Brésil: pourquoi le gagnant de la présidentielle aura la moitié du pays contre lui

Le scrutin au Brésil est particulièrement inédit cette année, avec un candidat d’extrême droite en tête du premier tour. Ce candidat a été poignardé il y a un mois et n’a donc plus participé à la campagne dans les rues. Mais cela n’a en rien entamé son vote, Jair Bolsonaro caracole en tête des sondages avec près de 40 % d’intentions de vote. Son premier concurrent du Parti des travailleurs est lui à 25 % selon la dernière enquête. Mauricio Santoro, professeur de relations internationales et politologue à l’Université d’Etat de Rio de Janeiro, décode les enjeux du scrutin et les dernières semaines de campagne. [scald=24653484:sdl_editor_representation] Bolsonaro a gagné 10 points la dernière semaine, comment expliquer sa progression ? On a vécu une semaine très difficile, avec un Bolsonaro qui a progressé après plusieurs difficultés dans sa campagne et une augmentation du taux de rejet de son premier rival, Fernando Haddad. Ces derniers jours, son envolée s’explique par des alliances qu’il a obtenues et qui sont très importantes : d’abord les leaders évangéliques, en particulier de Edir Macedo, l’Évêque de L’Église Universelle du Royaume de Dieu, la plus importante des églises évangéliques. Ensuite, il a reçu l’appui de leaders conservateurs politiques, qui sont alliés avec le candidat de la droite du PSDB, Geraldo Alckmin, mais qui en réalité font déjà campagne pour Bolsonaro. [scald=24653483:sdl_editor_representation] Dans l’espace médiatique, Bolsonaro n’est pas allé au débat présidentiel entre les candidats, mais il était présent sur la chaîne concurrente au même moment pendant 25 min. Est ce que ça l’a aidé ? Cette interview, très complaisante, sur « Record », une chaîne de télévision amie, puisqu’elle appartient à l’Église Universelle, a montré à quel point cette chaîne va avoir un rôle dans son ascension, un peu comme le président Trump utilise Fox news pour s’exprimer. Mais cette stratégie de ne pas aller au débat était une erreur je pense. L’audience du débat sur la chaîne Globo a été trois fois supérieure à celle de Record et pour tous les indécis qui attendaient Bolsonaro pour décider son vote, il a perdu toute crédibilité. Justement, selon le dernier sondage de samedi, 27 % des Brésiliens pourraient encore changer leur vote au dernier moment. Est-ce une pratique réelle et courante au Brésil ? Oui je crois. Dans mon cercle familial et amical, tout le monde a changé son vote depuis vendredi, à cause justement de l’augmentation du vote Bolsonaro. Elle pourrait bénéficier à Ciro Gomes, qui est en troisième position mais qui apparaît plus fort au second tour contre Bolsonaro. Cela est déjà arrivé lors de l’élection précédente. Aécio Neves candidat du PSDB s’est retrouvé au deuxième tour, car il a été perçu dans la dernière ligne droite, comme le candidat le plus fort pour vaincre Dilma Rousseff du parti des travailleurs Dans les derniers jours également, on a assisté à une avalanche de fake news contre la gauche. Est-ce que cela a eu un poids ? Bolsonaro a monté une campagne qui a défié les pratiques politiques traditionnelles : son temps de propagande à la télévision était très court et cela n’a fait aucune différence dans sa progression. Car il a su se rattraper sur les réseaux sociaux. L’importance des réseaux sociaux est moins liée à la technologie qu’à l’ambiance générale. Les personnes ont beaucoup de colère et de défiance contre les médias et les élites, elles ont tendance à croire aux fake news. Si on était dans un pays plus stable, plus serein, elles n’auraient pas le même poids. Si Bolsonaro a fait des alliances, est ce que le camp de la gauche peut aussi en faire ? Haddad va être dans une situation difficile, il va devoir faire alliance avec les libéraux et les conservateurs, c’est-à-dire le parti de Michel Temer (le MDB) et la droite (le PSDB et le PP). Mais c’est très difficile, car ce sont des groupes qui se sont opposés frontalement ces deux dernières années, il faudra donc qu’ils dépassent leurs différences. Pour l’électeur, il existe le risque de voir dans cette alliance, une formation opportuniste alors que Bolsonaro s’est présenté comme la figure du renouvellement du monde politique. Comment voyez vous l’ambiance pour le second tour ? Si comme tout l’indique, on va avoir un second tour entre Bolsonaro et Haddad, ce seront les trois semaines de campagne les plus agressives, polarisées et tendues de l’histoire brésilienne. On n’a jamais connu un aussi fort niveau de haine et de polarisation. Ce sont deux candidats qui inspirent énormément le rejet et les électeurs vont choisir « le moins pire ». Cela va être très dur et le candidat qui va gagner, va l’emporter avec la moitié du pays contre lui.

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