Statut de réfugié limité à cinq ans: «Une mesure contre-productive et idéologique»

Jusqu’ici, les réfugiés reconnus en Belgique obtenaient un droit de séjour illimité sur notre territoire. Ce vendredi, le conseil des ministres a approuvé un avant-projet de loi qui, sur proposition du ministre de l’Intérieur Jan Jambon et du secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, Theo Francken, tous deux N-VA, transforme ce droit de séjour illimité en un séjour temporaire de cinq ans, à partir de l’introduction de la demande d’asile. ► En Belgique, le statut de réfugié sera limité à 5 ans Au bout des cinq ans, le réfugié reconnu se verra remettre un titre de séjour illimité. A moins qu’entre-temps, le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA) ne considère que la personne n’est plus en danger dans son pays d’origine ou qu’elle a commis des actes répréhensibles en Belgique. La personne se verra dès lors retirer son titre de séjour et l’Office des étrangers se chargera de lui remettre un ordre de quitter le territoire. A noter que l’ordre de quitter le territoire concernera toute la famille du réfugié reconnu, en ce compris si les membres de la famille en question ne sont arrivés que plus tard et n’ont pas encore vécu cinq ans sur le territoire. Rien d’illégal ni de contraire à la Convention de Genève Cette mesure n’a a priori rien d’illégal et n’est pas contraire au droit européen ni à la Convention de Genève. Le caractère illimité du titre de séjour n’y est en effet nullement inscrit. Par ailleurs, la directive européenne qui fixe un cadre général minimum commun aux Etats membres, dite « directive qualification », indique que le titre de séjour octroyé à un réfugié reconnu doit être d’au moins trois ans. La Belgique reste donc parfaitement dans les clous. En France, le statut de réfugié est aussi limité dans le temps : il est de dix ans. L’avant-projet de loi est dans tous les cas soumis au Conseil d’Etat pour avis. Passée cette question de légalité, tous les interlocuteurs que nous avons contactés, dénoncent spontanément une mesure contre-productive et idéologique. Alexis Deswaef, président de la Ligue des droits de l’homme, relève avant toute chose le calcul de ces cinq ans : « L’instance indépendante qui statue sur la demande d’asile considère le danger potentiel encouru par la personne au moment où elle examine le dossier, pas au moment où la personne est arrivée sur le sol belge. Or plusieurs mois, voire plusieurs années peuvent s’écouler entre l’introduction de la demande et l’obtention du titre de séjour. Et ce délai, soit la période où le candidat réfugié vit en centre, comptera donc dans les cinq années ? Ce n’est pas logique ! » Un frein à l’intégration Mais au-delà de cet élément, c’est le message envoyé qui gêne : « Il y a un double discours du côté du gouvernement : d’une part on demande avec insistance aux réfugiés de s’intégrer, d’approuver nos “valeurs”, de travailler plus rapidement, mais en limitant leur titre de séjour dans le temps, on rend plus difficile cette intégration ! » François De Smet, directeur de Myria, le centre fédéral Migrations, ne dit pas autre chose : « Cela précarise fortement leur séjour, en termes de logement, d’emploi. Quel employeur va oser investir dans un travailleur susceptible de rentrer dans son pays dans un an ou deux ? On se tire une balle dans le pied. C’est totalement contre-productif en termes d’intégration, alors qu’on sait – une de nos récentes études le prouve – que les réfugiés reconnus justement constituent une population qui s’intègre bien socioéconomiquement. » Un coût important en termes de moyens Deuxième objection : la masse de travail considérable que cela va générer pour le Commissariat général aux réfugiés et apatrides, qui va devoir réévaluer individuellement la situation de tous les réfugiés dans les cinq ans. « On risque de produire un arriéré important, avertit Alexis Deswaef, avec une prolongation de situations précaires pour les candidats réfugiés dont on ne traitera pas le dossier directement puisqu’il faudra aussi réviser les dossiers des réfugiés reconnus. Il s’agit d’un calcul à très court terme, dont le gouvernement ne soupçonne pas le prix à payer en termes de moyens. » Le porte-parole du gouvernement, Frédéric Cauderlier, rappelle à ce sujet que les effectifs du CGRA ont déjà été nettement revus à la hausse. Conclusion : une mesure qui s’adresse à l’opinion Pour Malou Gay, vice-directrice du Ciré (« Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers »), qui pointe elle aussi spontanément les difficultés d’intégration et la surcharge de travail qu’engendrera cette mesure, la conclusion est évidente : « C’est très symbolique : il s’agit à nouveau d’une communication à l’opinion publique plutôt qu’une mesure dans l’intérêt des principaux concernés. » Alexis Deswaef abonde dans ce sens, et ajoute : « Cela s’intègre dans une politique globale que l’on connaît de la part de M. Francken dont l’objectif est de rendre la Belgique moins attractive, comme lorsque ce dernier envoie des lettres aux Irakiens ou aux Syriens pour les dissuader de venir. L’idée étant de renvoyer les migrants vers les pays voisins. Or nous sommes dans une surenchère de tous les pays européens qui mène à des situations absurdes, comme ce que l’on voit au Danemark (lire ci-contre). Nous sommes dans un véritable délire ! Chaque pays essaie d’en faire le moins possible, et c’est ce message que nous dénonçons : ce n’est pas ça l’esprit de la Convention de Genève. Ce n’est pas ça les valeurs européennes ! » François De Smet partage ce sentiment : « Pourquoi n’arrive-t-on pas à avoir un discours un peu positif ? On parle ici de personnes reconnues réfugiées, qui viennent de pays en guerre – où probablement les conflits ne vont pas se résoudre rapidement –, à qui la Belgique reconnaît donc le droit d’être protégées et de vivre sur son sol. Et on leur met une épée de Damoclès au-dessus de la tête ! » Nous avons tenté de joindre le cabinet du secrétaire d’Etat pour répondre à ces critiques, sans succès.

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