Pourquoi le 11 novembre ne signifie rien en Allemagne
Pas de 11 novembre en Allemagne mais le souvenir d’une mutinerie à Kiel contre l’empereur. Les Allemands ne commémorent pas l’armistice de 1918 mais la proclamation de la République.

Depuis Berlin
Si vous demandez aux Allemands ce que signifie pour eux le 11 novembre, ils vous répondront immédiatement : le début du carnaval (chaque 11 novembre à 11 h 11) ou encore la célébration de la Saint-Martin, une fête traditionnelle avec des retraites aux flambeaux où les enfants sillonnent les rues des villages et des villes avec des lanternes.
Alors que les Belges, les Français ou les Britanniques commémorent ce dimanche la fin de la « Grande Guerre », les Allemands fêtent la révolution, celle de la fin d’un autre monde : celui de l’empire de Guillaume Ier et de Guillaume II. Pas même un discours ou une minute de silence à l’assemblée fédérale (le Bundestag). Aucune commémoration officielle n’a été prévue pour marquer l’armistice du 11 novembre, qui n’est même pas une défaite dans l’inconscient collectif.
« Le 11 novembre n’est pas un jour de commémoration. Pour les Allemands, il n’y a pas un pays qui a gagné la guerre et un autre qui a perdu », analyse Dirk Kurbjuweit, écrivain et rédacteur en chef adjoint du magazine Der Spiegel. « Pour les Allemands, les responsabilités de la Première Guerre mondiale sont partagées. Par ailleurs, elle n’a pas été aussi diabolique que la Seconde pour nous. La défaite de 1945 puis la reconnaissance de l’Holocauste sont des événements tellement énormes qu’ils jettent dans l’ombre tous ceux qui précèdent », ajoute-t-il.
« La guerre de 14-18 est beaucoup moins présente dans la conscience des Allemands », confirme Daniel Schönpflug, historien à l’Université libre de Berlin (FU). « Le travail de mémoire explique entre autres cette situation. En France, les mémoriaux ont été installés quelques mois seulement après la fin de la guerre. En Allemagne, il faudra attendre 1929 pour voir le premier sortir de terre », dit-il.
Le mois de novembre est également un mois chargé d’histoire pour les Allemands. « Le 9 novembre, notamment, est le jour le plus important de l’histoire du XXe siècle en Allemagne. Il a complètement occulté le 11 novembre », estime l’historien français Etienne François, ancien directeur du centre Marc Bloch à Berlin et grand connaisseur des relations franco-allemandes.
Et pourquoi le 9 novembre ? C’est le jour de la double proclamation de la République en 1918 (par le social-démocrate Philipp Scheidemann et par le communiste Karl Liebknecht) mais aussi du putsch raté d’Adolf Hitler en 1923 et surtout du pogrom contre les Juifs du Troisième Reich en 1938 (la « Nuit de Cristal »). Enfin, le 9 novembre est le jour de la chute du Mur de Berlin en 1989. « Il est donc impossible de fêter le 11 novembre, trop proche de cette date essentielle du 9 novembre qui cristallise beaucoup de choses en Allemagne », explique Etienne François. C’est aussi, paradoxalement, pour cette raison que les Allemands n’ont pas choisi le 9 novembre – pourtant anniversaire de la chute du Mur ! – comme jour férié. « Cette date est trop ambivalente pour en faire un jour de fête nationale. On peut se réjouir de la révolution et de la chute du Mur mais pas du putsch d’Hitler et encore moins de la Nuit de Cristal », constate l’historien français.
L’effondrement d’un empire
L’événement le plus symbolique de ce mois de novembre 1918 est la mutinerie de Kiel, qui débute le 3. Elle va mener à l’abdication de l’Empereur et à la fin de la Première Guerre mondiale. Il y cent ans, les marins de la flotte stationnée dans la rade de Wilhelmshaven avaient refusé d’appareiller pour aller se battre contre la Royal Navy alors que la guerre était déjà perdue. « Les dernières années du conflit sont marquées par la faim et les maladies. La fin de la guerre est accueillie avec beaucoup de soulagement », rappelle Daniel Schönpflug. Cette mutinerie reste une date beaucoup plus importante pour les Allemands. Elle a fait l’objet de beaucoup d’articles de presse pour le centenaire.
Pendant les commémorations, les Allemands ne revivent donc pas une défaite mais l’effondrement d’un empire qui avait uni l’Allemagne pendant presque un demi-siècle, depuis la création de l’empire en 1871. « C’est la première révolution qui réussit en Allemagne. Mais cette République [Weimar, NDLR] va connaître de nombreuses crises qui déboucheront sur la dictature de 1933. Je pense que cet enchaînement de circonstances fait que novembre 1918 est considéré autrement en Allemagne qu’en Belgique ou en France », analyse Daniel Schönpflug. « Les Allemands, qui étaient déjà très sceptiques sur les chances de réussite de la révolution, considèrent aujourd’hui l’événement comme l’origine de la catastrophe hitlérienne », ajoute l’historien.
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S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir2 Commentaires
Article intéressant, je n'avais pas noté combien le 9/11 était très lourdement chargé dans l'Histoire de l'Allemagne et la fin de la guerre effacée par l'avènement de la République de Weimar. Au fond de ce point de vue, l'Allemagne a un comportement plus digne que les pays adverses car si la seconde guerre mondiale est principalement due à l'agression allemande et si l'holocauste marque à jamais l'histoire de l'Allemagne, nulle sauf à tomber dans les erreurs funestes du passé ne peut sérieusement nier que le bellicisme était partout et non seulement dans la triple Alliance. S'il faut partager le souvenir des hommes tombés dans les tranchées, il faut partager le souvenir de tous les hommes tombés au champ d'horreur et non seulement les nôtres et certainement en ces temps troublés d'aujourd'hui se rappeler du sort funeste des nations qui se laisse aller au nationalisme, à l'autoritarisme, au racisme. Il y a plus que de la matière utile pour faire de ces journées bien autre chose qu'un barnum patriotique largement déplacé!
Remarquez que le 11/11 n'est pas fêté au G.D. de Luxembourg.