Pizzas, rencontre aux WC, coups de fil intempestifs: plongée dans les coulisses des négociations PS-PTB

On a beaucoup lu et entendu les mots « rupture », « arrogance », « ligne rouge », « sincérité » « majorité absolue », « oui, mais… » dans la bouche des négociateurs du PS et du PTB ces dernières semaines. À côté du discours officiel, en coulisses, il s’est passé d’autres choses qui peuvent avoir eu un impact sur cette séquence inédite dans l’histoire récente de la politique belge francophone. Petites chroniques d’un échec pas forcément annoncé. Vous prendrez bien un échevinat ou deux ? « Les gens voulaient du PTB ? J’étais prêt à leur donner du PTB ! » À Charleroi, Paul Magnette a rapidement mis sur la table deux postes d’échevin destinés aux têtes d’affiches locales : Sofie Merckx et Germain Mugemangango, par ailleurs porte-parole du parti. « J’ai vu leur visage se décomposer, raconte le bourgmestre socialiste, qui souhaitait leur confier la gestion de la société responsable des logements publics à Charleroi, La Sambrienne. Afin qu’ils voient que remplacer un ascenseur dans les logements sociaux se fait via un marché public et pas en un claquement de doigts. » Paul Magnette le reconnaît : il y avait un peu de tactique dans sa proposition qu’il assure « sincère ». Il partait du principe que Sofie Merckx et Germain Mugemangango seront respectivement têtes de liste aux élections régionales et fédérales en mai 2019. Au PTB, le cumul n’est pas permis. Accepter ce poste les aurait handicapés dans la campagne. Même proposition faite à Nadia Moscufo (PTB) qui s’est vu rapidement offrir l’échevinat du Logement par Frédéric Daerden (PS) à Herstal. Et ce n’était pas la première fois. « Ça fait des années qu’il me propose de rejoindre le PS et de devenir échevine mais j’ai grandi dans une famille communiste italienne, ce n’est pas possible, assure celle qui croyait vraiment pouvoir mener une première expérience du PTB au pouvoir en Wallonie. Ce qui me fait le plus rire, c’est que du jour au lendemain, je suis devenue à ses yeux une femme super-compétente qui a plein d’expérience. C’est faux, j’ai toujours été dans l’opposition. Je sais que cette proposition n’a pas été faite par gentillesse, parce qu’on s’entend plutôt bien. C’est surtout que le bourgmestre n’a pas assez de femmes dans son équipe. » Une part de pizza pour une union à l’italienne Dans une négociation, il y a aussi ces petites attentions qui comptent. À Molenbeek, la deuxième réunion entre PS-PTB et Ecolo a duré près de six heures. Au bout d’un moment, les ventres ont commencé à gargouiller. Il a été décidé de faire livrer des pizzas – la rencontre avait lieu dans l’arrière-salle d’un lieu appartenant au SP.A, les socialistes flamands en cartel avec le PS à Molenbeek, qui ne fournissaient pas le couvert. Chacun devait payer sa part. Or, le PTB n’avait pas apporté de cash. Ecolo est venu à sa rescousse en avançant la somme. Quelques heures plus tard, les Verts débranchaient la prise des négociations, pas convaincus par les propositions de Catherine Moureaux en matière de bonne gouvernance. Le lendemain, les marxistes quittaient aussi la table avec pour argument principal… le départ des Ecolo. Une forme de remboursement en nature ? L’utilisation de l’application Bancontact aurait-elle changé le cours de l’histoire ? Moi populiste ? L’insulte qui ne passe pas Rien de tel pour bien énerver un élu du PTB que de le traiter de « populiste ». Jef Van Damme (SP.A), qui négociait aux côtés de Catherine Mouraux à Molenbeek, n’a pas pu se retenir lorsque la question de la baisse des salaires du bourgmestre et des échevins (une des priorités du PTB) a été abordée. Jef Van Damme précise qu’il critiquait la proposition, pas ses auteurs. Raté. Se sentant déjà « peu en confiance », Dirk De Block, qui négociait pour le PTB, a pris le mot comme une insulte. C’est sans remords qu’il a claqué la porte quelques jours plus tard. Sur la même question des salaires, Paul Magnette a aussi crispé les débats en demandant des précisions à Sofie Merckx sur la praticabilité de la mesure. « J’ai des échevins qui ont des conjoints sans revenus et qui vivent avec 2.000 euros par mois alors que la famille Merckx est à 5.000 euros, ce qui est similaire à ma situation. Si vous voulez savoir comment les gens vivent, c’est le revenu du ménage qui doit être la référence. » Il attend toujours la réplique du PTB. Le téléphone, arme de négociation massive Il y a autant de manières de communiquer entre négociateurs qu’il y a de négociations. Willy Demeyer, à Liège, fait partie de l’école classique qui décroche son téléphone pour prendre rendez-vous. Plus modernes, Frédéric Daerden et Nadia Moscufo se sont envoyé des SMS et des mails. « Chère Nadia, voici comme convenu. Bise. Fredo » avait déjà été relayé par votre quotidien. Le bourgmestre d’Herstal a eu le temps de décoller pour de brèves vacances avant de recevoir de la part de Nadia Moscufo, qui a consulté sa base pendant près d’une semaine : « J’ai une proposition à te faire. On peut se voir lundi après-midi ? » Proposition qui consistait à sortir de la négociation par le haut via un communiqué commun. Face à la tortue communiste, Catherine Moureaux aurait été moins patiente. Dirk De Block affirme avoir reçu des dizaines d’appels de proches de la bourgmestre pour le presser de fixer le deuxième round des négociations. « Même des responsables de mosquée », nous a-t-on raconté. Catherine Moureaux réfute avoir demandé à qui que ce soit de téléphoner à Dirk De Block. « C’est de la foutaise cette histoire d’agenda. Je me suis calée à leur rythme. C’est même eux qui ont unilatéralement annulé la deuxième réunion. Je l’ai appris dans la presse ». Elle reconnaît toutefois avoir demandé à Sarah Turine (négociatrice Ecolo) d’appeler Dirk De Block vu la pression médiatique autour de ces négociations. « Ce n’était pas vraiment idéal pour instaurer la confiance », soupire le marxiste. Le PTB a pourtant voulu se la jouer bon prince au moment de la rupture. « On a choisi d’aller le dire en tête à tête par question de respect ». Cela n’a pas empêché Catherine Moureaux de considérer la démarche comme « violente ». Le PTB assure qu’elle a refusé de leur serrer la main en guise d’adieu. « Encore des foutaises. Ils étaient sortis avant que j’aie eu le temps de me lever. » Passe-moi ta note que je la diffuse Pas du genre à « signer un accord la nuit des élections sur un coin de table sans avoir parlé du programme », le PTB s’est généralement présenté les mains dans les poches face à ses interlocuteurs lors du premier tour des discussions. Certains socialistes affirment avoir subi un vrai « interrogatoire » de la part du PTB. « On dirait que c’est eux qui étaient en majorité absolue, s’étrangle un bourgmestre wallon. Quelle arrogance ! » Pour le deuxième tour, les marxistes avaient préparé une note de huit pages à Molenbeek. Elle a rapidement circulé jusqu’à Charleroi. « Bien sûr qu’on s’est parlé, raconte Catherine Moureaux. J e voulais avoir son avis pour voir ce qui était possible ou pas. » Entre-temps, Paul Magnette avait déjà fait évaluer le coût pour le contribuable des principales idées martelées par le PTB (plus de logements sociaux, transports en commun gratuits, plus d’emplois publics…). Sentant le vent tourner, les PTBistes de La Louvière ont fait poireauter Jacques Gobert (PS) plusieurs jours alors qu’ils lui avaient promis une note. « Quand on a vu la campagne de calomnie du PS sur les réseaux sociaux, on a décidé de ne plus faire de note, raconte Antoine Hermant (PTB). On s’est rendu compte qu’il y avait une tactique du PS de prendre nos revendications les unes après les autres pour expliquer aux gens que ce que nous proposons est impossible à mettre en place. On n’a pas voulu rentrer dans ce jeu-là. Des gens du PS qui nous aiment bien m’avaient déjà prévenu qu’on risquait de “se faire bouffer”. » Un instant de convivialité aux toilettes Ceux qui n’arrivent toujours pas à comprendre comment Raoul Hedebouw et Willy Demeyer ont pu se parler aussi cordialement durant l’ensemble des négociations – et même une fois qu’elles étaient terminées – à Liège doivent se rendre à l’entresol de la maison communale. Comprenez : au petit coin. Par hasard, les deux Liégeois s’y sont retrouvés côte à côte. L’occasion de se congratuler sur le respect dont chacun faisait preuve depuis le début des discussions vis-à-vis de l’autre. Un rapprochement on ne peut plus intime qui n’a cependant pas suffi pour ne fût-ce qu’esquisser une ébauche d’accord entre les deux formations dans la Cité ardente. Rendez-vous sur Facebook pour la bataille finale Chacun sa technique pour mettre un coup de pression à l’autre. Paul Magnette a utilisé votre quotidien. Son interview dans Le Soir, le week-end entre les deux premières rencontres, est très mal passée auprès du PTB carolo qui lui reproche son attitude « professorale ». L’intervention de Catherine Moureaux à la télévision après le départ surprise des écologistes, intervention lors de laquelle elle mettait PTB et Ecolo dos-à-dos, a eu le même effet. Pour leur répondre, les communistes ont préféré les réseaux sociaux. Via des posts Facebook, les négociateurs dévoilaient les coulisses et surtout les blocages. Une manière de montrer qu’ils n’y croyaient déjà plus vraiment. Les socialistes étaient aussi présents sur ce nouveau terrain de jeu. Les visuels sponsorisés publiés sur tous les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter…) quelques minutes après la fin des négociations à Molenbeek et Charleroi ont choqué au PTB. Ils en ont d’ailleurs fait un argument pour prouver « l’hypocrisie du PS ». Paul Magnette et Catherine Moureaux assurent n’y être pour rien et affirment ne pas avoir apprécié l’initiative de leur propre parti. Cela n’a pas empêché la possibilité d’une alliance dans les communes où on négociait toujours de se dégonfler comme une baudruche.

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