Après six mois, Kanal est plus que jamais tourné vers l’avenir

Préfiguration… Le mot est étrange pour qualifier le programme d’un nouveau lieu culturel. Il résume pourtant parfaitement les six premiers mois d’exploitation de Kanal-Centre Pompidou, nouveau lieu culturel (ses animateurs parlent de ville culturelle) installé dans l’ancien garage Citroën, au cœur de la capitale. Cette préfiguration donc n’est pas seulement un mot, comme l’explique Yves Goldstein, celui qui a porté ce projet à bout de bras depuis le début. « Pour nous, il s’agissait d’une part d’occuper les lieux sans tarder pour lancer le partenariat avec le Centre Pompidou mais aussi et surtout pour tester le lieu, nos idées, les réactions du public… Au bout de six mois, on peut tirer certains enseignements et se tourner vers le futur. » Entre la région et le fédéral Se refusant à utiliser le mot succès pour ce qui n’est encore qu’une phase d’expérimentation, Yves Goldstein a pourtant bien des raisons de se réjouir. Malgré quelques déconvenues. Parmi celles-ci, le point mort dans les discussions autour des collections d’art moderne des Musées royaux des Beaux-Arts. « Zuhal Demir a annoncé sa venue à deux reprises mais cela a été annulé les deux fois. Pour nous, les portes sont ouvertes. Je préférerais clairement voir les œuvres ici que de les savoir enfermées dans des caves. Lorsque ce projet a été lancé, il a été pensé notamment dans l’idée de collaboration avec d’autres structures dont les Musées royaux des Beaux-Arts. Le travail fait autour de Romeo Castellucci avec La Monnaie et Bozar prouve qu’on peut coopérer entre région et fédéral. Même si, dans ces deux cas, il ne s’agit pas d’établissements dépendant de la politique scientifique mais d’institutions sous la tutelle de Didier Reynders. » Manifestement, dans ce domaine, tout le monde attend les élections régionales de mai 2019 avant de se remettre éventuellement autour de la table. Collaborations autour du design Mais les points positifs ne manquent pas, comme la réactivité de toute l’équipe à la phase de test actuelle menant à des manifestations que personne n’avait prévues au départ. « On avait prévu que tout ce qui se ferait dans le cadre de cette “préfiguration” serait basé sur les collections du Centre Pompidou. Finalement, après quatre mois à peine, ce n’était déjà plus le cas. L’exposition de design En rouge et blanc s’est faite avec des pièces venant pour 2/3 du Centre Pompidou et pour 1/3 de l’Adam à Bruxelles. Et elle a été pensée par la curatrice du Centre Pompidou et Arnaud Bozzini de l’Adam. Leur collaboration ayant très bien fonctionné, elle va se poursuivre et s’amplifier dès janvier avec une nouvelle proposition. » Par ailleurs, la grande exposition des designers belges dans le cadre de Design September n’avait pas du tout été prévue et ne comporte aucune pièce du Centre Pompidou. Mais elle répond à un besoin que Design September ne pouvait rencontrer jusque-là, faute de lieu approprié. Ouverture officielle en 2023 Elle fait partie des six manifestations qui ont débuté à la rentrée pour enrichir l’offre du lieu et en tester toutes les possibilités. Une phase de préfiguration qui durera jusqu’en juin 2019 avec l’accueil de tous les jurys et manifestations de fin d’année de La Cambre. Et ensuite, on ferme pour travaux jusqu’en 2023 ? « Non ! On est actuellement dans la procédure pour le permis d’urbanisme et on espère pouvoir débuter les travaux début 2020. Avant cela, dès septembre 2019, on commence les travaux intérieurs qui ne nécessitent pas de permis. Ensuite, si tout va bien, les travaux se dérouleront sur deux ans et demi jusqu’à l’automne 2022. On reste donc dans un timing où l’ouverture totale devrait avoir lieu durant le premier semestre 2023. Mais on a la volonté et l’énergie de ne pas s’arrêter en juin 2019. D’ici l’ouverture de 2023, on veut poursuivre l’expérience Kanal sous d’autres formes. En 2020, on occupera toujours le showroom, sur les 6 niveaux, durant quelques mois : de février/mars à septembre/octobre. Avec des expos pop up auxquelles on réfléchit. » Des activités extra-muros Ensuite, il faudra trouver d’autres terrains de jeux. « Nous voulons mettre en place un programme d’activités extra-muros, en cherchant des partenaires le long du canal, qui est notre écosystème citoyen. Nous serons présents durant quelques mois à la Maison des cultures de Molenbeek qui, par ailleurs, délocalise chez nous une partie de ses ateliers. Et nous avons des contacts avec un autre garage qui va bientôt se vider, le long du Canal toujours. Nous envisageons aussi un Kanal mobile, sous forme de caravane ou de mobile-home qui pourrait aller de marché en marché dans les différentes communes… » Ne pas être un îlot de bobos Autant d’actions qui servent à continuer à installer la « marque » Kanal. Mais pas seulement. « On veut surtout poursuivre le travail de terrain. C’est important pour nous. C’est pour cela qu’un quart du staff actuel ne s’occupe que de médiation avec les associations, les écoles, etc. Nous voulons réconcilier différents publics avec l’institution culturelle. Et œuvrer à la “mixification” du quartier. Kanal ne veut surtout pas être un îlot de bobos. Pour cela, les pouvoirs publics ont un grand rôle à jouer. Je lance un appel pour qu’ils maîtrisent le foncier autour de Kanal et qu’on prévoie des logements sociaux, des espaces pour les habitants actuels, etc. » Un contrat de gestion à négocier Évidemment, pour mener à bien tous ces projets, il faut de l’argent. « On veut terminer l’exercice budgétaire dans les clous qui nous ont été fixés. Et on se prépare à négocier le contrat de gestion des années à venir avec le gouvernement régional. C’est essentiel pour pouvoir gérer et prévoir le travail des années à venir. Les investissements en termes de bâtiment et de travaux sont garantis. Mais nous devons négocier le budget de fonctionnement. Le contrat de gestion nous permettra de savoir quelle ampleur nous pouvons donner à nos activités dans les années à venir, avant l’ouverture. » Des recettes propres moindres que prévu De ce côté-là, l’équipe doit un peu revoir ses plans. « Nous avions tablé sur 1/3 de subsides et 2/3 de recettes propres. Dans les autres institutions, on est plutôt entre 70 et 100 % de subsides. Nous voulions essayer autre chose. Après ces six premiers mois, on doit reconnaître que c’est impossible à réaliser. Nous sommes plutôt dans une répartition 50-50 ce qui est déjà très bien, mais moins bien que ce que nous espérions. L’expérience Kanal Brut nous permet de tester des choses comme celles-là et d’arriver avec des bases solides au moment de l’ouverture. » Du côté des recettes propres, les choses ne vont pourtant pas trop mal. Outre le ticketing (75.000 visiteurs payants depuis l’ouverture), il y a le mécénat, « les locations de salles (quasiment tous les mardis, jour de fermeture, l’espace est privatisé pour un événement ou l’autre), le sponsoring… On visait 1 million d’euros en sponsoring. On en est quasiment aux 3/4 alors qu’il reste encore huit mois. » La fréquentation en soirée Autre petite déconvenue, la fréquentation en soirée. « On a tenté l’ouverture tous les jours en nocturne. Cela ne marche pas comme nous l’espérions. Surtout du côté des visites individuelles. Ce n’est pas encore rentré dans la tête des gens. Même dans le milieu culturel, certains me regardent tout étonnés lorsque je leur dis que nous sommes ouverts jusqu’à 22 heures. Il faudra encore travailler sur cela mais en attendant, nous allons adopter un horaire d’hiver du 1er novembre à la fin février (ouverture jusque 19 heures tous les jours et le samedi jusqu’à 22 heures). Mais dès le 1er mars, nous reprendrons nos horaires élargis jusqu’à 22 heures tous les soirs. » Des projets en pagaille Pas question donc de baisser les bras. Au contraire, on se retrousse plutôt les manches pour la suite de cette préfiguration qui verra bientôt arriver la création de Romeo Castellucci, un premier accord pour un ticket d’entrée commun avec le Mima, un studio d’archi organisé avec le Civa où les étudiants des trois écoles d’architecture bruxelloises plancheront durant six mois sur le quartier nord, des séminaires les lundis soirs avec l’ULB et la VUB, la mise en place d’un nouveau jury pour passer de nouvelles commandes à des artistes pour la future collection, des discussions avec des collectionneurs privés manifestant de plus en plus leur intérêt, une négociation avec le Stib pour une intervention d’artiste à la station de métro Yser, des projets d’œuvres en plein air le long du Kanal… Une multitude d’idées pour l’avenir. Mais dont beaucoup restent encore, aujourd’hui, dépendantes des futures élections régionales.

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