Un rallye balayé par une météo australienne des plus capricieuses

Le soleil avait brillé toute la journée. Et bien sûr renforcé les convictions des occidentaux rassemblés du côté de Coffs Harbour : il ne pleut jamais en Australie ! Puis, « quelqu’un » a tiré le rideau, jeudi en fin d’après-midi. Et les nuages ont déboulé en quelques minutes pour (re)donner grise mine à ce ciel de carte postale. A l’instant précis où les concurrents de la dernière manche du championnat du monde des rallyes sacrifiaient à quelques festivités sur Jetty Beach, traditionnel rendez-vous des surfeurs du coin. Un signe du destin avant le départ de la course ? Oh !, dire que ce ciel à nouveau grincheux a peut-être dissuadé les Australiens à venir admirer les pilotes et les bolides du WRC est sans doute exagéré. Car c’est une évidence : au soleil ou sous la pluie, à midi ou à minuit (chez nous), le Mondial des rallyes ne va pas déplacer les foules, « down under ». A la limite, les propriétaires de quelques bolides d’un autre âge réunis sous la bannière de la « Rally Australia Classic Cup » disputée en marge de l’épreuve mondiale, qui avaient profité de l’occasion pour les exposer non loin de là, ont recueilli plus de succès que Neuville, Ogier et consorts. Alors voilà, c’est donc dans cette relative indifférence qu’a débuté vendredi matin (jeudi soir, sur le coup de 22 heures, chez nous) l’explication finale entre Thierry Neuville, Sébastien Ogier et Ott Tanak pour l’attribution du titre de champion du monde des rallyes. Un comble quand on sait combien cette compétition aura été passionnante cette année, et surtout assortie de cette incertitude qui aura tant fait défaut à la Formule 1 et au MotoGP, par la grâce de Lewis Hamilton et Marc Marquez… Rien de tout cela en rallye, où les trois hommes forts de la saison se sont partagés les succès partiels, et se sont présentés au départ de ce dernier rendez-vous avec quelques espoirs de sacre. Réels pour Ogier et Neuville, séparés par trois points seulement, plus hypothétiques pour Tanak, relégué à 23 unités du quintuple champion du monde en titre, mais toujours à l’affût et surtout favori de cette dernière épreuve. La nuit aura rendu ses premiers verdicts d’une issue finale attendue au plus tard dans la nuit de samedi à dimanche. Météo capricieuse C’est une évidence sur une île comme la Corse ou la Sardaigne, également visitées par le championnat du monde des rallyes. Moins pour un continent comme l’Australie, que l’on imagine plus facilement inondé de soleil. « Et pourtant, dès notre première visite ici il y a 5 ans, nous avons dû nous rendre à l’évidence : la météo est extrêmement capricieuse ici ! », confirme Alain Penasse, le team-manager de l’équipe Hyundai pour laquelle roule Thierry Neuville. « Et cette année, c’est peut-être ça qui fera la décision, plus encore que le balayage dont on parle tout le temps ! » On le sait, dès qu’un rallye se déroule sur terre, les premiers pilotes appelés à en arpenter le parcours n’ont que ce mot « balayage » à la bouche. Le parcours australien en particulier, a toujours eu la réputation d’être encore plus pénalisant que tous les autres à ce niveau. Mais hier, avant même de prendre le départ de la première étape, les pilotes et leurs équipes parlaient davantage de pluie et de conditions très changeantes pour exprimer leurs plus grosses craintes au moment d’aborder une épreuve qui a rendu ses premiers verdicts dans la nuit. Des verdicts qui auront peut-être été déjà influencés par cette météo capricieuse, d’autant que les équipes ne disposent pas toujours des mêmes moyens à 10.000 km de leur base européenne… « La première année, nous avions fait appel des collaborateurs locaux, se souvient encore Alain Penasse. Mais nous nous sommes vite rendu compte que leur manière de travailler ne collait pas à la nôtre. Nous avons alors décidé d’emmener nos experts avec nous pour déployer une structure moins imposante que celle dont nous disposons sur les rallyes ‘asphalte’ bien plus exigeants à ce niveau (entre 6 et 8 hommes), mais plus nombreuse que celle initialement prévue vu les enjeux de cette édition… » Avec Météo France La procédure est alors généralement la même sur tous les rallyes : à la fine pointe de l’aube, voire au milieu de la nuit, les « équipes météos » se déploient dans des points de passage stratégiques, font une série de relevés et d’observations, puis en rendent compte à une personne de l’équipe qui les centralise avant de les redistribuer vers les ingénieurs attachés à chacune des voitures et pilotes engagés. « Ce travail de terrain est complété, voire même plutôt anticipé, par les relevés d’un homme de Météo France avec lequel nous travaillons également de deux façons : soit sur place pour les rallyes ‘asphalte’, soit à distance pour les rallyes ‘terre’… » En marge du rapport matinal traditionnellement attendu entre une heure et demie et deux heures avant le départ des voitures vers la première spéciale du jour, et donc avant le choix des pneus les plus adaptés, Hyundai en a exceptionnellement demandé un autre, 12 heures plus tôt, « afin de permettre à nos pilotes d’aller dormir en ayant déjà une idée plus précise de ce qui les attend », précise Alain Penasse, convaincu que bien plus encore que les conséquences du fameux balayage, cette météo capricieuse risque bien d’être « une des clefs majeures de ce rallye ! ». « Au pilote le dernier mot » Un avis largement partagé par Jean-Paul (Coco) Chiaroni, chargé de la coordination chez Citroën, ainsi que de la synthèse de toutes ces infos. « Le tout est d’assimiler toutes ces infos en les mâtinant de nos expériences personnelles afin de nous tenir prêts pour le choix décidé avec le pilote, qui garde bien sûr le dernier mot : c’est lui qui roule, confie l’ancien copilote du regretté Philippe Bugalski, mêlé de très près à la réflexion qui a mené au choix de pneus décisif qui a permis à Sébastien Loeb de s’imposer il y a trois semaines en Espagne. Tout le monde a donné son avis, et puis finalement Seb a fait ce choix que personne ne lui avait suggéré, mais auquel il est arrivé en fonction de toutes les infos que nous lui avions mises à disposition. Un seul moment comme celui-là justifie tout ce qu’on fait pendant le reste de l’année, car il a clairement fait la décision ! » La marque des grands… « Car c’est ce qui fait la différence entre les bons pilotes et les champions, insiste-t-il. Ces gars ont une telle confiance en eux qu’ils sont capables d’opérer un choix inverse à celui que vous leur avez suggéré, mais tout en ayant tenu compte de tout ce que vous leur avez dit. » Ça tombe bien : ce week-end en Australie, où la pluie redoutée le premier jour (la nuit dernière donc) risquait de jouer un rôle encore très différent samedi, sur des routes jonchées de ces fameuses billes qui ont fait la réputation du parcours australien, ce sont trois pilotes à l’étoffe de champions qui sont en lice pour la consécration suprême. On verra lequel des trois aura tiré le meilleur parti du travail de ses « météos » pour ensuite faire la pluie ou le beau temps. En l’occurrence, briller ou s’éteindre… L’avis des experts Jacky Ickx [scald=25791025:sdl_editor_representation] Qui sera champion ? J’ai du mal à me prononcer car je ne vois pas ça avec mes yeux de pilote, mais avec ceux du supporter ! C’est ma fibre nationale qui vibre. Et aussi l’affection que j’ai pour ce gars que j’estime être un chouette type : il est cash ! Alors j’aime Ogier, mais mon cœur bat pour Thierry, et aussi pour Nicolas Gilsoul. Comme ils sont encore trois à pouvoir jouer le titre, je pense que tout va dépendre de la pression qu’ils parviendront à… ne pas se mettre ! Celui qui la gèrera le mieux sera champion. La saison de Neuville Je pense qu’il n’a jamais été aussi proche, preuve qu’il a fait une saison d’enfer. Ils font tous un numéro d’anthologie. Je regarde souvent la « power stage » à la télé, et quand ça roule comme ils le font, je suis cramponné à mon fauteuil ! Je suis au moins aussi stressé que quand je suis les évolutions de Rossi en MotoGP. Voir plusieurs rallyes sur la saison se dénouer à l’issue de la dernière spéciale, ou constater la faiblesse des écarts au bout de 300 km de course, témoigne de l’intensité des débats. Dans ce contexte, voir Thierry avoir mené le championnat aussi longtemps prouve qu’il a encore mûri. Bruno Thiry [scald=25791023:sdl_editor_representation] Qui sera champion ? Franchement, j’estime que c’est au tour de Thierry. On va me dire que je ne suis pas objectif, mais il le mérite sincèrement. L’an dernier, Ogier et Thierry se sont présentés dans le même ordre au départ. Et Thierry a gagné. OK, Ogier était déjà champion, mais je pense que Thierry peut le refaire. Bien sûr, la bagarre va également avoir lieu sur le terrain psychologique. Comme il l’a déjà fait auparavant, Ogier crâne en disant qu’il s’en fout d’ouvrir la route. Il sait très bien que ce n’est pas un avantage. Maintenant, il faudra voir également le rôle joué par les Toyota. Tanak, bien sûr, mais aussi Latvala peuvent venir se mêler aux débats et jouer un rôle. La saison de Neuville Comme je l’ai dit, Thierry a super-bien roulé toute l’année. Moi, ce qui m’a le plus impressionné, c’est qu’il a toujours été au maximum malgré les conditions de route dans lesquelles il s’est souvent trouvé en ouvrant. En Espagne, on a trouvé un super endroit le vendredi matin pour aller le voir passer sur la terre. Thierry n’aurait pas pu aller 1 km/h plus vite. Et pourtant la différence était visible à l’œil nu tant il était pénalisé par le balayage. Comme le dit souvent Nicolas, je pense que Thierry a vraiment toujours été au maximum de la voiture, dans les conditions qui étaient les leur. Yves Matton [scald=25791029:sdl_editor_representation] Qui sera champion ? A part Madame Irma dans ses meilleurs jours, je ne vois pas qui pourrait prédire l’issue du championnat. Tout le monde se focalise sur le duel entre Ogier et Neuville puisque, mathématiquement, ils sont très proches mais dans les derniers rallyes, ils ont été bouffés par Tänak. Je suis sûr que l’Estonien va encore frapper un grand coup en Australie. Le titre va peut-être se jouer dans la dernière spéciale. Mon favori ? J’aime bien les longues séries. D’un côté, une 6e couronne pour Ogier, ça aurait de la gueule. De l’autre, dans l’intérêt du WRC ce serait bien qu’il y ait un nouveau champion. Neuville serait parfait dans ce rôle. La saison de Neuville Les chiffres le montrent : Thierry Neuville a signé sa meilleure campagne cette année. Il n’a pas eu de démarrage difficile, pas de passage à vide comme ce fut le cas par le passé. Ce qui m’a bluffé chez lui, c’est son recul par rapport aux événements. Pas grand-chose ne l’affecte, ce qui le met dans une position favorable pour aller chercher un ou deux points à Ogier. Jean-Marc Fortin [scald=25791026:sdl_editor_representation] Qui sera champion ? Thierry Neuville ! La malchance de Catalogne où il déjante près de l’arrivée va l’aider en Australie. Il y a une grande différence entre le 1er et le 2e sur la route. Le type qui ouvre le vendredi se retrouve loin. Ce qui signifie que l’ordre des départs le samedi est influencé par les performances de la veille. Notre compatriote a une bonne référence par rapport à l’année dernière. Ogier ouvrait, Neuville était 2e et c’est Thierry qui a remporté la course. Cette fois, Tänak doit aussi être pris en compte. L’Estonien n’a rien à perdre, il sait qu’il n’est pas maître de son destin. Il faudra faire le boulot dans la Power Stage. La Belgique va se réveiller très tôt la nuit prochaine. La saison de Neuville Elle est très bonne. Il commet une petite erreur au Wales Rally qui lui coûte une quarantaine de secondes mais pour le reste, c’est exceptionnel. En Sardaigne, mentalement il est hyper fort. Gagner un rallye comme la Suède, chapeau. Pas de chance en Turquie où il perd un amortisseur. Si pas, le titre était plié là-bas. Stéphane Prévot [scald=25791028:sdl_editor_representation] Qui sera champion ? Sébastien Ogier. Il commet très peu d’erreurs et résiste mieux que quiconque à la pression. Thierry Neuville a beau dire qu’il est serein, confiant ; j’ai la conviction qu’il est fébrile. C’est normal : il sait que le titre ce sera cette année ou jamais. L’an prochain, il aura du souci à se faire avec Tänak dont la Toyota sera devenue fiable et avec Ogier de retour chez Citroën. Il reste maintenant à voir si le fait d’ouvrir la route constituera un énorme handicap pour Ogier puisqu’on annonce une météo capricieuse. Si les pilotes sont confrontés à la boue, il faudra des nerfs d’acier pour ne pas commettre d’erreur. La saison de Neuville Thierry Neuville a été exceptionnel dans la première partie du championnat. Remporter le rallye de Suède, c’est un véritable exploit. Il a aussi réalisé un rallye de Sardaigne de toute beauté en allant chercher la victoire dans la Power Stage à Sébastien Ogier. Par contre, il a été nettement moins convaincant dans la 2e partie du championnat où Tänak s’est montré redoutable.

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