La tempête #MeToo déferle sur l’Inde

Depuis New Delhi Sous le flot de la colère, le barrage a cédé. En Inde, une déferlante d’accusations inonde Twitter. Pour la première fois, des Indiennes issues du milieu des médias et du cinéma dévoilent en masse les comportements inappropriés et les agressions à caractère sexuel dont elles ont été victimes dans le cadre de leur profession. La parole se libère et plus d’une centaine de noms d’hommes influents sont déjà épinglés via le hashtag #MeToo. Une liste de la honte, lâchée dans l’arène des réseaux sociaux par des femmes longtemps contraintes au silence et en quête de justice. Dans le carcan patriarcal de l’Inde, cette révolte spontanée des femmes revêt une intensité exceptionnelle. Tout a commencé le 4 octobre par une dénonciation portant sur l’envoi de messages pornographiques de l’humoriste Utsav Chakraborty. D’autres femmes ont répondu pour partager leur expérience. Peu à peu, l’outrage s’est mué en un raz-de-marée d’accusations de harcèlement sexuel contre ces hommes « prédateurs » de l’industrie des médias et du cinéma. Les dénonciations sont même arrivées jusqu’au gouvernement, avec la mise en cause de MJ Akbar, secrétaire d’État aux Affaires étrangères et ancien journaliste de renom. Il est accusé d’avoir fait autrefois des avances inappropriées à des employées débutantes. « Vous vous y connaissez bien pour pincer, tapoter, frotter, attraper et agresser », avait écrit l’an dernier, dans un article, l’une des journalistes accusatrices, Priya Ramani. À l’époque, cette dernière n’osait pas le nommer mais elle concluait par une promesse : « Un jour, nous vous aurons tous. » Les noms tombent Et rarement les femmes journalistes auront mis leur plume au service d’une cause aussi personnelle, appuyée par des preuves et des captures d’écran qu’elles savent aussi agencer. Car ce sont elles qui ont su toucher en racontant les traumatismes qu’elles ont endurés au cours de leur carrière. Ces dénonciations ont poussé à la mise à l’écart de Prashant K Jha, l’un des rédacteurs en chef du grand quotidien Hindustan Times, alors que plusieurs journaux ouvrent des enquêtes internes sur les abus présumés qui concernent leurs employés. Chaque jour, des dizaines de noms ne cessent d’être révélés. « Je n’avais pas prévu de raconter mon histoire », commente ainsi Mandakini Gahlot. Ce vendredi, cette journaliste a dénoncé avec d’autres consœurs le comportement de Suhel Seth, un célèbre consultant. « J’ai vu son nom qui sortait sur les réseaux sociaux et mes souvenirs ont ressurgi. Alors je me suis juste assise, j’ai écrit ce qui m’était arrivé, et j’ai pressé “publier”. Le mouvement #MeToo m’a donné des forces. » La puissante industrie du cinéma de Bollywood, connue pour exploiter les femmes en coulisses, n’est pas épargnée. Depuis le début du mouvement #MeToo il y a un an aux États-Unis, elle était restée timide et l’omertà avait fonctionné. En Inde, seule la sphère universitaire avait été réellement touchée avec la publication, par une étudiante en droit, d’une liste de cinquante professeurs « prédateurs ». Mais, à Bollywood, les actrices n’osaient pas nommer leurs agresseurs. Ce week-end, l’actrice Tanushree Dutta a porté plainte contre l’acteur Nana Patekar pour une agression remontant au tournage d’un film en 2008. Depuis, les noms tombent : le réalisateur Vikas Bahl, dont la maison de production – en charge de la série de Netflix « Le Seigneur de Bombay » – a été dissoute, mais aussi les acteurs Alok Nath, Rajat Kapoor et tant d’autres. « La force collective de la solidarité » Certes, le débat est aussi lancé sur les conséquences de ces accusations tous azimuts. De simples propos déplacés à des agressions sexuelles, la gravité des comportements dénoncés varie. « C’est le #MeToo à l’indienne. Toutes sortes d’expériences sont regroupées sous un même fil », a commenté le journaliste Madhavan Narayan. Mais l’Inde vit un moment de vérité. « À la clé, se joue la place de la femme dans le milieu du travail, estime Deepak Mehta, sociologue à l’Université de Delhi. Non seulement elle y est victime de harcèlement sexuel mais elle est aussi infériorisée professionnellement. Tout cela s’est additionné et provoque l’explosion actuelle. » Pour la journaliste Mandakini Gahlot, ce moment est unique : « Dans ma vie, je n’avais jamais vu s’exprimer de cette façon la force collective de la solidarité féminine ».

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