Alexis Michalik, un roc, un pic, que dis-je, une péninsule d’histoires

On ne s’y attendait pas ! En allant à la rencontre de l’auteur d’Edmond, pièce inspirée de la figure d’Edmond Rostand, et du Porteur d’Histoire , traversée romanesque en compagnie d’Alexandre Dumas, Eugène Delacroix ou encore Marie-Antoinette, on pensait tomber sur un vieux dandy binoclard mais certainement pas sur ce beau gosse trentenaire au physique de rugbyman. Pourtant, son parcours sportif aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Sa manière de jouer en mêlée, c’est-à-dire sans tête d’affiche – à l’inverse d’une bonne partie du théâtre parisien – mais avec des équipes équilibrées. Sa façon de multiplier les essais avec un théâtre haletant, à la narration plus musclée qu’un Chabal. Et puis, surtout, son grand chelem à lui : dix Molière en quatre pièces (Le Porteur d’histoire, Edmond, Le cercle des illusionnistes et Intra-Muros ). Sans hakas tonitruants, Alexis Michalik est devenu l’un des joueurs les plus en vue du théâtre français. Un destin auquel ne le prédestinait pas son allure de jeune premier. C’est d’ailleurs en Roméo dans un Shakespeare d’Irina Brook que débute le jeune homme. Mais c’est en voyant le Shakespeare in Love de John Madden au cinéma que mûrit en lui l’idée d’un théâtre biographique décalé. Son client à lui ne sera pas le grand Will mais Edmond Rostand, période Cyrano de Bergerac. Quarante rappels Après avoir lu l’histoire de la première rocambolesque de Cyrano, et son succès inattendu, Alexis Michalik décide de raconter cette épopée marquante du Théâtre de la Porte-Saint-Martin, tout en mélangeant le vrai et le faux pour en faire une aventure vaudevillesque. On y vit les affres de la création dans ce milieu caractériel qu’est le théâtre. On sue avec Edmond Rostand qui n’a pas le début d’un dialogue quand Coquelin lui commande un « triomphe » à pondre en un mois. On y côtoie Feydeau et Courteline, jeunes auteurs au succès insolent. Ne manquant décidément pas d’humour, Alexis Michalik joue d’ailleurs Feydeau dans le film Edmond, adapté de sa pièce, qui sortira sur les écrans en janvier avec Oliver Gourmet dans le rôle de Coquelin. On y croise Sarah Bernhardt, qui se dépêche de « mourir » dans la pièce qu’elle joue sur une scène voisine pour assister au cinquième acte écrit par son protégé. On vit une première mythique qui connaîtra 40 rappels. Mais surtout, on devine les parallèles cocasses entre Cyrano, Edmond et Alexis dans cette pièce qui érige l’échec au rang d’art et rend hommage à tous ceux qui trébuchent avec panache. Plus de 2.000 représentations « J’ai fait avec Edmond ce que Rostand a fait avec Cyrano, qui était lui aussi un auteur du XIXe siècle , décrypte Alexis Michalik avec malice. Rostand s’est renseigné sur Cyrano pour le sublimer. Et moi je me suis documenté sur Edmond pour tenter de lui rendre hommage. » Les similitudes ne s’arrêtent pas là. Rostand avait 29 ans quand il a écrit Cyrano, soit le même âge qu’Alexis Michalik quand il a écrit Le porteur d’histoire , sa première pièce, née d’une série d’heureux accidents, exactement comme le tube d’Edmond Rostand. En 2012, pour combler un trou dans un festival d’écriture contemporaine, alors qu’un auteur vient de lui faire faux bond, le programmateur d’un petit théâtre parisien demande à Alexis Michalik s’il n’a pas une bonne histoire sous le coude. Justement, le jeune homme porte en lui les germes du Porteur d’histoire . En un mois, il met sur pied ce récit à tiroirs, qui vous emmène du désert algérien à une campagne française mouillée de pluie, d’une Peugeot mal chauffée des années 80 à une calèche du XIXe siècle, de Marie-Antoinette à Dumas, le tout sur une scène habitée par cinq acteurs et cinq tabourets. La pièce en est aujourd’hui à plus de 2.000 représentations et se crée désormais dans une version 100 % belge au Public à Bruxelles avec, notamment, Nicolas Buysse sur scène. « Tout est possible au théâtre » Comment expliquer cet increvable succès ? « Au théâtre, les gens ont besoin d’histoires. Comme dans les séries, ils aiment se sentir accros, trépigner de savoir ce qui va se passer après, être baladé par un scénario. » Avec des influences aussi diverses que Peter Brook, Ariane Mnouchkine ou Wes Anderson, Alexis Michalik refuse de se laisser brider narrativement. « Je me souviens d’avoir été fasciné par une pièce de Wajdi Mouawad et de prendre alors conscience qu’on pouvait, encore aujourd’hui, écrire du théâtre shakespearien. Tout est possible au théâtre, parce que c’est l’art de la suggestion. Une bataille par exemple est plus facile à faire au théâtre qu’au cinéma. » Chez lui, les idées surgissent à l’improviste : Le Porteur d’histoire est né lors d’une balade dans un cimetière, Le Cercle des illusionnistes a surgi après la lecture d’une anecdote sur Jean-Eugène Robert-Houdin. De même pour l’accouchement de ses pièces, sans tambour ni trompette : « Parfois, j’ai juste une trame et j’écris tout sur le plateau. Parfois, je raconte simplement l’histoire à des proches pour voir comment ça prend. » Tout revêt chez lui un naturel confondant. Un XV de France des planches à lui tout seul.

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