Union européenne: la légalité de la taxe sur les géants du Net remise en question

Voilà qui va faire les affaires des Irlandais, vent debout contre le projet de taxe européenne sur les services numériques (Google, Facebook, Uber…), la considérant comme une attaque frontale à leur modèle économique basée sur une fiscalité légère. Les juristes du Conseil, où ce projet de taxe fait l’objet d’une négociation entre pays européens, ont estimé que le texte n’avait pas été bien ficelé juridiquement. En mars dernier, la Commission européenne avait proposé une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires de certains géants du Net, rompant ainsi avec la tradition selon laquelle on taxe généralement une société sur son bénéfice. Histoire d’éviter de taxer éventuellement des pertes. Si la Commission avait choisi que les États taxent le chiffre, c’est parce que taxer le bénéfice tombe dans le champ des traités fiscaux bilatéraux. Qu’il aurait fallu renégocier pour taxer le bénéfice de Facebook, par exemple. Donc s’entendre avec les Américains, qui n’ont pas fait mystère de leur opinion sur le projet européen : ils la voient comme une tentative de mainmise des Européens sur les juteux bénéfices de leurs champions. Sauf que les juristes du Conseil ont estimé, dans un avis rendu le 8 octobre et dont Le Soir a eu copie, que la taxe proposée par la Commission européenne ne pouvait pas être qualifiée comme une taxe sur le chiffre d’affaires, autrement dit une taxe indirecte. Accrochez-vous, ça décoiffe. Pour être considérée comme telle, le fardeau de cette taxe devrait être porté par le consommateur final, c’est-à-dire non pas par Facebook, par exemple, mais par ses utilisateurs. Or, ce que la Commission mettait en avant, c’est que les géants du Net, bien que gratuits, étaient grassement rémunérés grâce à l’exploitation de nos données personnelles, avec les scandales que cela a parfois impliqué (cf. Cambridge Analytica ou plus récemment, Google+). « Nos obligations au regard du droit international » Cet avis juridique peut avoir de sérieux impact sur l’avenir de la fiscalité du secteur numérique. Juste au moment où les détracteurs de la taxe perdaient du terrain face à ses promoteurs (la Belgique et le Luxembourg étant parmi les plus récents supporters). Pour revenir dans des eaux juridiquement plus saines, il n’est pas à exclure que la Commission ait à retirer sa proposition et en présenter une nouvelle. Ce qui prendrait du temps, alors que l’élan politique actuel autour de cette question présente une fenêtre d’opportunité sur laquelle l’institution européenne avait tout misé. Cela veut aussi dire qu’il faudra impliquer les pays des champions du Net dans la discussion. Reste le scénario selon lequel la Commission décide de ne pas retirer sa proposition. Et elle ne compte pas le faire, convaincue d’être droit dans ses bottes, selon son porte-parole. L’avis du service juridique constitue l’argument indispensable à l’Irlande, la République Tchèque, la Finlande et la Suède, pour convaincre leurs pairs que cette taxe est une mauvaise idée. Dans un document de travail commun, dont Le Soir a eu copie, ces quatre pays disent la chose suivante : « compte tenu des potentielles conséquences politiques, économiques et juridiques considérables qu’introduire une taxe européenne qui ne serait pas en accord avec nos traités fiscaux, nous pensons qu’une discussion est nécessaire sur la compatibilité de cette taxe avec nos obligations internationales ». L’avis du service juridique précise bien qu’il ne tranche pas la question selon laquelle cette taxe serait une violation du droit international. Mais l’incertitude juridique qui règne désormais risque de suffire à étouffer dans l’œuf les promesses politiques.

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