Claude Makelele: «Je suis capable d’entraîner un grand club, j’en suis convaincu»

Eupen a bouclé le premier tour avec six points d’avance sur le dernier et à sept unités des Playoffs 1. Et cela avec un Claude Makelele qui vient de fêter sa première année à la tête du club. Un entraîneur qui évoque son parcours, sa philosophie et les sujets d’actualité. Claude Makelele, cela fait un an que vous êtes à Eupen. Êtes-vous aussi surpris que certains observateurs ? Non car c’est ma décision. Quand j’entame un projet, je me donne à 200 % pour l’emmener le plus loin possible. Si je le fais en restant cohérent avec ma personnalité et mon football, cela me permettra d’avancer dans le futur. Je ne veux pas perdre mon temps à faire du bricolage dans un club. C’est quand même la période la plus longue à un poste depuis le début de votre reconversion ? Parce que je commence à avoir de la stabilité. Pour un coach, ce n’est pas normal de voyager de gauche à droite tous les six mois. Ceux qui le font n’ont pas le temps de préparer leur équipe alors qu’on leur demande d’avoir immédiatement des résultats. Et ils bricolent pour garder leur poste au risque de se faire virer. Mais si la plupart de mes collègues ne sont pas récompensés, ce n’est peut-être pas de leur faute. Depuis la fin de votre carrière de joueur, vous avez tâté d’un peu de tout. C’était indispensable pour grandir comme coach ? C’était très important pour moi, pour le coach. Le métier a évolué depuis une dizaine d’années. Un entraîneur est aujourd’hui plus qu’un simple entraîneur. On arrive tout seul dans un club où une structure existe et celle-ci doit nous accompagner. Or l’entraîneur n’est pas toujours le bienvenu là où il arrive. Il faut tenir compte de l’hypocrisie du milieu. Il faut être fort. Quand j’étais à l’UEFA, j’ai vu certaines choses dans lesquelles les joueurs sont puceaux et que je ne raconterai pas. C’est là que je me suis rendu compte que l’honnêteté à 100 % dans ce métier n’existe pas. Pour quelqu’un qui a toujours été droit dans ses bottes, c’était un choc frontal même si je m’en doutais quand j’étais joueur. Mais c’était encore virtuel. Pourtant, devenir entraîneur n’était pas dans votre plan de reconversion. Non. Même quand j’étais adjoint au PSG, je ne voulais pas devenir T1. Pourtant, Domenech m’avait déjà ouvert les yeux en me disant de passer mes diplômes d’entraîneur avant la fin de ma carrière. Je lui avais répondu : « vous êtes malade, c’est un truc de cinglé, je n’ai pas envie d’avoir la tête plus lourde ». Mais son message n’était pas de me dire « je veux que tu sois coach mais j’estime que tu as un bagage tellement exceptionnel que ce serait dommage de ne pas l’être ». Finalement, c’est mon père qui m’a réellement poussé en me disant « tu as baigné dans ce milieu depuis tout petit et tu veux faire quoi ? Ingénieur ? » Après une courte expérience à Bastia, vous avez quand même dû patienter longtemps avant de reprendre la casquette de T1 ? On donne vite une image. Or, les gens ne me connaissent pas. Je ne suis pas timide, mais discret. J’estime qu’on doit me juger par rapport à mon métier et je ne veux pas donner au-delà de mon métier car le privé n’intéresse personne. Quand j’étais joueur, je donnais 5 % de moi aux médias. Justement, qui est Claude Makelele ? L’homme qui s’engage pour le soutien de certaines causes, l’amoureux de la nature, un people ? J’ai toujours été fan de la nature. J’ai un peu plus de temps maintenant pour m’y intéresser. L’instinct de l’animal m’intéresse. L’étudier permet de voir le monde différemment. On peut apprendre d’eux de la manière de vivre, de chasser, de manger, d’être impitoyable des animaux. Ce sont beaucoup de choses qu’on retrouve dans la vie. C’est vrai aussi que je me suis toujours engagé à fond dans certains combats. J’ai mouillé le maillot pour lutter contre le trafic d’armes. Je vais en Afrique pour donner la possibilité à des jeunes de bien manger, d’avoir des écoles. L’humanitaire, tu le fais avec le cœur ou tu ne le fais pas. C’est mon père qui m’a vraiment incité à aller voir d’autres choses pour comprendre que j’ai une chance vraiment exceptionnelle d’avoir ce métier et de vivre la vie que je vis. Cela a été un électrochoc. Votre père, ancien footballeur lui aussi, semble être le personnage central de votre vie ? Il m’a guidé dans tout. Il m’a toujours poussé à la réflexion que ce soit par rapport à la vie, à mon métier, à ma relation avec ma famille. Il l’a fait pour que je comprenne ce dont je suis capable. Il m’a toujours éduqué pour que je sois honnête envers moi. Être très famille est-il possible en vivant à Eupen ? Difficilement. Mais le lien familial est un noyau dur qui a été créé avant de faire ce métier et de voyager. Vivre à Eupen n’est pas un choc car j’ai tout connu. C’est un peu un retour au calme qui me permet de rentrer en moi. Et vous perfectionnez dans votre métier. Mais quel genre de coach êtes-vous ? En fait, j’agis différemment en fonction du contexte, de l’équipe à ma disposition, du choc culturel que les joueurs vivent, de la lutte pour le maintien et de la souffrance que cette situation engendre toute l’année. J’essaye de mettre en place quelque chose de naturel. Peut-on appliquer à Eupen les choses apprises à Madrid, Chelsea ou en équipe de France ? Non c’est différent. On s’adapte au club et aux qualités des joueurs qu’on a en leur donnant trois critères. Si tu veux faire passer quinze messages aux joueurs, ils vont souffler. Trop de messages tuent l’efficacité. Mais quand ils ont assimilé les premiers critères, tu commences à ajouter d’autres ingrédients pour que les joueurs puissent s’améliorer individuellement Est-ce possible en sachant que désormais les joueurs ne sont plus que de passage dans les clubs et n’ont peut-être plus l’amour du maillot ? C’est l’évolution du football. Mais beaucoup de joueurs sont amoureux du maillot qu’ils portent. Même en un an tu peux le ressentir. Tu te dis wow quand j’étais là-bas, c’est lui qui m’a permis d’aller dans ce grand club. Mais cette évolution ne permet plus aux supporters de s’identifier à leur équipe. Et peut-être à être plus critiques ? Les fans doivent être cohérents. Ils doivent supporter leur club dans les bons et les mauvais moments. Ils ont bien entendu le droit de se rebeller, mais les joueurs aussi, le club aussi. Le football d’aujourd’hui c’est : je te donne, tu me donnes. Sauf que le supporter, lui, paye pour recevoir ? C’est vrai, mais ce n’est pas une obligation. On ne lui a pas mis un couteau sous la gorge pour qu’il vienne au match. Il vient parce qu’il aime ce club. C’est son choix. Cela dit, le joueur doit comprendre cette situation. Et le supporter se pose désormais pas mal de questions sur le foot avec tout ce qui sort dans les médias actuellement et notamment l’enquête de la justice en Belgique. Quel regard portez-vous sur ces événements ? Le football est un produit. C’est du business qui génère beaucoup d’argent. Forcément, cela crée des problèmes. Pour en revenir au milieu animal, je dirais que nous avons un bout de pain avec plein de fourmis autour. Et parmi toutes ces fourmis, on ne sait pas toujours laquelle est propre et celle qui ne l’est pas. C’est devenu incontrôlable et c’est le sport lui-même qui en paye le prix fort. De même, lors de Courtrai-Standard, le racisme a fait son retour. L’avez-vous vécu personnellement et comment l’avez-vous combattu ? À mon époque, on l’a vécu à puissance mille. Mais je réagis habituellement avec le sourire. C’est quelque chose qui a toujours existé, qui existera toujours et que tu ne peux pas combattre. Cela dit, un club ne peut pas être condamné ou assimilé pour une minorité d’abrutis. Mais il doit essayer de cibler les problèmes pour éviter la contamination. Un joueur comme Pelé l’a vécu face à tout un stade. Mais il faisait tellement de choses exceptionnelles qu’il a reçu une ovation de tout le stade. Bien entendu, il faut dénoncer le racisme et en parler car les joueurs qui en sont victimes ne font que leur métier et ont le droit d’être protégés. Claude Makelele a tout gagné en club, mais rien avec l’équipe nationale. Ce serait une revanche d’entraîneur la France ? Non car, au contraire, j’ai gagné quelque chose. Et c’est mieux qu’un trophée. C’est même plus important. C’est d’avoir joué pour mon pays. C’est là où certains ne comprennent rien : on ne va pas en équipe de France seulement pour gagner un trophée. Évidemment, c’est encore plus beau quand on y arrive. Mais défendre ce maillot avec le cœur est bien plus important. Eupen est-il un tremplin ? Non. Je ne veux pas que ce soit un tremplin. Je vois ma carrière dans une continuité. Cela dit, je suis capable d’entraîner un grand club. J’en suis convaincu.

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