Caravane des migrants: Mexico, dernière étape avant la frontière

Depuis Mexico, Santiago n’est pas, mais alors pas content du tout. Il se débat dans les bras de son père en hurlant : depuis qu’il est petit, il se balade la majorité du temps pieds nus et en t-shirt, et il ne comprend pas pourquoi on l’oblige soudain à porter un pull et des chaussettes qui grattent. Mais les températures de Mexico, à 2200 mètres d’altitude, chutent le soir, forçant les migrants à se couvrir pour passer la nuit dans les grandes tentes blanches qui occupent le stade Palillo Martinez, dans l’est de la ville. La caravane de migrants centraméricains continue sa progression en direction des Etats-Unis, et cette semaine, elle a fait halte dans la capitale mexicaine. Santiago a deux ans et il voyage avec ses parents Wilmel et Jessica, 26 et 22 ans. Partis du Honduras, ils visent Los Angeles, où les attend un oncle. Le Soir les avait rencontrés à Tapachula, Chiapas (lire notre édition du 23/10) , où ils venaient de franchir la frontière mexicaine par le fleuve. Trois semaines plus tard, le sac à dos à tête de grenouille de Santiago a rendu l’âme sur la route, mais la famille a l’impression d’avoir franchi « un vrai cap » en arrivant à Mexico. [scald=25697587:sdl_editor_representation] Les alentours du stade se sont transformés en village de fortune. Ici, un homme vent gants et bonnets en prévision des rudes températures nocturnes du nord du Mexique ; plus loin, des migrants fouillent dans une montagne de vêtements propres – sur la route, impossible de laver et sécher ses vêtements, alors il faut en changer régulièrement. A l’entrée du stade, un nid de prises électriques recharge les téléphones à tout va. Sur le parking, c’est la foire d’empoigne devant une voiture qui distribue des sacs à dos vert pomme siglés « Partido Verde », le parti écolo mexicain, plus connu pour les frasques de son jeune président que pour son programme. Le Mexique, opportunité de secours ? Près de l’entrée du stade, un coiffeur improvisé jouxte un stand de conseils légaux pour se préparer à l’arrivée à la frontière américaine. « Prenez le temps de peser le pour et le contre : avez-vous aussi envisagé de rester au Mexique ? », demande une bénévole à une femme venue avec ses trois enfants. « Malheureusement, les Etats-Unis n’accordent pas l’asile à ceux qui fuient la pauvreté et le manque d’opportunité », rappelle à une petite audience Anna Joseph, de l’ONG Imumi (Femmes en migration). Comme Iris, une Hondurienne venue se renseigner avec son fils, beaucoup de femmes craignent qu’on les sépare de leurs enfants une fois arrivés à la frontière. Les parents de Santiago partagent la même peur : une fois arrivés à Tijuana, ils ont prévu « d’observer ce qui se passe » avant de se rendre aux autorités migratoires. « Si on entend qu’ils séparent les parents et les enfants, on attendra avant de demander l’asile », explique Wilmel. La politique de séparation des familles, appliquée entre avril et juin par le gouvernement Trump, qui l’a supprimée face à l’indignation générale, a concerné plus de 2.000 enfants, dont certains ne sont toujours pas réunis avec leurs familles à ce jour. La fatigue commence à se faire sentir Au sein de la caravane, les effets du temps et de la fatigue commencent à se faire sentir : alors que les migrants progressaient d’un bloc à la frontière sud du Mexique, le groupe se fragmente peu à peu. De 7.000 au plus fort de leur marche, 5.500 ont été recensés à l’entrée du stade. Les plus forts tracent devant sans attendre quand les familles exténuées ralentissent le pas. Certains n’iront pas plus loin. Face aux 13.000 migrants centraméricains répartis dans les diverses caravanes qui progressent dans le pays, le président sortant, Enrique Peña Nieto, a annoncé le plan “Estas en tu casa” (Tu es chez toi), qui promet emploi, école et santé aux familles pour peu qu’elles se cantonnent au sud du Mexique. Le président élu, Andrés Manuel Lopez Obrador, qui prendra ses fonctions le 1er décembre, a promis des visas de travail supplémentaires pour les Centraméricains qui le souhaiteraient. Les autorités mexicaines ont déclaré avoir reçu 3.230 demandes d’asile depuis l’arrivée de la première caravane. [scald=25697586:sdl_editor_representation] Epuisés, à court d’argent ou démotivés, d’autres enfin ont renoncé et sont rentrés au Honduras. Le pays a déclaré plus de 5.000 retours depuis le départ de la caravane de sa capitale San Pedro Sula. La famille Galea a bien failli faire demi-tour, elle aussi. La grippe, qui tourne parmi les migrants, a touché Santiago et le petit garçon a souffert trois jours de fièvre, alarmant sa mère. [scald=25697588:sdl_editor_representation] A l’international, la caravane a marqué les esprits par sa taille et sa concordance avec les élections de mi-mandat américaines, ouvrant un boulevard au président américain qui en a fait un thème clé de sa campagne. A la veille du scrutin, les spéculations sur qui tirait les ficelles de cette caravane étaient nombreuses. Fin octobre, après un entretien avec le président hondurien Juan Orlando Hernandez, Mike Pence pointait « le Venezuela qui finance des groupes de gauche » au Honduras. Les appels au départ de Bartolo Fuentes Au Honduras, un homme s’est retrouvé dans l’oeil du cyclone : Bartolo Fuentes, ancien député de l’opposition. Engagé de longue date sur les sujets de migration, il est désigné par le gouvernement comme l’instigateur de la caravane à des fins politiques. Dès mi-septembre, des messages appelant à partir en groupe circulaient pourtant déjà sur les réseaux sociaux. Bartolo Fuentes indique avoir simplement « mis en contact plusieurs groupes désireux de partir » et relayé les appels au départ sur ses réseaux sociaux. Mais « rien ne laissait imaginer une telle ampleur », indique-t-il au Soir. De 160 personnes au rendez-vous initial, la caravane grossit d’heure en heure. HCH, la chaîne du câble la plus regardée du pays, a joué un rôle particulier dans l’histoire de la caravane. Le 12 octobre, la chaîne annonce le départ imminent d’un groupe de Honduriens vers les Etats-Unis. A l’antenne, une femme présentée comme une des migrantes soutient que « Bartolo Fuentes en est l’organisateur », ce qui conduit le présentateur à affirmer sans autre forme de procès que ce dernier « paye le transport et la nourriture des migrants ». Selon Fuentes, qui depuis a quitté le pays par sécurité, l’émission a produit « l’inverse de l’effet escompté », contribuant à répandre massivement la nouvelle de la caravane auprès des Honduriens. Au sein de la caravane, beaucoup confirment avoir appris la nouvelle à la télévision. La caravane est une chance de plus de forcer le passage vers les Etats-Unis, cette fois en évitant les nombreux dangers de la route au Mexique et le coût exorbitant d’un passeur. Elle rend visible un phénomène qui existe de longue date : depuis 2009, plus d’une centaine de Honduriens quitte chaque jour la violence et la pauvreté qui gangrènent le pays, direction le nord. La famille Galea a toujours vécu au rythme des départs : un oncle vit aux Etats-Unis depuis plus de dix ans ; une tante a profité de la caravane d’avril dernier pour le rejoindre ; et à 26 ans, Wilmel a déjà tenté sa chance deux fois, laissant Jessica et Santiago derrière lui, mais il s’est fait expulser du Mexique. S’il arrive enfin à destination dans les semaines qui viennent, Wilmel l’assure, « il se rappellera toute sa vie » de ce périple.

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