Francophonie: le baroud d’honneur de Michaëlle Jean

Depuis Erevan, Pour que les jeux soient faits, il n’a pas fallu attendre longtemps… Lorsqu’elle s’est adressée aux chefs d’Etat de l’organisation de la francophonie réunis à Erevan, Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’institution depuis deux ans seulement, n’a pas mâché ses mots. Certes, cette ancienne journaliste d’origine haïtienne – qui fut aussi gouverneur du Canada – ne s’est pas avouée vaincue. Mais c’est sur le plan des principes qu’elle a livré un baroud d’honneur, sachant qu’elle trouverait des oreilles favorables dans la salle. Rappelant les valeurs de base de l’organisation, à savoir la démocratie et les droits de l’homme, elle s’est cependant interrogée sur une institution qui, selon elle, violerait ses principes au profit de « petits arrangements entre États », courant de ce fait le risque d’être un jour déclarée « moribonde ». Mme Jean faisait ainsi allusion à la rencontre entre le président français Emmanuel Macron et son homologue rwandais Paul Kagame durant laquelle son sort avait été scellé. Macron s’était en effet déclaré favorable à la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo à la tête de la francophonie. S’exprimant à Erevan devant une salle comble avec les accents d’un chef qui ne doute pas de lui-même, il n’est pas revenu sur son engagement, en précisant cependant qu’à ses yeux, la francophonie devrait se recentrer sur ses « valeurs de base » à savoir la défense d’une langue commune ou partagée ensemble. Ne plus éparpiller les efforts Autrement dit, il n’est plus question de transformer l’organisation, toujours grossie de nouveaux membres dont les Emirats arabes unis… en « ONU francophone » ; et il est d’autant plus urgent de ne plus éparpiller les efforts que les moyens se raréfient. Insistant à juste titre sur les valeurs qui fondent l’organisation, Mme Jean a cependant omis quelques éléments essentiels dont le fait que, voici deux jours, son propre pays, le Canada, l’avait publiquement lâchée, de même que le Québec, assurant tous deux qu’ils se rallieraient à l’avis de la majorité. Telle est bien la francophonie : une sorte de famille où l’on se déchire à huis clos et où l’on se dit des vérités lorsque tous les micros sont éteints mais ou, finalement, la realpolitik l’emporte sur les principes… Et à huis clos, les oreilles de Michaëlle Jean ont dû tinter : ses propres compatriotes ont dénoncé ses dépenses inconsidérées (500.000 euros pour la rénovation de son appartement parisien) tandis que la géopolitique était présentée comme l’élément déterminant. Nul n’ignore en effet que le président Kagame, à la tête de l’Union africaine, représente désormais un interlocuteur incontournable dans l’indispensable dialogue entre l’Afrique et l’Europe et dans les projets de développement économique du continent. Regrets et grincements de dents Ayant perdu le soutien de la France, du Canada et du Québec, sans oublier l’Union africaine (présidée par… Kagame) et le fait que la direction de la francophonie revient depuis plusieurs années à un ressortissant de l’Afrique centrale, Mme Jean n’a donc aucune chance de rempiler à son poste… Cette fatalité n’a cependant pas empêché les regrets et, en coulisses, les grincements de dents… Du côté français, nul ne se perd ; et de critiquer Emmanuel Macron dans ses choix. Mais plusieurs voix soulignent cependant, avec discrétion, que le Rwanda n’est pas un exemple de liberté d’expression. Du côté de la fédération Wallonie Bruxelles, la chaise vide du ministre-président Rudi Demotte ne serait pas due uniquement à la proximité des élections communales… (Rudi Demotte se présente contre Marie-Christine Marghem à Tournai). L’embarras est bien réel de ce côté-ci aussi car Michaëlle Jean avait naguère été soutenue avec enthousiasme côté belge. Et si les mérites du Rwanda sont évidents, ses zones d’ombre sont également bien connues en Belgique. Ce qui n’a pas empêché Pascale Delcominette, au nom de Rudi Demotte, de saluer le « recentrage » de la francophonie sur sa vocation de base et le refus de la dispersion exprimé par le président français. Du côté congolais, on se réjouit certes d’une candidature qui représente enfin l’Afrique centrale, mais Isabelle Tshombe, représentante spéciale du président Kabila (absent lui aussi à Erevan), n’a pas mâché ses mots. Féministe convaincue, elle regrette qu’on ait utilisé une femme contre une autre et elle estime que, pour le moins, le procédé « manque d’élégance ». Ses compatriotes journalistes sont plus directs : ils voient dans ce succès diplomatique du Rwanda une « insulte » à leur propre pays si souvent agressé par leur voisin de l’Est. A Erevan, beaucoup estiment que la nomination de Mme Mushikiwabo représente un pas vers son accession à la présidence du Rwanda et donc à la succession de Kagame lui-même.

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