Des Européens, les Belges sont-ils les plus racistes ?

Article paru dans « Le Soir » du 11 octobre 2000 [scald=24663148:sdl_editor_representation] Au lendemain de la gueule de bois brune, l'heure est au questionnement. Parce qu'il y a des comparaisons qui font mal... Dimanche soir, alors que la presse internationale se massait à Anvers pour y vivre le deuxième scrutin noir, à Vienne, on se plaisait à affirmer que les situations autrichienne et belge ne diffèrent guère. Face au risque d'un nouveau coup dur pour l'image de notre pays, le Premier ministre a, rapidement - et très maladroitement -, pris la parole pour minimiser l'ampleur du vote extrémiste et pointer une différence essentielle avec l'Autriche: le cordon sanitaire empêche l'arrivée du Vlaams Blok au pouvoir. Il n'empêche: le résultat de dimanche - nous renvoie une image peu plaisante. Celle d'une population parmi les plus racistes d'Europe? C'est le postulat de Lieven Dewinter, professeur de culture politique à l'UCL. Un postulat qu'il étaie par plusieurs études et sondages, belges comme internationaux. 22 % des Belges très racistes L'Eurobaromètre de la Commission européenne, consacré en 1997 à «Racisme et xénophobie en Europe», est sans appel. A plusieurs reprises, en réponse à une vingtaine de questions, les Belges se distinguent, arrivant en tête... Question de base: Vous sentez-vous très, assez, un peu ou pas du tout raciste? Si la moyenne européenne de «très racistes» est de 9%, elle atteint 22% en Belgique (score le plus élevé des Quinze), devant la France (16%) et l'Autriche (14%). Faut-il rappeler que ces pays disposent, tous trois (ou l'une de leur région, dans le cas belge), d'un parti brun largement implanté? Autre question: Pensez-vous que les immigrés hors Union -européenne, légalement établis, devraient avoir les mêmes droits que les nationaux? Un Belge sur deux le pense (c'est le plus faible résultat de l'Union, dont la moyenne est de 70%). Y a-t-il trop de minorités raciales, culturelles et religieuses? 41% des Européens le disent, mais 56% de Belges. Ces minorités ne peuvent jamais être acceptées comme membres à part entière de notre société : 56% des Belges sont d'accord, contre 38% des Européens. Faut-il renvoyer, dans leur pays d'origine, les immigrés non européens légalement établis s'ils n'ont pas d'emploi? Oui, répondent 43% des Européens et 59% de Belges. Et 3Belges sur 4 estiment qu'il faut renvoyer tous les immigrés illégaux, sans exception (10% de plus que la moyenne européenne) - seuls les Italiens sont plus nombreux, de 1%. Cet eurobaromètre ne fait que confirmer deux autres sondages précédents (1971 et 1988), cataloguant les Belges comme les plus xénophobes des peuples européens , ajoute Lieven Dewinter. Ainsi, en 1988, 52% des Belges estimaient que la présence des étrangers était une mauvaise chose pour l'avenir du pays (score le plus élevé) et 32% (score le plus élevé) jugeaient que leurs droits devraient être restreints. [scald=24685979:sdl_editor_representation] Esprit de clocher Si d'aucuns contestent la validité des eurobaromètres, force est de constater que d'autres études les confortent. Ainsi, l'European Value Studies (un réseau d'universités européennes réalisant des enquêtes sur les changements de valeurs), confirme que les Belges ont les attitudes les plus négatives à l'égard des gens de race différente, des immigrés, des musulmans . Par rapport aux juifs et aux hindous, seuls les Portugais sont plus exclusifs... Ainsi, 17% des Belges affirment ne pas vouloir pour voisin une personne d'une autre race (10% est la moyenne européenne) et ce chiffre monte à 26% lorsqu'il s'agit de musulmans (deux scores records). Lieven Dewinter apporte trois éléments d'explication: La pilarisation sociologique de la société belge; les antagonismes entre Flamands et francophones; et l'esprit de clocher fort important en Belgique. Deux types de racisme Ces enquêtes européennes ne descendent cependant pas jusqu'à l'échelon régional. Au vu du scrutin de dimanche, on est tenté de rejeter la tendance xénophobe sur la Flandre, où le Blok progresse partout, alors qu'en Wallonie l'extrême droite devient- confidentielle. Le PIOP (Point interuniversitaire sur l'opinion publique et la politique, de l'UCL) et son pendant flamand (l'ISPO, de la KUL) se sont penchés, dans la foulée des élections de 1991 et 1995, sur les attitudes xénophobes des Flamands, Wallons et Bruxellois. Première constante: les Bruxellois sont les plus tolérants par rapport aux étrangers. Il ressort des ces études qu'il y aurait, en Belgique, deux sortes de racisme. Un racisme plus culturel, au Nord; une xénophobie plus socioéconomique, au Sud. Voilà qui s'explique, dans un cas, par le combat flamand pour l'émancipation culturelle (l'ethno-nationalisme ) et, dans l'autre, par les difficultés économiques wallonnes (l'éco-régionalisme). Le racisme flamand se traduirait donc davantage en termes de pureté et suprématie de la race ou de la culture, explique Dewinter. Quant à la xénophobie wallonne, elle tiendrait davantage au sentiment de menace lié à la crise économique. Ainsi 31,1% des Flamands estiment qu' il faut veiller à sauvegarder la pureté de notre race, contre 21,8% de Wallons. Et 14,5% de Flamands jugent que la race blanche est supérieure à toute autre race, contre 9,2% de Wallons - même chiffres lorsqu'il s'agit de limiter les contacts avec des gens de race différente . Par contre, les Wallons sont plus nombreux à penser que les immigrés sont une menace pour l'emploi des Belges (53% contre 40% de Flamands), ou que les immigrés viennent en Belgique pour profiter de la sécurité sociale (63% contre 55), ou encore que l'on ne peut pas se fier aux immigrés (31,3% contre 26). Flamands et Wallons se rejoignent pour estimer, à environ 35%, que la Belgique n'aurait jamais - dû faire venir des travaillers de l'étranger et que, si les possibilités d'emploi diminuent en Belgique, il faut renvoyer les travaillers immigrés dans leur propre pays (40%). Conclusion de Lieven Dewinter: Il y a bien une tendance au racisme chez nous, même si tous les Belges ne sont pas racistes. Ce ne sont pas seulement les eurobaromètres qui le disent ou des sondages faits par des boîtes privées, mais des enquêtes universitaires «non-profit», soigneuses sur le plan du sélectionnement, de l'échantillonnage, de la formulation,... Et, dans mes recherches, je n'ai pas encore vu de preuve du contraire... Un sentiment qui varie selon l'âge et la culture Les Belges sont-ils racistes ou se perçoivent-ils de manière très sévère? L'Eurobaromètre publié en 1998 indiquait une forte proportion de Belges se disant racistes. Le Centre pour l'égalité des chances a toujours relativisé fortement la portée de ce sondage: On demandait aux gens s'ils se sentaient racistes. Il s'agit donc du racisme exprimé ou ressenti. Pas du racisme réel qui se concrétise notamment pas certains comportements. Des personnes peuvent se sentir racistes uniquement parce qu'elles sont énervées par le comportement de leur voisin. Le sondage réalisé par «Le Soir» en novembre 1996 exprimait aussi cette ambiguïté. Les jeunes, qui étaient les plus inquiets par la progression du racisme, étaient par ailleurs les moins nombreux à se dire «pas du tout racistes». Preuve sans doute que s'afficher raciste est un tabou qui varie selon l'âge, la classe sociale ou le pays. Plus éclairantes sans doute sont les enquêtes qui révèlent les discriminations dans la vie quotidienne. Comme dans le logement ou le marché de l'emploi. La discrimination à l'embauche est plus forte aux Pays-Bas qu'en Belgique. Mais dans le sondage européen, les Néerlandais apparaissent comme très tolérants. Existe-t-il des expressions racistes différentes au sud et au nord du pays? Sans doute, même si les sondages et les enquêtes sont à manier avec prudence. Dans le sondage du «Soir», les francophones étaient bien plus nombreux à se dire «pas racistes» et à témoigner de leurs - expériences positives avec les étrangers. Le plus étonnant sans doute était de constater que plus d'un tiers des Flamands reconnaissaient n'avoir jamais eu de contact avec un étranger! L'enquête réalisée en 1997 par le Bureau international du travail montrait également des comportements différents. Le BIT avait envoyé deux enquêteurs -l'un d'origine belge, l'autre d'origine marocaine- postuler pour un même type d'emploi. Le taux de discrimination pour la Flandre était de 39,2 %, de 27 % en Wallonie et de 34 % à Bruxelles. Elle était particulièrement flagrante (60 %!) en Flandre pour les emplois où la - notion de «visibilité» entrait en considération (garçon de café, vendeur). Chaque année, le Centre pour l'égalité des chances publie les statistiques des plaintes pour racisme. Depuis des années, deux régions cumulent à elles seules plus de la moitié des plaintes: Bruxelles et plus encore la province d'Anvers. Dans la région d'Anvers, ces plaintes concernent surtout la vie sociale, autrement dit les contacts interpersonnels.

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