Catherine Corsini: «Je me suis accrochée aux mots de Christine Angot»

Catherine Corsini a toujours aimé plonger au cœur des passions extrêmes et mettre en scène des histoires d’amour contrarié. Elle aime aussi beaucoup les actrices belges. Après Cécile de France (La belle saison) et Emilie Dequenne (Mariée mais pas trop), elle a casté Virginie Efira pour être l’héroïne de son dixième long-métrage, l’adaptation du roman autobiographique de Christine Angot où elle raconte sa jeunesse à Châteauroux, entre l’amour indéfectible d’une mère et les drames de sa relation avec son père. Face au roman, vous avez opté pour une approche plus douce, plus romanesque. Pourquoi ? Le roman est plus mental car incarner un personnage, le voir vivre ou être avec des mots qui vous font sentir ce que vit intimement un personnage, ce sont deux choses différentes. Comme raconter le temps dans un roman ou au cinéma. Mettre en scène une histoire qui se déploie sur trente ans, cela a à voir avec l’émotion, la vie, le temps qui passe. On est dans une fresque. C’était ça qui m’intéressait. D’où l’envie de donner plus de douceur à cette histoire tout en préservant ce qui est raconté. On garde ce qui est dramatique mais en montrant la complexité de la vie. Et j’ai gardé la sécheresse de l’écriture de Christine Angot avec la voix off. Pourquoi faire exister le père, l’amant, uniquement à travers les yeux de Rachel ? Je suis restée assez fidèle à la manière dont Christine Angot raconte l’histoire du point de vue de la mère et comment elle essaie de se mettre à la place de cette mère. Je voulais montrer comment ce personnage aveuglé par son amour pour cet homme et par son amour pour sa fille veut lui offrir la vie la plus extraordinaire en lui disant qu’elle est une enfant de l’amour. Quand Rachel voit que cet homme s’occupe enfin de sa fille, elle en est ravie. C’est là que sa condition sociale l’aveugle et qu’elle ne voit pas ce qui se passe. On se rend compte que cette histoire intime est universelle dans son rapport de classes. Je me suis permis deux entorses : le moment où il monte dans la chambre de sa fille pour l’aider à faire sa valise et un moment où on le voit en voiture avec sa fille. Vous êtes-vous posé la question de filmer l’inceste ? Bien sûr je me suis posé la question. J’ai lu tous les autres romans de Christine Angot et j’avais envie de rester dans la pudeur. Montrer l’inceste aurait fait scandale à un endroit où je ne voulais pas que le film soit. On aurait tellement été heurté qu’on aurait mal jugé la mère. Je voulais plutôt être du côté de cette femme qui n’a jamais rien vu mais est hantée par ça. Le cinéma est aussi l’art de ne pas montrer, c’est aussi le hors-champ. Je me suis accrochée aux mots d’Angot. Le film est en deux temps, le temps du rêve et le temps de la vie, comme si on passait d’un film de Douglas Sirk à un film de Pialat. Vous avez développé votre film qui montre un processus pour arriver à dire les choses avant l’affaire Weinstein… L’aliénation des femmes est effectivement un sujet qui m’importe et me passionne depuis longtemps. Le fait que Un amour impossible arrive aujourd’hui, qu’il fasse écho à ce qu’il se passe, c’est une pierre de plus dans cette voie-là et j’en suis contente. Car je reste encore étonnée par des réactions masculines par rapport au film. Le film peut les mettre mal à l’aise car ils n’y voient qu’une dénonciation. Je me rends compte que beaucoup d’hommes n’ont pas pris la mesure de ce qu’ont subi les femmes et la place à laquelle elles ont été assujetties pendant des années. La plupart des films des années 50 montraient les choses à travers le prisme des hommes. Même dans les portraits de femmes signés par de grands réalisateurs. Et c’est encore très prégnant dans la façon dont les hommes peuvent prendre ce sujet. Il reste une résistance. Je le ressens de manière très profonde. Les femmes ont à conquérir cela. Quelle relation avez-vous eu avec Christine Angot ? Je voulais adapter son roman seule. Je ne voulais pas être influencée. Christine Angot sait très bien ce qu’est d’être artiste, d’être créateur et elle m’a laissée libre. Elle a juste demandé à lire la version définitive du scénario. Elle n’est pas venue sur le tournage, elle m’a laissé le choix des acteurs. Elle a vu le film terminé et je pense qu’elle a été émue. Il y avait une confiance, un respect. Le roman est assez fort, il fallait que j’y trouve ma place. Pourquoi Virginie Efira ? J’ai rencontré Virginie à un festival à Angoulême. Je venais de voir le film Victoria où je l’avais trouvée incroyable. Car, pour moi, Virginie était une actrice de comédie. Je ne l’imaginais pas comme ça. J’ai trouvé son comportement avec la réalisatrice exemplaire. Leur solidarité m’a beaucoup plu. Le fait de lui proposer le rôle de Rachel m’excitait car il y avait quelque chose de la première fois pour elle. J’allais l’emmener vers quelque chose qu’elle n’avait jamais fait. On a fait une journée d’essais extrêmement poussés et j’ai senti toute son appétence à faire ce rôle. Elle a eu l’intelligence de ne pas amener le personnage à elle, mais d’aller vers le personnage. Elle aurait pu se vautrer dans l’émotion et les pleurs. Au contraire, elle a été comme l’est Rachel, d’une grande dignité et d’une grande humilité. Rachel est un personnage qui ne se plaint pas et reste toujours debout. Virginie lui a donné sa force, sa pensée, sa réflexion, son intelligence. Elle a été dans le sens du rôle avec beaucoup de finesse. Ce qui est merveilleux avec Virginie, c’est que rien n’est désabusé. Elle a une croyance totale dans son jeu, dans le rôle, dans ses partenaires, dans le cinéma. C’est la troisième actrice belge que vous dirigez. Qu’aimez-vous chez elles ? Une grande simplicité, une grande modestie, une force de travail, quelque chose de très joyeux et de bon vivant.

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