Riad Sattouf («L’Arabe du futur»): «J’ai trouvé mon refuge dans le dessin plutôt que dans la religion»

Le père syrien de Riad Sattouf était originaire de Ter Maaleh, un petit village perdu près de Homs, sans eau ni électricité. Il a été le premier de la famille à aller à l’école. Il est venu étudier à la Sorbonne, à Paris, où il a rencontré Clémentine, la maman de Riad. Son diplôme de docteur en histoire contemporaine en poche, il rêvait de former « l’Arabe du futur, c elui qui pourrait lire, écrire et sortir de l’obscurantisme religieux ». Le professeur Sattouf voulait libérer le Moyen-Orient de ses vieux dictateurs, œuvrer au progrès de la société. Mais au fil des événements politiques et familiaux, son fils l’a vu progressivement basculer dans le fondamentalisme. Fou de dessin et de Tintin, Riad Sattouf a entrepris de mettre l’histoire de sa famille en bande dessinée dans L’Arabe du futur. Le quatrième tome vient de paraître. Il s’ouvre sur le retour de Riad en France, alors que son père s’en va enseigner en Arabie saoudite. L’auteur est venu nous parler, à Bruxelles, de ses 10 ans, passés entre Rennes, Ter Maaleh et le cap Fréhel. Quand votre père vous disait que vous étiez Arabe et pas Français, ça voulait dire quelque chose pour vous ? C’était assez abstrait. J’essayais de me faire accepter. En Syrie, les cousins du village avaient du mal à me considérer, à cause de mes origines étrangères. En France, j’avais du mal à cause de mon nom, Sattouf, à consonance un peu ridicule. Du coup, je me suis réfugié dans une posture d’observateur. J’ai été mis à l’écart du groupe, puisqu’il m’était impossible d’être considéré comme vrai Arabe ou comme vrai Français. J’ai fini par me choisir l’identité d’auteur de bande dessinée, avant toute autre forme d’identité nationale ou patriotique. Mon peuple, c’est la bande dessinée. Si vous avez fait ce choix, c’est parce que le dessin était une manière de se mettre à l’abri du monde et des tensions familiales ? Oui, bien sûr. Le dessin est ultra puissant pour échapper au quotidien. Il a un effet d’auto-hypnose. À mes débuts, j’ai passé des dizaines d’heures à essayer d’imiter Moebius et Hergé, mes deux grandes idoles. Lire Hergé, encore aujourd’hui, c’est comme écouter un guitariste virtuose : on prend ses fondamentaux et on garde toujours l’envie d’y revenir. Hergé est le plus grand narrateur de l’histoire de la bande dessinée, le plus simple et le plus fluide. J’adore le fait qu’il ait redessiné sans cesse ses albums, animé par cette volonté de se soumettre au lecteur pour lui offrir l’album le plus lisible, le plus clair, le plus universel. Votre père voulait que l’homme décide. Votre mère était une pécheresse. Un enfant peut-il sortir indemne de cette vision radicale de la société ? Pendant que mon père se mettait à considérer les femmes comme des forces du mal, mon grand-père français, côté maternel, était, lui, ultra-obsédé sexuel ! Il me répétait sans cesse « d’y aller avec les filles ». Je me sentais pris entre deux feux. Le dessin m’a permis d’oublier ces problématiques, auxquelles j’étais confronté à longueur de journée. C’est sans doute ça qui m’a décidé à devenir auteur de bande dessinée. Je faisais des dessins rigolos, d’abord pour impressionner mes parents, puis pour faire marrer les copains et, enfin, pour épater les filles. Aujourd’hui, le dessin me sert à partager mon histoire familiale. Le point de basculement de votre père dans le fondamentalisme, ce fut le pèlerinage à La Mecque ? Quand il m’a raconté son pèlerinage, c’était surtout impressionnant par le fait qu’il était seul là-bas. Je crois que c’est l’éloignement de sa famille qui a provoqué son repli religieux. Nous sommes guidés par des raisons humaines. Ce n’est pas la religion mais l’impossibilité de s’adapter au quotidien de la vie occidentale qui a précipité le repli religieux de mon père. Moi, mon refuge, je l’ai trouvé dans le dessin plutôt que dans la religion. Vous avez été à l’école en Syrie où on vous traitait de Juif à cause de vos cheveux blonds. Vous étiez persécuté, agressé. En France, on se moquait de votre nom. On était loin de « l’art de former les hommes » de Rousseau ? L’école, c’est essentiel, mais il est difficile de l’apprécier si on n’a pas une cellule familiale rassurante. Je détestais l’école syrienne du village de mon père. C’était d’une brutalité inouïe. Mais parfois, des personnes âgées qui ont lu L’Arabe du futur, viennent me parler de l’école française de la République du temps jadis, où les profs ne reculaient pas devant les coups de règle. On l’a oublié, mais les châtiments corporels sur les enfants n’ont pas été inventés en Syrie. En France, cela ne fait pas si longtemps qu’on s’est aperçu que ce n’était pas la meilleure méthode d’éducation… En France, votre mère refusera de vous inscrire au collège le plus proche parce qu’il y avait trop d’étrangers dans les classes. Cela ne vous a-t-il pas paru surréaliste ? Mon père était raciste. Ma mère était radicale, mais de l’autre bord. Ce que je montre là, c’est que tout le monde peut devenir facilement raciste. J’ai été dans le collège où on m’a dit d’aller et j’étais content d’être dans un établissement où on ne frappait pas les élèves. Vous copain skater raconte que « les Arabes, ils cherchent les embrouilles, ils font du racket et toujours ils agressent ». Vous avez été marqué par ces quartiers à « éviter » ? Je laisse le lecteur se faire son propre avis ! Je n’aime pas orienter la lecture idéologiquement et je ne veux pas cacher certaines choses, sous prétexte que ça pourrait blesser certaines sensibilités. J’ai vécu des tas de trucs et je raconte ce qui s’est passé. J’ai horreur des livres pamphlets comme des BD moralisatrices. Dans ce tome 4, votre père devient l’exemple de l’Arabe qui ne s’intègre pas et rentre dans une spirale fondamentaliste ? Il a vécu un retour aux origines, une sorte de nationalisme de la spiritualité ! Il était politiquement d’extrême droite. Son attitude ressemble à celle des intellectuels catholiques traditionalistes dans la société française. Il s’est « traditionalisé », en fait. Ce nouvel épisode est le plus volumineux. Parce qu’on a plus de souvenirs à 10 ans qu’à 5 ? Parce que c’est aussi une période clé dans la construction de la personnalité ? Les choses me viennent inconsciemment. Le récit s’impose à moi… L’Arabe du futur m’a donné des lecteurs de tous horizons, de tous âges, intéressés par le partage des émotions. Cet épisode est celui de l’envie d’être accepté, d’être compris. Tout n’est pas toujours clair dans ma tête sur ce que je peux penser moi-même. Ce récit est un voyage dans lequel je ne suis le représentant de rien, de personne, à peine de moi-même.

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