2028: Bruxelles bouge à nouveau

Ce que tout le monde pensait incroyable s’est finalement produit. Nous sommes en 2028. Depuis 10 ans, l’usage de la voiture individuelle ne cesse de se réduire dans les grands centres urbains. Les experts ne sont pas surpris. Dès 2018, de nombreuses études montrent que la possession de la voiture ne cesse de baisser dans les villes. L’une d’elles, réalisée en France, en Espagne, au Royaume-Uni et en Allemagne en 2018 avait confirmé les constats : plus d’un automobiliste sur deux se disait « prêt à repenser son usage de la voiture ». Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres, disaient les sceptiques à l’époque. Mais voilà : exaspéré de voir son véhicule stationné plus de 95 % du temps et de passer toujours plus de temps à chercher une place de parking ou à poireauter dans les embouteillages, le citadin moyen passe lentement à autre chose. L’opinion est également de plus en plus sensibilisée aux effets de la pollution sur la santé humaine. Les manifestations pour un air plus pur, les actions d’habitants en faveur de rues scolaires interdites aux bagnoles se sont répandues comme un feu de brousse, bousculant les autorités qui auraient préféré régler la question à leur train de sénateur et sans perturbateurs extérieurs, comme elles en ont l’habitude. Les effets de plus en plus dévastateurs des changements climatiques ont fini de convaincre que l’espèce humaine ne peut s’en sortir qu’en changeant radicalement de mode de vie… et de transport. Convaincre, contraindre Mais si le changement intervenu entre 2028 et 2018 surprend, ce n’est pas la simple œuvre du Saint-Esprit. C’est aussi parce que de nombreux projets visant à améliorer la mobilité ont fini par aboutir. Entamé en 2004 et après avoir failli sombrer corps et âme, le projet de RER vient d’être inauguré. Même si la lenteur de son aboutissement a fortement discrédité le monde politique, le réseau express régional a permis d’accroître considérablement l’offre ferroviaire vers Bruxelles. Il était plus que temps : conformément aux prévisions faites en 2015 par le Bureau du Plan, la demande a bien augmenté de 60 % dix ans plus tard. Pendant un temps, l’achat de nouveaux wagons par la SNCB a pu accroître l’offre. Mais cela n’a pas suffi : devant des trains littéralement pris d’assaut aux heures de pointe, il a fallu anticiper le passage à un cadencement d’un convoi tous les quarts d’heure. Vers Bruxelles, et malgré l’opposition initiale de la Flandre, toutes les autoroutes disposent désormais d’une bande réservée aux autobus et aux voitures transportant trois personnes ou plus. Cette mesure toute simple, combinée à un coup de pouce fiscal, a fait exploser le covoiturage. De même d’ailleurs que la taxation kilométrique intelligente dont la Wallonie a fini par reconnaître les bienfaits. Introduite en 2022, modulée en fonction de l’heure du déplacement, de la performance environnementale du véhicule et du nombre de personnes à bord, et accompagnée de correctifs sociaux, elle ne touche pas les covoitureurs. Et s’il avait fallu un dernier argument pour « convaincre » les automobilistes, la destruction du viaduc Herrmann-Debroux à Auderghem et son remplacement, comme aux autres entrées de la ville, par un boulevard urbain plus réduit, très arboré et réservant un maximum d’espace aux transports en commun et usagers actifs, a placé un nouveau garrot sur le flux automobile. Les autoroutes vélo, larges pistes cyclables protégées permettant d’avaler de longues distances, se sont étirées partout en Brabant flamand. Elles ont rapidement été envahies de vélos électriques. Même en Wallonie, où la majorité du monde politique ne pouvait imaginer que le vélo soit autre chose qu’un article de loisir réservé aux balades du week-end, les autorités ont fini par se laisser convaincre. L’intense lobby des associations de cyclistes est passé par là. Saisis par la grâce et poussées dans le dos par leur gouvernement respectif, les quatre sociétés de transport en commun opérant sur le territoire de Bruxelles et à sa périphérie ont finalement trouvé un accord pour un billet et une tarification unique sur tout le territoire de la « métropole » bruxelloise. Désormais, une carte suffit pour voyager partout. L’usager paie en fonction de la zone parcourue, quels que soit la région et le moyen de transport ; ensuite, les sociétés concernées se répartissent le magot. La nouveauté a donné un coup de fouet à l’utilisation des transports publics. Pour le coup, les Belges n’ont que 15 ans de retard sur les Danois, mais personne ne boude son plaisir… Améliorer l’offre Reste qu’il a fallu absorber cette demande supplémentaire, donc améliorer l’offre. Le même impératif de collaboration a permis de connecter le tout nouveau réseau de tramways flamands – le « Brabantnet » – avec celui de la Stib. Cette dernière a pu étendre ses propres lignes de trams jusqu’à Zaventem et Overijse. Et l’on songe à des extensions vers Meise et Alsemberg. Après des années de retard et quelques dépassements de budget, la ligne 3 du métro vers Evere est entrée en fonctionnement. Tous les parkings-relais de la Région sont reliés à un tram, un métro ou le RER. Les maigres 10.000 places envisagées en 2020 ont été doublées cinq ans plus tard. En revanche, le projet de métro vers le Sud a été reporté à 2040. Trop cher dans l’immédiat et l’optimisation des lignes de tram et le RER ont suffi à écluser le flot des passagers. Une bonne partie de la population des communes huppées du sud de Bruxelles s’est laissée convaincre par le train, par les vertus du vélo et des multiples engins de micromobilité électrique dont la popularité ne se dément pas. A Bruxelles même, le paysage a également changé. Les derniers bus au diesel ont disparu ; les derniers hybrides vivent leurs ultimes moments. La quasi-totalité de la flotte est électrique et équipée de wifi. L’électrification progresse aussi rapidement dans les voitures. La multiplication des capteurs dans les rues a révolutionné la gestion du stationnement et permet de mieux prévenir la formation de bouchons. Certains rêvent toujours à la voiture autonome, mais les progrès sont lents. Tous les trams ont la priorité aux carrefours, à certains endroits très fréquentés, c’est également le cas pour les vélos. La phase des feux verts pour les piétons a été élargie, afin d’encourager le cheminement à pied. Idem pour les pistes cyclables qui se sont généralisées. Des dispositions favorisant le télétravail ont permis d’assouplir les horaires et de soulager la demande de transport aux heures de pointe. La fiscalité a été assouplie : il est désormais beaucoup moins coûteux de déménager pour résider à proximité de son travail. A l’exception de quelques grands axes, toute la Région est en zone 30. De plus en plus d’espaces ont été transformés en zones apaisées ou en piétonniers. Tout cela ne s’est pas fait sans mal : après de multiples blocages, il a fallu dépouiller les communes de leur compétence en matière de mobilité. Ironie du sort, ce sont désormais les associations de commerçants qui réclament la piétonnisation de leur rue ou de leur place. On a aussi usé de quelques contraintes : maîtriser par exemple l’explosion du commerce en ligne et des livraisons à domicile. Désormais, pour être livré à domicile, il faut passer par un porteur à vélo. Sinon, de nombreux centres de livraison de quartier ont été créés où se relaient des petites camionnettes électriques. Étonnant : ces dernières années, l’exode urbain s’est inversé…

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