Footbelgate: après 10 jours de séisme, «the show must go on» mais le traumatisme demeure

Dix jours après le séisme. Dix jours de secousses. Mais aussi – et de manière peut-être plus surprenante – dix jours d’absence de répliques comparables à la stupeur et aux tremblements vécus ce mercredi 10 octobre. Un jour censé être comme tous les autres, mais où 184 enquêteurs, au prix de 44 perquisitions, ont cueilli les acteurs supposés d’une affaire comme le football belge n’en vit qu’une tous les quinze ans. Avec ce flot de suspicions, ces auditions en cascade et ce chapelet d’inculpés (vingt à ce jour), les passionnés de foot ont eu, eux aussi, l’impression d’effectuer un drôle de voyage en ballon. L’histoire commence dans la fureur et le bruit d’une perquisition en plein cœur d’un quartier cossu de Lasne, dans le Brabant wallon. Il est 5 heures du matin à la montre de chef d’escadron et, soudain, l’opération menée simultanément dans plusieurs pays (Belgique, France, Chypre, Serbie, Monténégro) débute avec pertes et fracas. Porte du domicile de Mogi Bayat défoncée au bélier, visages encagoulés, brassards de police : tout ce que ce genre d’intervention peut comporter de cris, de larmes et de terreur s’est concentré en un espace-temps réduit. [scald=24866466:sdl_editor_representation] « Il ne faut pas permettre au client de s’extraire de son état de stress pour réagir, via l’usage éventuel d’une arme, une tentative de fuite ou une destruction de preuves », confie un professionnel rompu à ces pratiques policières. Le conseil de Mogi Bayat montera aux barricades de l’indignation en parlant de revolver pointé en direction de l’épouse de son client sous les yeux des quatre enfants du couple. Sans que l’on puisse recueillir de plus amples témoignages pour confirmer cette thèse ou s’en affranchir. Certains ont aussi évoqué la présence possible dans, la configuration architecturale des lieux, d’une panic room, qui aurait accru le zèle des forces de l’ordre. « Des conneries, tout ça », expliquait Mehdi Bayat, le frère de Mogi, le jour même de l’intervention en guise de seul commentaire en « on » sur la perquisition en elle-même. [scald=24866924:sdl_editor_representation] Lot d’ébahissements successifs Au travers du cas emblématique du dealmaker le plus couru du football belge, le reste de la journée n’est plus qu’un lot d’ébahissements successifs devant l’ampleur prise par le dossier. Des personnages peu connus du grand public, à commencer par le très discret agent Dejan Veljkovic (surtout actif en Flandre), des dirigeants du FC Malines, de Waasland-Beveren et de l’ancien avocat Laurent Denis (condamné en son temps dans l’affaire Zehyun Yé). Auditionné durant de longues heures Herman Van Holsbeeck, l’ex-manager général du Sporting d’Anderlecht, est relâché par le juge d’instruction. Ce qui ne manque pas d’alimenter les sarcasmes de ceux qui, depuis longtemps, dénoncent entre les dents sa collusion avec Mogi Bayat. Et surtout la confusion des genres qui en découlerait. [scald=24866463:sdl_editor_representation] « Si on l’a relâché, c’est qu’il y a trois hypothèses », estime un avocat très bien implanté dans le milieu du foot. « Soit c’est parce qu’il a parlé, soit les justifications de ses actes ont suffi, soit le juge a décidé de ne pas l’inculper tout de suite pour postposer son accès direct au dossier et miser sur une éventuelle erreur de la part de l’intéressé. » Les clubs belges passent à l’essoreuse Parfois soupçonnés de laver pas mal d’argent sale, les clubs belges passent à l’essoreuse. Du stade Breydel (FC Bruges) au parc Astrid (Anderlecht) en passant par Sclessin (Standard), l’Argos Stadion (FC Malines), le Freethiel (Waasland-Beveren) ou la Ghelamco Arena (Gand), neuf d’entre eux font l’objet d’une descente en règle des enquêteurs. Au Mambourg (Charleroi), au Canonnier (Mouscron) ou au Kerhweg (Eupen), pas un flic à l’horizon. Certains s’en étonnent, d’autres s’en amusent. Mehdi Bayat, frère du principal inculpé, s’en explique (« C’est bien simple, nous n’avons jamais inclus Dejan Veljkovic dans nos transactions ») alors que d’autres ne se l’expliquent pas. « Il y a quelque chose d’étrange, tout de même à ce que des clubs soient épargnés », s’interrogent plusieurs pontes de la Pro League dont très peu semblent s’inquiéter d’une possible mise sur écoute puisque c’est par ce biais que les enquêteurs ont remonté la double filière délictueuse. [scald=24867056:sdl_editor_representation] Ça balance partout, par tous et sur tout. Entre les vérités assenées, les mensonges et les fantasmes, il n’y a désormais plus le moindre filtre. Si ce n’est le mode du conditionnel au moment de l’analyse des faits (connus) par la presse. Juste avant le tamisage du clavier ou le passage face caméra, les langues sont toutefois plus déliées et les premiers témoignages commencent à affluer. Certains dans la profession s’étonnent, s’indignent ou se la racontent, mais un grand moment de silence s’impose à tous lorsque l’on apprend que les noms de Sébastien Delferière et Bart Vertenten, les deux meilleurs arbitres du pays, sont mêlés à ce qui prend là tout doucement la tournure d’une affaire tentaculaire. [scald=24866464:sdl_editor_representation] « C’est sans doute ce qui a le plus touché les gens », confesse Gérard Linard, le président de l’Union belge, l’un des rares à émettre une opinion à visage découvert, sans se défiler au milieu du silence assourdissant des autorités du football lors des 24 premières heures du tsunami. « Quand j’ai appris que les deux fers de lance de notre arbitrage étaient cités dans le dossier puis inculpés pour une réduction de prix sur une voiture ou des soupçons de matchs truqués, je me suis dit : “Pas eux, tout de même, pas eux !” » [scald=24867057:sdl_editor_representation] Et pourtant oui. Eux aussi ! Du moins selon l’estimation du parquet de Tongres qui confirmera, lors d’une conférence de presse surréaliste en trois langues (néerlandais, français, anglais), une impressionnante liste de noms démontrant qu’aucun secteur d’activité du football professionnel belge n’est épargné. Entre quatre agents (Bayat, Veljkovic, Meijati, Mortelmans) et une compagne (Bolgojevska), un entraîneur (Leko), deux arbitres (Delferière, Vertenten), six dirigeants (Huyck, Vanroy, Somers, Swolfs, Seteeman) ou ex-dirigeants (Van Holsbeeck), un ancien avocat (Denis), deux joueurs (Roef, Myny) et trois journalistes (Joris, Dekeyser, Van den Broeck), le tableau peut être considéré comme pratiquement complet. Le compte est bon ! « Du moins en théorie car on est en droit de s’interroger sur une seconde vague éventuelle d’arrestations lorsque tout ce beau monde aura parlé », estime un ancien haut dirigeant de club aujourd’hui hors circuit. « Il n’est virtuellement pas possible que les personnes à qui la justice demande aujourd’hui des comptes soient les seules à tomber. Je ne dis pas que les pratiques étaient érigées en un système unique, mais la gamelle est effectivement assez grande pour que pas mal de monde y bouffe en même temps. » Après le premier choc, arrive le temps du contrecoup Passé le premier choc, arrive immédiatement le temps du contrecoup. Notamment dans le chef des inculpés, dont certains sont, paraît-il, très durement éprouvés par leur sort. Au point que leurs fidèles tentent d’épargner à tout prix via des contre-feux allumés par la cohorte de ténors du barreau (Mes Sven Mary, Jean-Philippe Mayence, Johnny Maeschalck, Dimitri De Béco, Kris Luyckx, Didier De Quévy, Walter Van Steenbrugge), tous accourus plus vite les uns que les autres pour apparaître en ordre utile dans ce qui est déjà le dossier de l’année. [scald=24866465:sdl_editor_representation] Le but de l’opération ? Nier en bloc ou à tout le moins tenter de minimiser au maximum l’implication de leur client dans les deux niveaux du dossier : la corruption et le commissionnement. Une manœuvre plus ou moins aboutie. Et plutôt moins à en croire certaines petites phrases déjà passées à la postérité : « Mon client n’est concerné que par le volet blanchiment d’argent. » ; « Mogi est un collectionneur de boîte de montres de luxe vides » ; « Sébastien ignorait que M.Veljkovic était un agent de joueurs. » Du côté des familles, c’est le règne de la débrouille, entre l’incompréhension, le déshonneur, le chagrin et les premiers soucis matériels, comme le blocage des comptes de tous les inculpés. « La vie s’est arrêtée en une fois : on se croit en temps de guerre tant on a l’impression que tout s’est écroulé », témoigne l’ami d’un inculpé néerlandophone. « Entre ses obligations professionnelles et les visites en prison, il faut se tenter de se préserver de tout ça, à commencer par les enfants qui encaissent durement les événements depuis leur retour à l’école », raconte un autre proche d’un suspect qui n’a pas passé sans encombre le cap de la garde à vue… Un deuxième week-end face à soi-même Ceux qui sont derrière les barreaux s’apprêtent à vivre leur deuxième week-end face à eux-mêmes et à leur conscience. D’après les rares témoignages de leur quotidien, on devine que les temps sont durs et les heures interminables pour tous ces ego confrontés à la réalité du monde carcéral. Bart Vertenten et Laurent Denis seraient voisins de cellule et auraient les nerfs particulièrement éprouvés, Mogi Bayat reçoit les visites de sa femme, de sa maman (remontée de Cannes après la perquisition dont elle a fait l’objet) et de son frère Mehdi. Quant à Dejan Veljkovic, figure centrale de l’affaire de corruption, aucune information ne filtre à son sujet. Et pour cause : sa compagne Maria Bolgojevska fait partie des inculpés dont la libération sous bracelet électronique a fait l’objet d’un appel surprise du parquet. De l’ombre à la lumière, peu de nuance également : à l’instar de quatre autres inculpés libérés sous condition, l’arbitre Sébastien Delferière a pu éviter le maintien en détention. Mais pour rester claquemuré chez lui, à Soignies. Commune où vivent également ses parents. « Je n’ai pas eu l’occasion de converser directement avec Sébastien puisqu’il a été privé de son GSM, mais je peux vous assurer, pour l’avoir eu au téléphone, que son papa est anéanti par ce qui arrive. Et notamment par la suspension à vie prononcée jeudi par l‘URBSFA à l’encontre de son fils alors qu’il est, à ce stade de l’instruction, encore présumé innocent », explique un membre de l’Union belge dont, par ailleurs, David Delferière est encore l’un des vice-présidents et président de la section féminine. [scald=24867141:sdl_editor_representation] Ecarté à double titre de son milieu professionnel (il était sous statut d’arbitre semi-pro et travaillait à mi-temps à l’ACFF, l’aile francophone de l’Union belge), Sébastien Delferière aurait été auditionné, dans la plus grande discrétion, par un membre de la commission des arbitres et deux membres des services juridique et administratif de la Fédération. « C’était samedi dernier », raconte un témoin. « Le pourquoi du comment de la décision de l’écarter », lui a été expliqué. « Même présumé innocent, la confiance est rompue. Comment voulez-vous qu’il remonte un jour sur une pelouse. Chaque coup de sifflet ferait l’objet de moqueries ou de suspicions. Mais impossible pour lui de l’admettre. L’arbitrage, c’est toute sa vie et aujourd’hui, cette vie-là est foutue. Il est dans le trente-sixième dessous. » « Techniquement, l’arbitre international, accessoirement président du Stade Brainois (D3 amateur) n’est pas licencié par son employeur, mais pour respecter les conditions de libération, il sera cantonné à effectuer du télétravail jusqu’à nouvel ordre, nous dit-on à la Maison de verre. Le temps de savoir quelles seront les suites judiciaires de cette affaire » Depuis l’inconfort de sa prison louvaniste, Bart Vertenten ne doit pas être au top de sa forme non plus. Son rôle précis dans l’influence de certains matchs de fin de saison dernière et même d’autres éditions (le Cercle a porté plainte pour sa relégation de mars 2015 à la suite d’une fin de match étrange) doit encore être déterminé. « Mais, pour lui aussi, c’est fini, témoigne un ancien arbitre international. L’UEFA ne fera plus jamais appel à lui alors que Vertenten était au seuil du groupe élite. Après un rapport extrêmement positif à l’issue du match d’Europa League entre Arsenal et Vorskla Naftohaz, le convocateur avait l’intention de lui confier une rencontre du top lors de la 4e journée. Un premier vrai test sur le chemin du top. A 30 ans et un diplôme de radiologie en poche, il avait tout pour réussir et devenir le premier belge à siffler dans un Euro ou une Coupe du monde. Pffff… quel gâchis ! » Un passage obligé vers un foot plus propre ? Un immense gâchis pour les uns, un juste retour des choses pour les autres ou encore un passage obligé vers un foot plus propre. Ces dix jours de folie traversés par le football belge vont laisser des traces à l’heure de la reprise, ce vendredi soir lors d’un Club de Bruges -Waasland-Beveren malheureusement on ne peut plus symbolique. Un profond sillon que toutes les chartes et les bonnes intentions du monde auront du mal à combler. Tant la mauvaise graine refait toujours surface.

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