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Quel projet de société Deliveroo veut-il nous livrer?

Un ancien coursier salarié adresse une lettre ouverte à Mathieu de Lophem, gérant de Deliveroo Benelux, pour rebondir sur certains des propos qu’il a tenus dans un entretien au « Soir » du 25 septembre.

Carte blanche - Temps de lecture: 3 min

Cher Mathieu,

Nous nous connaissons bien, je travaillais pour toi comme coursier dans un contrat salarié via SMart que tu as dénoncé en octobre 2017.

Je roulais 35 heures par semaine, j’ai effectué 5.347 commandes, pas loin de 20.000 km pour Deliveroo entre avril 2016 et janvier 2018.

Petit à petit j’ai ouvert les yeux sur les objectifs et le système dans lesquels tes commanditaires basés à Londres souhaitaient nous engager.

J’aimerais revenir sur quelques points de ton interview parue dans Le Soir du 25 septembre, car ta façon de présenter les choses est trompeuse.

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1. L’assurance

L’assurance dont tu te fais le chantre comme si elle revêtait un caractère progressiste est largement inférieure à celle dont nous disposions en tant que salarié via SMart qui nous donnait le droit à une protection étendue. Aujourd’hui en revanche, l’assurance de Deliveroo n’intervient qu’en fonction de barèmes très limités. Par exemple :

– Perte d’un membre : 50.000 euros et puis… plus rien.

– Incapacité totale permanente : 50.000 euros et puis rien.

– Quadra- et hémiplégie : 100.000 euros et puis rien.

Quand on pense à l’âge moyen des coursiers, on voit qu’en cas d’accident les invalidant à vie, ces jeunes gens devront se contenter de rien pendant de longues années de noire misère.

2. La rémunération à la commande

Tu dis : « Avant on les rémunérait (les coursiers) au minimum pendant trois heures, et parfois à être assis à ne rien faire ».

Assis sur son vélo à attendre la délivrance d’une commande, quel enviable destin !

Faut-il rappeler que pendant qu’il travaille, un coursier doit être présent dans une zone spécifique, près des restaurants, dans le froid, sous la pluie, quels que soient les aléas climatiques ?

3. La flexibilité

Tu évoques souvent le désir de flexibilité du livreur, or cette flexibilité est totalement illusoire car pour maximiser ses chances de rémunération, le coursier devra prester aux horaires pourvoyeurs de commandes, soit principalement le soir et le week-end.

De plus le système de statistiques mis en place afin de réserver les créneaux les plus lucratifs aux plus performants, oblige les autres à ne travailler que dans les créneaux restants.

4. Lois sur mesure

Tu ne dis pas grand-chose sur l’énorme cadeau qu’a reçu Deliveroo de l’Etat belge : la loi de relance économique et de cohésion sociale qui permet de travailler à hauteur de 500 €/mois défiscalisé, mais qui te permet surtout, sans aucune charge patronale, de recruter 2.500 coursiers payés à la tâche.

Cette loi, écrite sur mesure pour les plateformes comme Deliveroo et Uber, cache un projet de société inquiétant, où le travail sera sans contrainte ni devoir pour l’employeur, avec une concurrence extrême entre travailleurs, sans minimum horaire, un travail à la tâche pour tous.

Une loi qui a déjà provoqué l’élimination des indépendants au sein de Deliveroo, puisqu’en avril 2018, il ne restait plus que 142 indépendants à titre principal contre 1.508 travailleurs recrutés sous cette loi.

5. La rémunération à distance

Cet été, une rémunération à la distance a été mise en place. Elle fonctionne ainsi : montant de prise en charge de 2€ + montant de livraison de 1€ + montant variable basé sur la distance. Il est ajouté que ce montant variable basé sur la distance minimum sera revu chaque mois. Deliveroo pourra donc appliquer chaque mois un tarif plus bas pour une même course, sans aucune concertation ni visibilité pour le coursier.

À lire aussi Deliveroo a plus que triplé son chiffre d’affaires en Belgique en 2017

Derrière cette communication basée sur la « coolitude » dont tu abuses, voici le vrai projet de société, issu directement du XIXe siècle, que Deliveroo met en place avec la bénédiction de nos gouvernants actuels.

 

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