Dominique Moïsi: «L’Amérique garde sa primauté, mais pour le mal»

Pour Dominique Moïsi, politologue à l’Institut Montaigne à Paris, l’effet exemplatif des Etats-Unis dans le monde est toujours bien réel mais très négatif : « Au cours des vingt dernières années, l’Amérique est passée de trop d’engagements dans le monde à trop de repli sur soi ». [scald=25540274:sdl_editor_representation] Depuis que Donald Trump est président, peut-on parler d’effet domino au niveau de la libération de la parole dans le monde ? Est-ce qu’il commence avec Trump ? Avant lui, on a eu le Brexit et Orban en Hongrie. Il y a incontestablement un effet domino qui se renforce et s’accélère avec Trump, mais je parlerais plutôt d’un effet accélérateur et amplificateur. Qui a généré quoi ? L’élection de Bolsonaro au Brésil, par exemple. C’est la dernière illustration et la plus dramatique, le géant de l’Amérique latine qui vient de sombrer dans le populisme. Les Etats-Unis donnent toujours le ton dans le monde ? Difficile à dire puisqu’ils se retirent aussi du monde en termes de responsabilités. C’est ça le paradoxe : on parle beaucoup plus de l’Amérique, mais en mal. Son pouvoir de contraindre ne semble plus au niveau qu’il était hier. Par contre, celui de convaincre – le « softpower » – a brutalement chuté. C’est un vrai paradoxe : il y a ceux qui se disent qu’on peut suivre l’Amérique puisqu’elle nous emmène dans une voie qui est celle dans laquelle on veut aller, c’est-à-dire le populisme. A l’inverse, il y a ceux qui disent : « Nous ne nous reconnaissons plus dans cette Amérique qui, hier, avait des valeurs universelles et mettait en avant le multilatéralisme ». Et puis il y a ceux qui disent que le pouvoir de convaincre n’est pas à Washington mais à Hollywood ; et donc cela va continuer. Au niveau économique, la tendance est clairement protectionniste… L’espoir de croissance qui a été un peu douché au cours des derniers mois, tient quand même largement à la guerre commerciale qui vient de commencer entre les Etats-Unis et la Chine. Cela n’encourage pas les gens à l’optimisme ou à l’initiative. Sur ce plan-là, on peut parler d’effet négatif de la présidence Trump. Mais s’il se représente dans deux ans, il a de grandes chances de l’emporter… On aura une première vision mercredi matin avec les résultats des Midterms. Aujourd’hui, le plus probable, c’est que Trump et les Républicains gardent le Sénat (peut-être même en y renforçant leur majorité) et perdent peut-être leur majorité à la Chambre des représentants. Et là, tout dépendra de l’étendue de la défaite. Si le Parti républicain garde le Sénat et perd un peu à la Chambre, Trump sera dans de bonnes conditions pour se représenter en 2020. Ce sera encore plus fort s’il gagne des deux côtés évidemment. Les sondages montrent des résultats tellement serrés que c’est difficile à dire. Aujourd’hui, l’impression c’est que Trump a réussi à mobiliser son électorat et que son noyau dur est toujours derrière lui alors que les démocrates sont divisés et n’ont pas de candidat à la présidence. Si ces derniers font de bons résultats, des candidats vont sans doute se déclarer… Un Sénat républicain et une Chambre démocrate, deux années de blocage en vue ? Tout dépendra de l’étendue de la victoire démocrate… Le risque, ce n’est peut-être pas le blocage institutionnel mais la guerre civile avec la polarisation extrême de la société américaine. Le climat est vraiment délétère. L’impact des deux premières années Trump peut perdurer dans le temps ? On peut même penser que si Trump a le sentiment qu’il sort plus ou moins indemne de ces élections, on assistera dans les deux années qui viennent à une forme de Trump Plus. Ce sera encore plus radical, plus rude, plus extrême. Il se dira : « Il y a plein d’Américains qui me détestent, c’est très bien. Plus je suis attaqué, plus la base me suit ». Il a réussi à transformer ces Midterms en un référendum autour de sa personne. Il a détourné la stratégie des démocrates en sa faveur. Il a réussi à changer l’ordre mondial ? Oui, mais dans le pire des sens. Il a rapproché le monde du chaos. Il a réussi à déconstruire l’ordre international de l’après-guerre. Les paroles sont des armes. L’Amérique garde sa primauté, mais pour le mal. Il y a une vraie crise morale.

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