Présidentielle au Camerour: «Paul Biya, 85 ans, sera réélu parce qu’il contrôle tout»

Il est à la tête du Cameroun depuis 35 ans et pourtant, à 85 ans, le président Paul Biya va briguer ce dimanche un nouveau mandat présidentiel de 7 ans. Et ce alors que son pays est déchiré par des violences, dues à Boko Haram dans le nord, et à des mouvements anglophones indépendantistes dans l’ouest. Politologue et chercheur à l’International Crisis Group, Hans Heungoup décode pour nous cette élection. Comment le pouvoir a-t-il laissé la situation se détériorer à ce point dans l’ouest anglophone ? Il y a eu une combinaison de déni et de mépris face à ceux qui osaient protester contre la marginalisation des Camerounais anglophones. Leur lutte s’est radicalisée, et lorsque le gouvernement a voulu faire quelques concessions, c’était trop tard. De toute façon, le président Biya refuse toute réforme de fond, bonne gouvernance ou réforme de l’Etat. Il a prétendument lancé une décentralisation : elle est de façade, sans moyens financiers. Les groupes rebelles armés se sont multipliés mais, face aux forces armées du Cameroun, ils n’arriveront probablement jamais à imposer une sécession des provinces anglophones. On est donc face à un blocage militaire, mais aussi politique. Et on voit mal comment l’élection pourra avoir lieu dans cette région : alors que 421 civils ont déjà été tués par la répression qui a fait plus de 300.000 déplacés, la plupart des anglophones sont écœurés et ne veulent pas voter. Et les groupes armés ont promis la mort à ceux qui participeraient au vote. Y a-t-il du suspense ou est-il certain que Biya sera réélu ? Tout le monde ici au Cameroun sait que c’est plié. Seules inconnues : l’ampleur de cette victoire, et l’ordre d’arrivée des candidats d’opposition, qui est divisée. De nombreuses personnalités, achetées par le pouvoir, ont perdu leur crédibilité. Mais une nouvelle génération qui n’a pas encore été corrompue lui apporte un regain d’énergie. Cepenant, la raison principale de cette victoire certaine de Biya, c’est qu’il contrôle tout : la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, le Conseil électoral. Partout il a nommé des proches. Et les 250.000 fonctionnaires sont d’abord au service de son parti. Il a imposé un scrutin à un tour pour être sûr de gagner, a veillé à ce que le découpage des circonscriptions électorales favorise outrageusement les zones où il est populaire, que le financement des partis politiques lui soit favorable, etc. Et si malgré cela, il n’obtenait pas assez de votes, il serait facile d’y remédier. Et malgré tout cela, il est toujours soutenu par la France… Oui. Alors que d’autres chefs d’Etat autoritaires font régulièrement l’objet de critiques de l’Occident, ce n’est pas le cas de Biya. Les Etats-Unis ont protesté lorsque les Camerounais anglophones ont été maltraités mais, au niveau européen, l’avis de la France compte, et le Cameroun de Biya est toujours dans le pré carré français. Elle limite au maximum les pressions sur son gouvernement. Comme 300 entreprises françaises sont actives dans le pays, de nombreux observateurs estiment que Paris semble privilégier ses intérêts économiques de court terme, au détriment du processus démocratique. Et cette position renforce le sentiment antifrançais. D’autant que, dans un pays doté d’un PIB de près de 35 milliards de dollars, la pauvreté a augmenté en raison des détournements et de la corruption : en 2010, elle frappait 31 % de la population contre 37 % aujourd’hui. Et le nombre de mendiants affamés en rue ne cesse d’augmenter. Face à tous ces problèmes, et alors que la situation politique est verrouillée, y a-t-il un risque d’explosion sociale ? Cela semble très probable, reste à savoir quand. Des mouvements sociaux veulent exprimer après cette élection leur mécontentement dans les rues de Yaoundé et Douala. Ils voudraient encourager une insurrection populaire à la tunisienne. Plusieurs partis politiques boycottent d’ailleurs l’élection. D’autres groupes armés francophones, encore en formation, envisagent un recours à la violence armée dans les villes. Si l’on y ajoute les groupes armés anglophones, on se rend compte que le Cameroun pourrait basculer dans une profonde instabilité.

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