Des privés étrangers pour vous forcer à payer vos dettes

Les emprunteurs belges en difficultés seront-ils bientôt offerts sur un plateau aux fonds vautours maltais, chypriotes ou lituaniens ? C’est, en substance, la lecture que fait le Beuc (Bureau européens des unions de consommateurs) d’une proposition législative de la Commission européenne visant à endiguer la montée des prêts toxiques. Un crédit accède au statut de « prêt toxique » dès le moment où le débiteur ne fait aucun remboursement pendant trois mois consécutifs. Ces prêts pourris ont atteint le seuil des mille milliards d’euros l’an dernier, dont une énorme partie est logée dans les banques italiennes. Après tergiversations entre ministres des Finances européens sur la manière de contenir cette ascension et les risques de contagion entre banques européennes, la Commission a proposé en mars une série de mesures, dont une visant à obliger les banques à provisionner 100 % des montants de leurs prêts toxiques pour faire face au scénario du pire. C’est celle qui avait eu le plus d’écho. L’autre texte, celui qui met le Beuc vent debout, ne fait pas sursauter directement lorsque l’on entend son nom dans le jargon : le développement d’un marché secondaire pour ces prêts. Soit, concrètement, permettre aux banques de s’alléger de leurs prêts pourris en les revendant à une tierce partie dont c’est le core business. C’est une pratique quasi inexistante en Belgique, où les règles sont hyperprotectrices pour le consommateur. « Avec les exigences en capital imposées aux banques, elles ont moins de capacités pour financer l’économie réelle et prêter aux PME », nous explique Farid Aliyev, en charge des services financiers au Beuc. La proposition de la Commission vise à créer un « passeport européen » grâce auquel un collecteur de dettes pourra procéder à des rachats de prêts toxiques dans un autre pays que celui où il est basé sans avoir à obtenir une licence dans cet autre pays européen. Ce qui signifie concrètement qu’un collecteur de dettes maltais ou lituanien pourra racheter un prêt toxique à une banque belge en continuant à suivre les lois maltaises ou lituaniennes et en étant supervisé par les autorités de ces pays. Ce qui fait craindre au Beuc un shopping juridique des fonds vautours, qui pourront allègrement se servir partout en Europe en choisissant la réglementation la plus à leur avantage. « Les consommateurs n’ont pas créé la crise financière. C’est le comportement irresponsable des banques qui l’a créée. Alors pourquoi mettre les personnes (endettées, NDLR) dans les mains de vautours ? », s’interroge encore Farid Aliyev. L’hiver sera chaud Le texte est, sans surprise, assez sensible dans les institutions européennes, où le Parlement et le Conseil (les États membres) doivent désormais chacun arrêter une position de négociation pour ensuite se mettre d’accord ensemble. Les travaux commencent timidement des deux côtés. Au Parlement, la rumeur dit que c’est parce que les deux négociateurs du texte, le socialiste italien Roberto Gualtieri et la Néerlandaise Esther de Lange (du parti chrétien-démocrate) ne parviennent pas à se mettre d’accord. Au Parlement, on dément, en soulignant que l’autre proposition législative (qui concerne les montants à provisionner par les banques) était davantage politique et nécessitait d’être traitée en priorité. Esther de Lange estime, contrairement au Beuc, que la directive qui offrira un passeport unique pour les collecteurs de dettes « fournit des opportunités pour une protection plus forte des consommateurs ». Mais la négociation ne sera pas simple. En particulier en ce qui concerne la procédure accélérée, qui permettra aux créanciers de récupérer, sans passer la voie judiciaire, les collatéraux fournis par des entreprises ou des entrepreneurs pour garantir leurs prêts. En Belgique, ce type de saisies est déjà possible, mais les cadres juridiques en la matière divergent grandement d’un pays à l’autre d’Europe. « Toute proposition de réforme des régimes nationaux d’insolvabilité trouvera beaucoup de résistance au Conseil », nous explique l’eurodéputée. Les États membres discutaient quant à eux du texte lundi. Une proposition de compromis devrait être présentée début décembre. A ce stade, il nous revient que la Belgique n’a pas encore exprimé de « position forte » sur ce dossier. Qui n’en est toutefois qu’à ses balbutiements.

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