Insécurité, chantage, secrets: la face cachée du secteur pharmaceutique
Les firmes affirment subir les causes des pénuries. Or, souvent, elles sont la conséquence de la maximisation des profits. Exemples.


Côté face, les firmes sont toutes propres sur elles. Elles vous le disent d’ailleurs via papier glacé où tous les patients sourient, en famille, sous un soleil de printemps. Côté pile, c’est autre chose. Ces vingt dernières années, la plupart des majors du médicament ont déplacé la plupart de leurs unités de fabrication dans des pays à bas revenus. Officiellement, c’est pour produire là où de plus en plus de patients ont besoin de leurs produits. Dans la réalité, c’est surtout pour gagner davantage. Quitte à provoquer parfois le décès de patients. Le marché des molécules est globalisé, des acteurs ne s’y pointent que pour le profit.
Les exemples abondent. Martin Shkreli est devenu l’une des personnalités les plus détestées des États-Unis. Et pour cause. L’homme de 32 ans à la tête du fonds d’investissement Turing Pharmaceuticals a acquis les droits sur le Daraprim et il s’est empressé d’augmenter le prix de ce médicament important pour les patients atteints de VIH. La plaquette de Daraprim est ainsi passée de 13,50 dollars (12 euros) initialement à 750 dollars (670 euros), soit une augmentation de… 5.450 %, en l’espace d’une nuit ! Le coût de production de ce traitement est pourtant faible : il ne dépasse pas un dollar. Shkreli a été condamné en mars 2018 à verser 7,36 millions de dollars et à une peine d’emprisonnement de 7 ans. Mais pour d’autres escroqueries, pas pour avoir fixé le prix du Daraprim.
Hausse de 1.117 % !
On peut aussi citer le cas Aspen. En 2009, la firme rachète à GSK une série de médicaments contre le cancer plutôt anciens. Puis réclame une augmentation du prix aux autorités. « Il faut admettre qu’une certaine augmentation n’avait rien de déraisonnable », explique Martine Van Hecke, pour Test Achats, qui avait demandé l’ouverture d’une enquête contre Aspen. Car Aspen demande des augmentations faramineuses : 118 euros au lieu de 10, soit une augmentation de 1.117 % pour le Leukeran, un anticancer indispensable. Pour six médicaments, Aspen facture donc 3 millions d’euros à notre Sécu au lieu de 288.000 euros. Si la Belgique n’avait pas payé, « l’approvisionnement des patients belges aurait été mis en péril », écrit cyniquement la firme.
Mais la firme a été condamnée en Italie pour les mêmes faits et le Beuc, organisation faîtière européenne des organisations de consommateurs, a obtenu que la Commission européenne entame une enquête sur ces pratiques. D’après une étude de l’hôpital universitaire de Gand, plus de la moitié des médicaments indisponibles « étaient importants pour des soins aigus ». Pour plus d’un cinquième, une procédure d’urgence a dû être enclenchée, notamment par des achats à l’étranger, souvent au prix fort. Combien de patients « dégradés », combien de morts supplémentaires ? Les autorités ne se posent pas la question. De peur de la réponse ?
Le prix accepté d’une vie
D’autres pénuries ont des causes encore plus scandaleuses. La sacro-sainte libre circulation des biens induit que n’importe quelle société agréée peut acheter un stock de médicaments au prix bas pratiqué par exemple dans des pays de l’est de l’Europe où les firmes ont adapté le prix aux revenus locaux. Puis les revendre (après reconditionnement) dans les pays qui paient le maximum. Et empocher la différence. C’est légal. Mais est-ce bien éthique ? Du coup, les firmes se protègent de cela en établissant des quotas par an pour chaque pays… créant à l’occasion de nouvelles pénuries.
Kafkaïen ? Glauque ? Il y a mieux : les firmes imposent aux Etats des clauses de confidentialité pour l’achat de certains médicaments, souvent les plus innovants et les plus chers. Elles s’adressent donc aux quelques pays qui semblent les plus disposés à payer cher, parfois parce qu’ils sont particulièrement exposés à la maladie que le médicament traite. Elles concluent un marché juteux en arguant que ces pays seront les premiers à pouvoir utiliser la molécule. Puis utilisent ce prix de référence auprès du reste du marché afin de vendre à un haut niveau de prix, sans aucun rapport avec le prix de revient et des marges qui peuvent atteindre trois chiffres… Il y a quelques années, un producteur américain avait d’ailleurs fixé son prix après une étude de marché sur ce que le citoyen estimait « normal » pour sauver une vie. C’était autour de 70.000 euros par an. Mais le public est souvent d’accord de monter plus haut pour une maladie infantile ou particulièrement invalidante. Quand il agit ainsi, le pharma obtient la rançon des larmes de sang. Jeudi dernier, à la Chambre belge, Test Achats, Médecins du Monde et Kom op tegen Kanker, associations de patients et de consommateurs ont répété leur demande que cessent en Belgique les « articles 81 », des contrats secrets que seuls ont pu lire le boss de la firme vendeuse et le cabinet de la ministre de la Santé. Même les patrons de l’Inami ne savent pas le prix qu’ils paient à la pilule…
Les sénateurs français proposent que l’Agence du médicament évalue les modalités de la répartition de leurs stocks par les différents laboratoires entre les grossistes-répartiteurs. Et puissent sanctionner financièrement tous les industriels qui n’assureraient pas un approvisionnement « approprié et continu » du marché en médicaments dits « essentiels » (dont on ne peut se passer). Et de sanctionner les labos si leurs réponses aux causes d’une pénurie sont jugées insuffisantes. Et d’exiger la transparence immédiate sur les « premières causes » des ruptures, certaines firmes attendant la rupture de stock pour alerter les autorités. Vaste programme, comme disait le général de Gaulle.
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Ah, il nous faudrait un "Pharma leaks"
Les entreprises pharmaceutiques se mettent en avant via les différents sponsoring (bon pour l'image et récupéré via impôts), ce qui n'est pas incompatible du tout avec le cynisme du profit à tout crin. Notre santé ? Ils n'en n'ont que faire. Et en Belgique avec toutes les aides données aux entreprises pharmaceutiques car très gros employeurs on est dans une situation encore moins enviable. On a tellement peur qu'ils partent de notre territoire qu'on n'essaye même pas de discuter avec eux en toute transparence (N'est-ce pas Maggie).