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Pourquoi parle-t-on plus de Khashoggi que du Yémen?

Les médias de la planète entière rivalisent de titres sur le sordide assassinat du journaliste saoudien exilé, comme si les méfaits et forfaits de l’Arabie saoudite et du prince qui la gouverne de facto n’avaient jamais existé.

Commentaire - Journaliste au service Monde Temps de lecture: 3 min

Ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’affaire Khashoggi » fait un buzz mondial. Rarement un meurtre d’opposant (qui n’en était d’ailleurs pas tout à fait un) a-t-il fait couler autant d’encre, et ce n’est pas fini. Les détails les plus scabreux d’une mise à mort apparemment d’une monstruosité peu banale font florès sur la Toile comme ailleurs. D’aucuns, en même temps, s’indignent qu’il eût fallu attendre la divulgation de cette histoire des plus sordides pour accabler l’Arabie saoudite et pour pourfendre les turpitudes du prince héritier Mohamed Ben Salmane, alors que ce pays et son maître de facto avaient aligné ces dernières années une série impressionnante d’erreurs, de fautes, de transgressions et même de crimes de guerre (au Yémen), sans susciter le même opprobre mondial.

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Alors la question se pose : pourquoi ce traitement différent dès lors qu’il est question de la fin atroce de Jamal Khashoggi ? Pourquoi cette émotion ? Pourquoi les dirigeants européens se fendent-ils de communiqués exigeant la vérité ? Pourquoi une Angela Merkel annonce-t-elle le gel des ventes d’armes tant que cette vérité n’éclate pas ? Pourquoi Donald Trump, pressé par certains élus du Congrès, admet son malaise et évoque même d’éventuelles suites  ? Pourquoi ces élus du Congrès s’ébranlent-ils soudain ?

La loi du mort kilométrique

Serait-ce un effet de la « loi du mort kilométrique », que l’on apprend dans les écoles de journalisme ? À savoir, dans ce cas, que la mort de plus de dix mille civils yéménites dans une guerre lointaine, oubliée et en tout cas presque abstraite, touche et passionne moins l’Occident que le supplice décrit comme épouvantable d’un journaliste, certes arabe mais surtout ex-conseiller des princes saoudiens adopté par le-tout-Washington, fréquenté par les chancelleries, appelé sur les plateaux de télévision anglo-saxons… C’est sans doute une partie de l’explication. Mais il y a plus.

Roman noir aux relents sulfureux

L’affaire Khashoggi a aussi tout d’un roman d’espionnage, noir, aux ingrédients sulfureux et nauséabonds mais aussi aux implications planétaires flagrantes. Voilà, selon le scénario que la presse relaie de manière insatiable, un journaliste – dissident contre son gré – assassiné par une escouade de tueurs-experts envoyée dans une capitale étrangère par un prince ténébreux qui se voulait réformiste et moderniste mais qui, aveuglé par sa haine contre celui qui incarnait ce qu’il abhorrait le plus, la liberté de pensée, finit par envoyer son impertinent détracteur à la mort. Et quelle mort… Sans oublier les « détails » comme les spéculations sur les calculs prêtés au « sultan » local, Erdogan, pour extirper des dividendes politiques aux Saoudiens…

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La monumentale publicité planétaire conférée au destin tragique de Jamal Khashoggi ne sera pas vaine à une seule condition : que les faits, s’ils s’avèrent, mènent à un juste dénouement, le châtiment des coupables et leur élimination des cercles du pouvoir à Riyad. Mais cela, c’est déjà une autre histoire.

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3 Commentaires

  • Posté par Bachelart Bernard, mardi 23 octobre 2018, 16:54

    Il semble qu'on apprenne pas aux journalistes à débusquer les techniques de manipulations de la presse. Si Baudouin Loos n'a pas encore compris comment il a déjà été lui-même utilisé pour répandre de la propagande, c'est qu'il n'est vraiment pas perspicace. Une bonne partie de la presse est tenue par l'actionnariat des marchands d'armes ou par les pressions des gouvernements pour ne pas dénoncer les manigances de l'OTAN. Erdogan, comme d'autres, a bien saisi les mécanismes de la presse et tourne cette histoire en feuilleton dont chaque épisode remonte l'intérêt.

  • Posté par Albert Poullet, mardi 23 octobre 2018, 10:55

    Arretons aussi l'importation de pétrole !

  • Posté par Mine , mardi 23 octobre 2018, 9:47

    les pauvres sans pétrole n´intéressent pas. La cruauté humaine est sans bornes.

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