Evan Williams, fondateur de Twitter: «Il faut convaincre les gens de payer pour s’informer»

Depuis Lisbonne Il a changé la manière dont l’information est publiée et partagée sur internet. Plus que ça : la manière dont vous la consommez. Evan Williams a cofondé Twitter en 2007, dirigé le réseau social de 2008 à 2010 et siège toujours à son comité de direction en tant qu’actionnaire majoritaire. Mais cela n’empêche pas le quarantenaire de faire récemment son coming out : Evan Williams est conscient que l’internet ne tourne plus rond, que les informations de qualité médiocre ont pris l’avantage. Que les réseaux sociaux ont exacerbé ce phénomène, également. Au printemps dernier, il envoie un manifeste pour « réparer le web », au New York Times, notamment. Avec Medium, plate-forme influente qu’il lance en 2012 pour « répandre les bonnes idées » – elle est utilisée par 90 millions de personnes chaque mois et publie 15.000 articles… par jour ! –, il veut convaincre le monde de payer pour accéder à des contenus de qualité. Une maxime qui peut aussi fonctionner, selon lui, pour les médias traditionnels. Vous pensez que le monde est meilleur avec les réseaux sociaux ? Je suis toujours au comité de direction de Twitter. Pas que cela change fondamentalement ma réponse, mais mieux vaut toujours connaître le contexte d’une information. Oui, je reste persuadé que le monde est meilleur avec les réseaux sociaux. J’aime cette question parce qu’aujourd’hui, et sans doute à juste titre, on se focalise surtout sur leurs mauvais côtés. J’ai pourtant ces dernières années vu des choses merveilleuses se concrétiser à travers les réseaux sociaux. Sur Twitter et sur les autres plate-formes. Pensez à MeToo, à Black lives matter ! Ces causes sont réelles, sont extrêmement puissantes et essentielles dans notre société. Donc, non, je ne souhaite pas d’un monde sans cette possibilité pour les gens de s’exprimer, de se rallier à des mouvements si rapidement, de toucher les autres instantanément. Mais vous avez écrit il y a quelques mois un manifeste pour « guérir internet »… Il faut distinguer les réseaux sociaux et l’internet en général. Medium, que j’ai fondé, a pour but d’améliorer l’audience de contenus de haute qualité. Ce qui est très difficile à faire sur l’internet d’aujourd’hui. Pourquoi ? A cause de la publicité. Ces 15 dernières années, la très large majorité de tous les contenus « professionnels » ont été monétisés uniquement via la publicité. Au début, cela fonctionnait. Désormais, cela ne fonctionne plus du tout. Cela fonctionnait avant l’arrivée des réseaux sociaux et de leur monétisation via la publicité, non ? Les réseaux sociaux ont exacerbé la problématique, oui, mais n’en sont pas responsables. Si ton unique moyen de gagner de l’argent, c’est de vendre de la publicité, particulièrement s’il s’agit de publicité en ligne dont l’efficacité n’est finalement vérifiée que par le nombre de fois où une page a été vue, tu te focalises alors sur attirer l’attention de quelqu’un pendant quelques secondes. Que ton contenu soit intéressant, de bonne qualité, sérieux ou utile à la société ne change rien ! Ce qui a complètement bouleversé l’écosystème médiatique. Dans ce business, tu sers plus le publicitaire et l’attention du consommateur que l’information du consommateur. Tu sers donc de moins en moins bien le consommateur. C’est pour cette raison que vous avez changé l’année passée le business model de Medium, abandonnant les revenus publicitaires en échange pour un abonnement payant ? Exactement. Si tu veux publier ou distribuer de manière efficace du contenu de qualité, l’unique solution, c’est de convaincre les gens de payer pour s’informer. Cela est valable pour les médias traditionnels également. Les gens sont-ils prêts, à nouveau, à payer pour s’informer ? C’est comme si je vous demandais de payer pour un sandwich alors que vous êtes en face d’un buffet de nourriture gratuit. On a eu droit à 15 ans de buffet gratuit ! Le comportement et les attentes doivent changer et, évidemment, c’est compliqué. Mais l’information de qualité sera de moins en moins accessible gratuitement et ceux qui ont conscience de l’importance de ce type de contenu vont progressivement modifier leur comportement, j’en suis persuadé. D’autres industries ont montré avant les médias d’information que ce modèle fonctionne. Celle de la musique. Des millions de gens payent pour des services de streaming musical parce que leur expérience utilisateur est de meilleure qualité. La télévision est peut-être l’exemple le plus évocateur actuellement : HBO ou Netlfix n’ont pas développé un model basé sur la publicité et cela a incroyablement amélioré le produit télévisuel. L’internet ouvert aujourd’hui est rempli de publicité, de soi-disant « réalités ». Les gens vont finir par se rendre compte qu’ils méritent mieux. Medium publie des contenus avec de bonnes idées, des pensées de gens talentueux, des réactions à l’actualité. Mais comment les sélectionnez-vous ? Qui décide de ce qui est bon ? Il y a plus de mauvaises idées que de bonnes, je suis d’accord. Nous partons du principe que tout le monde peut publier son idée, son histoire, sur Medium. Mais tout le monde n’y obtient pas une audience. Nous avons développé des systèmes, des algorithmes qui nous permettent de distinguer les contenus intéressants des autres. On s’est aussi vite rendu compte qu’on pouvait à l’aide des seules machines, découvrir ce qui était populaire mais pas ce qui était « bon ». On a donc des larges équipes humaines pour récolter et conserver ce type de données, les analyser. Il y a bien sûr aussi des règles sur ce que l’on autorise ou pas. Nous sommes à un moment de l’histoire où l’industrie technologique fait son mea culpa, reconnaît ses erreurs de jugement. Etes-vous persuadés aujourd’hui d’appliquer les justes règles et algorithmes ? Nous pouvons toujours faire un meilleur boulot. Mais notre business model est, en quelque sorte, une validation de notre travail : les gens ne paieraient pas pour lire de bonnes idées sur Medium, si elles n’étaient pas bonnes. Notre nombre d’abonnés grimpe très vite. C’est un modèle direct qui nous permet de voir chaque mois si nos abonnés décident de le rester. Je me répète mais quand ton modèle est basé sur la publicité, cette validation est tout à fait différente, tu ne peux pas savoir si, au fond, tu fais du bon boulot. Pensez-vous que le problème des fake news peut être résolu ? Les « pures » fake news, cela peut être résolu rapidement et facilement. Les « mauvaises infos » ou « les infos bon marché », c’est plus compliqué. Parce que notre jugement humain peut nous aider à distinguer une information de mauvaise qualité d’une information d’une bonne qualité. Mais cela ne veut pas dire que vous éliminez ces infos, que vous les empêchez de circuler. Une société ouverte et démocratique ne peut pas obliger les gens à consommer tel ou tel type de contenus, elle peut, par contre, leur rappeler les enjeux derrière leurs choix.

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