La mémoire courte des golden cowboys
Un article consacré au développement de la plateforme Cowboy paru dans nos colonnes ce mardi 23 octobre fait réagir Sandrino Graceffa, le CEO de la coopérative SMart. Ce dernier interpelle les actionnaires et les anciens membres de Take Eat Easy sur leur « mémoire courte » et sur leur responsabilisation économique vis-à-vis des anciens coursiers et de SMart.

Quelle stupeur de lire dans les journaux que les jeunes fondateurs de Take Eat Easy sont célébrés en fanfare pour avoir réussi à lever un fonds de 10 millions d’euros destiné à lancer une nouvelle start-up bruxelloise baptisée Cowboy. Et quels tremblements (de colère) de voir que les médias en parlent comme d’une belle réussite entrepreneuriale !
Une lourde ardoise
N’ayons pas la mémoire courte : ces cow-boys dont on vante le goût de l’aventure ont tout de même laissé derrière eux une lourde ardoise dont nous sommes nombreux à avoir payé le montant à leur place. Rappelons les faits. En juillet 2016, la plateforme Take Eat Easy annonce sa faillite. La start-up laisse sur le carreau des milliers de coursiers à travers l’Europe, considérés comme des collaborateurs indépendants et n’ayant dès lors droit à aucune indemnité. La plupart des travailleurs de TEE seront en outre spoliés de leurs dernières semaines de rémunération. Seule exception, les coursiers salariés via SMart dont le contrat garantit le paiement des salaires à sept jours, même si l’entreprise qui recourt à leurs services est défaillante. Montant total des salaires honoré par SMart : 400.000 euros qui – faut-il le préciser ? – ne lui ont jamais été remboursés.
Ajoutons aux victimes de cette faillite le gros millier de restaurateurs qui ont préparé des repas jamais payés par Take Eat Easy, bien que ses clients aient versé immédiatement leur quote-part pour le service fourni. Les montants dus à certains de ces restaurateurs peuvent s’élever jusqu’à 20.000 euros.
Un saisissant contraste
La question de fond, celle qui irrite et stupéfie, est de comprendre comment nos cadres légaux permettent à des personnes ayant fait des dégâts d’une telle envergure de glisser sur leur échec avec une parfaite désinvolture, sans la moindre préoccupation des conséquences de leurs actes passés. Des cadres légaux qui permettent aux entrepreneurs de laisser assumer tous les risques à leurs travailleurs (leurs coursiers) et prestataires (les restaurateurs), en tirant tous les bénéfices de la situation. Quel contraste entre l’évidente réussite matérielle dont ces golden cowboys ont bénéficié à titre privé et les difficultés dans lesquelles se sont retrouvés leurs travailleurs et prestataires !
Un devoir d’assumer le passé
Clairement les entrepreneurs ont le droit à l’erreur, mais si par la suite, ils réussissent, n’ont-ils pas le devoir d’assumer – ne serait-ce que partiellement – leurs dettes ? Dans cette histoire, les golden cowboys de Take Eat Easy n’ont eu à souffrir d’aucune conséquence, ne répondent de rien et tirent même profit de leur première expérience désastreuse, alors que d’autres en ont payé les frais à leur place.
Pire même, on nous annonce qu’ils gardent la confiance des investisseurs. La nouvelle levée de fonds à laquelle procède leur start-up est « emmenée majoritairement par le fonds new-yorkais Tiger Global Management et soutenue par ses investisseurs de la première heure – (Oscar Salazar (Uber), Thibaud Elzière (eFounders), Bertrand Jelensperger (LaFourchette), Harold Mechelynck (Ogone), Frederic Potter (Netatmo) et Francis Nappez (BlaBlaCar). »
Appel à la moralisation
On reconnaît parmi ces derniers des acteurs de premier plan de l’économie de plateforme. Or, on sait qu’aucune plateforme de livraison n’est rentable à l’heure actuelle. Et au vu de leur modèle économique, tout porte à croire qu’elles ne le seront jamais. Qu’est-ce qui motive dès lors ces investisseurs ? Seraient-ils en train d’alimenter une bulle spéculative ? Ou bien unissent-ils leurs efforts pour continuer à mettre à mal l’écosystème du monde du travail et de la protection sociale (au sens large), de manière à laisser le champ libre aux prédateurs de l’économie numérique ?
De récents scandales ont conduit l’opinion à réclamer une moralisation de la vie politique et de la gouvernance des sociétés publiques. À quand une réaction du même ordre pour le monde des affaires ?
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Si ce qui est dénoncé ici est exact, cela met sérieusement en cause la courte vue du journaliste auteur de l'article de 23 octobre. Une des bases du journalisme est d'aller chercher la réalité cachée derrière la première apparence. Mettre en perspective, replacer dans un contexte... et certainement pas faire l'apologie des personnes dont on parle.
Mais que fait le gouvernement face à ces faiseurs de misère? Il ne prend pas le temps de s'en occuper: il a trop à faire à "activer" les malades, les chômeurs et piller la sécurité sociale pour réduire les cotisations sociales des grands patrons sans meur imposer de créer des emplois en échange. Par contre, attention, 7 patrons sur 10 n'aiment plus les barèmes! Vite, Charles, au travail!