Christophe Miossec au «Soir»: «J’ai l’impression d’avoir trouvé un bon équilibre»

Depuis Paris Christophe Miossec est un fidèle. Fidèle à un style, à une exigence, à un humour féroce, à l’amitié… Il est aussi, à l’instar d’un Dominique A ou d’un Murat, un rescapé de la chanson et du rock. Sans succès tonitruant, mais avec un public fidèle et constant. Nous l’avons retrouvé dans une brasserie parisienne pour parler avec lui de ce onzième album, « Les rescapés », qui une fois de plus lui ressemble. Vous avez produit vous-même cette fois un disque plus expérimental au niveau sonore, avec beaucoup de beats électroniques… Oui, même si sur scène, je serai à la guitare. On sera trois… C’est un luxe de pouvoir monter une communauté. C’est marrant parce que pour moi ce disque n’est pas expérimental. Ça fait partie de la musique que j’avais en tête, des textures que je voulais entendre. La première couche a été faite avec la préhistoire des synthés, de 1973. Des petites choses qui ne coûtent pas cher. Je compose toujours à la guitare mais l’habillage est différent. J’ai commencé à Brest avec Mirabelle Gillis et Leander Lyons avec qui j’ai fait le disque et la tournée Mammifères. On a beaucoup tourné ensemble et je voulais garder cet élan. Cela fait quatre ans que vous tournez non-stop. Vos deux précédents albums ont paru en 2014 et 2016. Vous n’arrêtez jamais… Ce n’est pas que j’ai peur de m’ennuyer mais c’est un boulot passionnant en fait. Ces onze chansons, c’est un métier à plein-temps. Plus ça va, plus c’est du boulot quand tu n’as pas envie de radoter. Dans « Nous sommes », vous parlez de ces rescapés qui ont donné son titre à l’album… Avec Dominique A, Murat ou Katerine, on fait partie d’une génération de rescapés. Beaucoup ont dû arrêter ce travail, ont décroché. Monter sur l’estrade et se mettre un peu en lumière, c’est un métier, surtout quand il faut redescendre. La population n’est pas toujours bienveillante avec le chanteur qui a dû arrêter sa profession. Depuis « Boire », il y a 23 ans, votre public s’est gentiment accru tout en restant raisonnable. On peut parler de fidèles. Ils sont suffisants pour vous permettre de rester vous-même et d’avancer… Oui voilà. Mais pour Dominique (A), je pense que c’est la même chose : c’est toujours un combat. On gagne chaque fois un petit sursis. L’histoire de la chanson est faite de hauts et de bas, et de chutes. Vous avez eu la chance de pouvoir écrire pour Johnny Hallyday qui vous a apporté du beurre dans les épinards on peut dire… Dans votre tête, est-ce comme un chemin parallèle ? Oui, sauf que Johnny était dans l’album de photos, avec mes cousins, quand j’étais petit. Car il a fait avec eux son service militaire à Baden Baden. Mon père écoutait les plus grands succès de Johnny. C’est vrai qu’il m’aura beaucoup aidé : il a dû prendre une quinzaine de mes chansons. Dans le disque posthume, il y en a une seule. Johnny, c’était quelqu’un de touchant. « Nous sommes » parle aussi de la Terre et des changements climatiques. « On n’a plus le temps », dites-vous… J’ai un copain qui est chercheur en climatologie sur les coquilles Saint-Jacques. Il voulait m’embarquer sur une de ses missions à Saint-Pierre et Miquelon pour sensibiliser le public. Moi je ne me voyais pas écrire sur les coquilles Saint-Jacques alors je lui ai fait cette chanson pour lui montrer que j’essayais tout de même de faire œuvre d’utilité. Dans « Je suis devenu », vous dites : « Je sais qui j’étais/ Je sais qui je ne suis plus »… J’ai plus ou moins piqué ça à un discours de Mélenchon avant la présidentielle. Il était ministre sous Jospin tout de même… Ça me fait un peu marrer. À l’arrivée, ça parle de moi bien sûr. J’espère ne m’être jamais trahi. J’ai eu peur à un moment, avec cette pression de mon ancienne firme de rechercher le single, le tube. À l’époque de « La facture d’électricité ». Ce n’est pas en passant une pub avant les Victoires de la Musique qu’on fait avancer les choses… J’ai eu des moments difficiles. Dominique ressent la même chose : on n’a pas envie de faire les putes. C’est une question de respect. En même temps, on n’a pas à se plaindre. Chez Columbia, ils m’ont quand même suivi sur l’accordéon et le violon. Du coup, le live des Mammifères est encore meilleur que le disque studio, je trouve. Avant cela, je ne voulais pas faire de disque live, tellement ils sont trafiqués. Moi je voulais un live honnête, en une seule soirée… « Les infidèles » parle d’amour comme de religion. On pense aussi à « Infidels » de Dylan… Ah oui, c’est vrai. Il était bien ce disque. Slow train Coming aussi, avec « Jokerman », ma chanson préférée de Dylan. Avec Sly & Robbie à la rythmique, Mick Taylor et Mark Knopfler aux guitares. Pas mal des chansons de ce disque viennent de la route. Et des infidèles, dans les hôtels de voyageurs où on descend, on en croise beaucoup. Ils sont assez apparents, les infidèles. C’est chiant parce que les hôtels vraiment glauques ont disparu, avec leurs normes européennes. Il reste quelques cramés bien rincés tout de même. Les Ibis, ça sent la Javel. « L’aventure » rappelle à quel point vous restez un aventurier… Même si, pour des raisons médicales, vous avez dû arrêter de boire, après avoir été tout cabossé comme vous disiez… J’aime ce qui n’existe pas. Repartir à la guitare en tournée, c’est excitant. Sobre, on profite mieux de la vie. On gagne du temps. On se rend compte que, dans une vie, les vannes ne se renouvellent pas tant que ça. Au début, je me méfiais toujours des buveurs d’eau. Quand la tournée est finie, c’est la grosse déprime. Il y a les courses à faire. Heureusement, il y a la mer d’Iroise qui change de couleur quinze fois sur la journée. C’est assez instable. La lumière, les nuages… C’est en constante évolution. Mais pour écrire, un mur, c’est mieux que la vue. J’ai l’impression d’avoir trouvé un bon équilibre. Dominique, c’est pareil, il est épanoui. Ça rassure… Le nouveau monde de la chanson est malgré tout excitant, tu découvres plein de trucs. Jeanne Added, notamment, qu’on retrouve aux chœurs sur quatre titres… Je l’avais vue il y a très longtemps dans un petit club à Paris. En première partie d’un truc, c’était basse-voix. Elle est très impressionnante. Pour nous tous, ça fait du bien des gens comme ça. « La mer, quand elle mord, c’est méchant », est un hommage à votre grand-père mort en mer… C’est la première fois que je fais une chanson sur la mer. Il fallait que je l’écrive pour ma mère. C’était en 1943 et comme on n’a pas retrouvé le corps, elle n’a pas touché de pension. Il y a un cénotaphe près de chez moi avec sa photo de marié. Et puis je pense aussi à mes copains pêcheurs. C’est un métier de dingue. Quand la mer se déchaîne, ça fait peur… Vous avez fait d’autres métiers avant de chanter. Il ne s’agissait pas d’une vocation… Non, moi je voulais être musicien et faire des chansons mais pas chanter. C’est parce que j’étais tout seul avec mon huit-pistes que je me suis mis à chanter. Je ne sais pas quand je m’arrêterai. C’est à la demande générale, c’est ça qui est pratique. Le public n’est pas idiot, s’il est déçu, il s’en va. Sur scène, je ne veux pas que les gens s’imaginent que c’est tout le temps pareil. Ce que je raconte ce soir-là, je ne le raconte pas le lendemain. Il faut que tout soit frais. C’est aussi du respect par rapport aux musiciens, pour pas qu’ils entendent la même histoire tous les soirs. Ça doit rester vivant. Miossec sera le 19 mars au Reflektor et le 20 au Botanique.

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