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Carte blanche: Le dialogue sur les trésors coloniaux doit l’emporter sur le paternalisme

Universitaires et professionnels des musées et du patrimoine appellent à un dialogue ouvert sur la restitution d’objets acquis par la Belgique durant la période coloniale au Congo.

Temps de lecture: 5 min

A l’occasion du récent débat sur l’opportunité d’une restitution d’objets de musées belges qui ont été acquis pendant la période coloniale au Congo, un certain nombre d’universitaires et de professionnels des musées et du patrimoine viennent d’échanger des expériences et des idées. Evidemment ce débat revêt également une grande importance pour les collections venant du Rwanda et du Burundi, ainsi que pour d’autres parties de l’Afrique et d’autres continents.

Dans l’espoir d’apporter une contribution positive au débat sur les collections du Congo, nous voudrions faire les remarques suivantes :

1.  Dans ce débat, aucun dialogue significatif n’est possible aujourd’hui sur la base d’arguments juridiques. De nombreuses collections de musées ont été « rassemblées » bien avant l’émergence d’une législation relative aux conflits internationaux, aux droits de l’homme et à la protection du patrimoine culturel. Le fait que nous n’ayons pas de législation rétroactive aujourd’hui témoigne des relations de pouvoir encore très inégales entre nord et sud.

2.  Un argument moral indéniable en faveur de la restitution découle du fait que la grande majorité du patrimoine d’art congolais se trouve dans des musées occidentaux et des collections privées. Cela signifie que la plupart des Congolais n’y ont pas accès aujourd’hui. Etant donné que l’art, le patrimoine, et l’histoire sont des repères importants pour l’émancipation et le développement, un statu quo éternel devient de ce point de vue moralement indéfendable.

3.  De plus, il existe un argument historique de poids. Déjà pendant la période coloniale, il y avait des demandes congolaises pour un retour d’objets et au moment de l’indépendance, des voix se sont élevées en faveur d’une restitution du patrimoine culturel. Du côté congolais on a insisté sur la double nécessité d’avoir la maîtrise des richesses naturelles aussi bien que des richesses culturelles. Bien que l’on aime dire que le colonialisme est derrière nous depuis longtemps, le dépositaire de la grande majorité du patrimoine d’art congolais montre le contraire, en dépit de nombreuses demandes de restitution depuis l’indépendance.

4.  Nous appelons à un dialogue ouvert où les demandes de restitution sont reçues avec respect et sérieux. Il faut que l’on admette que ‘restitution’ concerne principalement la restitution physique d’objets de musée. La numérisation, les prêts et les expositions itinérantes sont également importants, mais ne doivent pas détourner l’attention du cœur du débat. Des incertitudes ou des préoccupations concernant les aspects pratiques des restitutions (choix des collections, destinataires, comment faire, etc.) ne doivent pas entraver ce dialogue. Si nécessaire, le cadre législatif doit être ajusté. Écouter avec respect doit prendre le pas sur le paternalisme.

5.  Les musées doivent offrir plus de transparence concernant les données sur la provenance d’objets dont ils disposent eux-mêmes. Cette information doit être rendue accessible aussi aux chercheurs non-professionnels, en particulier aux Africains et à la diaspora africaine.

6.  En Belgique, des directives générales doivent être adoptées pour le secteur des musées concernant la gestion des collections coloniales. Nous pouvons suivre l’exemple de l’association allemande des musées et des spécialistes désignés en France. Ces directives devraient être adoptées dans un délai d’un an.

7.  Au sein des musées et universités belges, il existe un besoin de recherche plus approfondie sur la provenance exacte d’objets de musée. A l’instar des unités de recherche dans nos pays voisins, les autorités belges devraient libérer de nouveaux moyens pour des programmes de recherche ambitieux relatifs à la provenance des collections et des stratégies possibles pour des restitutions. Cette recherche doit être menée en Belgique mais également et surtout en Afrique. De telles unités de recherche devraient être opérationnelles dans un délai de deux ans et développer des plans concrets pour des véritables restitutions.

8.  Les musées doivent développer une politique de restitution active relative aux restes humains provenant du Congo et d’autres anciennes colonies. Il faut une politique proactive : les musées doivent prendre eux-mêmes des initiatives pour trouver des solutions appropriées par la voie de la concertation. Cette repatriation doit aboutir dans un délai de cinq ans.

*Ces propositions sont appuyées par les personnes suivantes qui s’expriment à titre personnel : Bénédicte Ledent, Université de Liège ; Benedikte Zitouni, CES/Université Saint-Louis, Bruxelles ; Berber Bevernage, UGent ; Charlotte Pezeril, Université Saint-Louis, Bruxelles ; Daniël Biltereyst, UGent ; Eline Mestdagh, UGent ; Elke Mahieu, UGent ; Elke Selter, School of Oriental and African Studies (Londres) ; Els De Palmenaer, MAS Antwerpen ; Filip De Boeck, IARA/KULeuven ; Gillian Mathys, UGent ; Hannelore Vandenbergen, AfricaMuseum, Tervuren ; Hein Vanhee, AfricaMuseum Tervuren & UGent ; Hugo DeBlock, UGent & KASK Gent ; Ilke Adam, VUB ; Jacinthe Mazzocchetti, UCLouvain ; Jean-Luc Nsengiyumva, CES/Université Saint-Louis, Bruxelles ; Johan Lagae, UGent ; Jos van Beurden, Vrije Universiteit Amsterdam ; Joséphine Vandekerckhove, UGent ; Julie Lambrechts, FARO ; Karel Arnaut, IMMRC, KU Leuven ; Karel Van Nieuwenhuyse, KULeuven ; Katrijn D’hamers, FARO ; Laura De Becker, University of Michigan ; Leen Beyers, MAS Antwerpen ; Maarten Couttenier, AfricaMuseum Tervuren ; Marc Jacobs, FARO & Vrije Universiteit Brussel ; Margot Luyckfasseel, UGent ; Marnix Beyen, UAntwerpen ; Martin Vander Elst, UCL, signataire de la carte blanche « Restitution des trésors coloniaux : la Belgique est à la traîne » dans Le Soir du 25/09/2018 ; Mathieu Zana Etambala, AfricaMuseum Tervuren ; Michael Meeuwis, UGent ; Nicole Gesché-Koning, Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles ; Nicole Grégoire, ULB ; Olga Van Oost, FARO ; Olivia U. Rutazibwa, University of Portsmouth ; Pauline van der Zee, UGent ; Paul Catteeuw, FARO – Histories ; Pedro Monaville, NYU Abu Dhabi ; Philippe Van Cauteren, S.M.A.K. Gent ; Rik Pinxten, UGent ; Roel Daenen, FARO ; Marco Martiniello, Université de Liège ; Sandrine Colard-De Bock, Rutgers University ; Sarah Van Beurden, Ohio State University & UGent ; Saskia Willaert, Muziekinstrumentenmuseum Brussel – KMKG ; Sarah Demart, Université Saint-Louis, Bruxelles, signataire de la carte blanche « Restitution des trésors coloniaux : la Belgique est à la traîne » dans Le Soir du 25/09/2018 ; Sofie Van Bauwel, UGent ; Sophie Withaeckx, VUB ; Steven Van Wolputte, IARA/KULeuven ; Stijn Joye, UGent ; Véronique Clette-Gakuba, ULB, signataire de la carte blanche « Restitution des trésors coloniaux : la Belgique est à la traîne » dans Le Soir du 25/09/2018 ; Vicky Van Bockhaven, UGent.

 

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