en Angleterre. Pour le moment, ça s’est bien passé, ce sont les meilleurs matches que j’ai disputés depuis que je suis défenseur. Si vous deviez vous comparer au Kabasele qui a signé à Watford en 2016, quelle serait votre analyse ? Il n’y a pas photo, je ne suis plus le même. Quand j’ai joué mon premier match contre Arsenal, je suis sorti après une heure de jeu, c’était compliqué… Je n’avais pas été bon, tout simplement. Quand un défenseur sort après 60 minutes, ce n’est jamais bon signe. À quel niveau avez-vous progressé ? Je suis plus serein, je suis devenu plus malin, moins fougueux. Parfois, j’avais tendance à trop me jeter, en me disant que même si je me loupais je pourrais rattraper le coup grâce à ma vitesse. Le souci, c’est qu’ici, tout le monde est rapide et costaud. Je dois reconnaître que c’est avec Mazzari, même si je ne jouais pas énormément, que je me suis développé : il m’a appris à devenir un vrai défenseur, à ne plus me fier uniquement à mon instinct. Est-ce que vous pensez encore parfois au fait que vous étiez attaquant il y a 6 ans ? J’y pense tous les jours, parce que j’ai aussi des amis qui jouent au foot : Saglik qui vit une situation difficile à Charleroi, Kasri qui n’a pas de club pour le moment… Je parle tous les jours avec eux et quand je vois où je suis, en venant de nulle part, je mesure la chance que j’ai, alors qu’à la base, j’étais destiné à être un attaquant moyen. Il faut profiter de chaque moment. Avant, à Genk, j’étais fort stressé, il m’arrivait même de ne pas dormir avant des matches ! Mais c’est du foot, cela ne sert à rien de se prendre la tête… Est-ce que vous avez encore des contacts avec Roberto Martinez ? Non, mais ce n’est pas nouveau, je n’ai jamais eu de contact avec lui depuis deux ans. Au moment de réduire la liste à 23 avant la Coupe du monde, vous n’avez pas eu de discussion ? La seule discussion, je l’ai eue quand il m’a annoncé la nouvelle le lundi. Vous vous y attendiez ? Je m’y attendais dans le sens où j’étais un des joueurs en balance, j’étais un des rares à ne pas être sûr d’y aller, il a dû faire un choix et, au final, ils ont disputé une demi-finale de Coupe du monde historique. Vous étiez quand même déçu ? Oui, j’étais déçu mais voilà… Comment avez-vous vécu ça ? On dit que Christian (Benteke) était un peu sonné et en a oublié son passeport à Tubize… Moi aussi (il sourit) ! Il faut dire que tu ne penses pas forcément à ton passeport à ce moment-là. C’est en discutant avec ma femme de nos vacances que je m’en suis rendu compte. J’étais déçu sur le moment même mais après, j’ai vu mon fils et mon épouse et je me suis dit que je n’avais pas le droit de rester triste, il y avait 5 semaines de vacances devant moi, j’avais besoin de me changer les idées. Tu as twitté que tu pensais « avoir un matelas d’avance »… Je pars du principe qu’il y a plus grave que rater une Coupe du monde. Dans ma vie privée, tout se passe bien, je n’ai plus envie de me rendre malade pour du foot. Au début, après une défaite, on ne pouvait pas me parler, ce n’était pas correct. Comment vit-on une Coupe du monde quand on est si proche d’y participer ? On la vit comme un supporter, j’étais un des rares sur mon transat avec mon iPad pour regarder Belgique-Panama. J’étais le premier supporter, j’étais très heureux et fier de voir cette génération obtenir une reconnaissance mondiale. Vous avez gardé contact avec certains Diables durant la compétition ? Non, aucun. Mais j’ai regardé tous les matches de la Belgique. Il y avait du monde chez moi contre le Brésil et les murs ont tremblé, cela reste un match inoubliable, on va en reparler durant des années, tout comme le match du Japon avec ce scénario incroyable. Cela reste des bons souvenirs : même si j’étais le « joueur qui était presque dans le groupe », je ne suis pas négatif par rapport à ça… Beaucoup de gens se sont quand même demandé pourquoi vous n’y étiez pas… Oui, car j’ai réussi à m’imposer en Premier League, pour eux, c’était difficile à comprendre. Le sélectionneur avait des choix à faire, il faut les respecter. C’était juste un peu bizarre car j’ai vécu le début de cette préparation, assisté à tous les meetings. Ne pas partir avec le groupe, c’était un drôle de sentiment… Je suis toujours à 200 %, ce n’est pas parce qu’il y a une Coupe du monde au bout que j’ai surjoué à l’entraînement, j’ai toujours eu le même comportement, la même attitude et Martinez m’en a félicité. Quand le sélectionneur vous dit qu’il n’a rien à vous reprocher mais qu’il a des choix à faire, on ne peut qu’accepter. Que pouvez-vous faire de plus ? Franchement, je ne sais pas… Ce qui est certain, c’est que si j’avais réussi mon test contre le Japon, ça n’aurait pas été pareil. Ce match a quand même bien pesé dans la balance… Pourquoi ? Je n’ai pas été bon, tout simplement. Le plus frustrant, c’est que c’était mon plus mauvais match de l’année, Watford compris, je n’ai sans doute pas amené les garanties nécessaires auprès du sélectionneur, il ne s’est pas dit que si Vincent (Kompany) se blessait à la 80e contre le Brésil ou l’Argentine, il allait mettre Kabasele. Je n’ai pas su ôter les doutes du sélectionneur… Avec le recul, j’ai sans doute voulu trop bien faire, je n’ai pas joué, comme j’ai l’habitude de le faire ici. Tenter des bêtes passes, en rater d’autres et je n’ai pas réussi à me remettre dans la bonne direction, je me suis peut-être dit inconsciemment que j’étais en train de passer à côté et j’ai encore trop voulu forcer les choses… Ce n’était que votre 2e match en un an et demi pour les Diables, vous vous êtes peut-être dit que vous deviez saisir votre chance… Oui, sûrement aussi. Parce que, même pendant les amicaux, l’entraîneur ne faisait pas beaucoup tourner. Quand vous ne jouez pas beaucoup et que vous avez la chance d’être aligné juste avant la Coupe du monde, inconsciemment, vous vous dites que c’est maintenant ou jamais. Sur le moment même, je ne me sentais pas stressé, je ne me posais pas trop de questions, mais, avec le recul, je me dis que je n’étais pas moi-même. Vous avez été surpris de ne pas être du voyage en Écosse et en Islande ? Je savais qu’il y avait de fortes chances qu’il reprenne le même groupe qu’à la Coupe du monde. Il était logique qu’il récompense les joueurs présents en Russie. Après, j’ai quand même été déçu de ne pas figurer dans la liste car un des premiers critères pour aller chez les Diables est d’être performant en club et je l’étais avec Watford. Est-ce que vous vous êtes dit « zut » quand Vincent Kompany a annoncé qu’il continuait avec les Diables ? Non, si je reviens dans le groupe, ce sera encore deux années durant lesquelles j’aurai la chance d’apprendre à côté d’un des meilleurs défenseurs belges de l’histoire. Je ne pense pas que c’est juste parce que Vincent continue que je ne suis pas repris. C’est une concurrence qui est très dure, Dedryck a fait ses preuves à la Coupe du monde, il ne reste plus beaucoup de places. Mais je connais aussi mes qualités et si je continue à être bon sur le terrain, l’entraîneur ne pourra pas m’ignorer continuellement. Est-ce qu’il faut jouer en club pour être Diable ? Je pense que ça dépend de l’histoire de la personne, Martinez a montré qu’il était très loyal envers ses joueurs. Au début, je ne jouais pas à Watford et pourtant je figurais dans la sélection, ça prouve qu’il ne laisse pas tomber quelqu’un du jour au lendemain. Mais quand vous jouez et que vous n’êtes pas repris, c’est frustrant, non ? Quand vous avez la chance de ne pas jouer en club mais d’être quand même repris chez les Diables, cela donne de la confiance, j’ai bénéficié de ça, je me dois de le reconnaître. Parfois, des joueurs ne jouent pas et sont dans la sélection, je n’ai pas de souci par rapport à ça. Je ne regarde pas les autres. Eupen, Genk, puis Watford : est-ce que vous pensez déjà à la prochaine étape ? Ma prochaine étape, c’est le match qui vient. Je ne vois pas aussi loin, on ne sait jamais ce qui peut se passer. Je n’ai jamais eu l’habitude de considérer que ma place était acquise, je continue de m’entraîner de la même manière. Vous ne vous dites pas qu’à votre âge, c’est le moment de franchir un autre palier ? On dit que ce sont les meilleures années d’un footballeur et je suis en plein dedans, mais il y a pas mal de paramètres qu’on ne maîtrise pas toujours. Il faut déjà l’intérêt d’un club… Beaucoup de gens sont surpris quand ils apprennent votre âge… Pourquoi ? Je fais plus vieux ? Non, mais on ne parle de vous que depuis quelques années… C’est vrai, j’ai commencé à faire parler de moi vers 23 ans, c’est bien, cela signifie qu’il me reste encore dix années (rires) ! Mais, dire que vous incarnez la relève est une erreur. J’ai acquis assez d’expérience, j’ai joué assez de matches pour pouvoir, si le besoin s’en fait ressentir, postuler pour une place de titulaire. Je suis à un âge où il faut jouer, je ne vais pas dire que c’est maintenant ou jamais mais je ne dois plus traîner si je veux changer de statut en équipe nationale. Vous pourriez dire non aux Diables ? Non, c’est toujours un privilège, je ne me vois pas dire non car je ne suis pas repris. Après, il faudra voir, notamment au niveau physique, comment ça va se passer dans les prochaines années. Il faudra peut-être profiter de la trêve internationale pour se reposer…

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