«C’est tout le système pénal qui s’en trouve déstabilisé»

Pour Christine Guillain, l’introduction de la loi sur les repentis fait vaciller nombre de grands principes de droit, pour une efficacité très relative. [scald=25851869:sdl_editor_representation] La Belgique a récemment rejoint nombre de pays européens disposant d’une loi sur les repentis. S’agit-il d’une avancée significative en matière de justice pénale ou d’un coin enfoncé dans le principe d’égalité devant la loi ? Le système de la dénonciation m’a toujours posé problème. Il n’est pas neuf puisqu’il existait déjà pour d’autres contentieux, par exemple en matière de stupéfiants ou d’association de malfaiteurs. Il s’agit d’une récompense pénale de la délation. Elle s’inscrit au cœur du système pénal. Et c’est tout le système qui en est déséquilibré. Car c’est problématique par rapport à des grands principes de droit, à savoir l’administration de la preuve, qui est normalement à charge du parquet et qui revient ici davantage sur les épaules du prévenu ; au principe de présomption d’innocence et de droit au silence du prévenu ; à la peine et à la compétence du juge naturel qui se retrouve amputé d’une partie de ses compétences puisqu’au moment où le dossier va arriver devant lui, il sera pratiquement ficellé. Cela pose donc problème sur un plan moral. Le principe n’est pas neuf en Belgique, cela existait déjà sous la forme de « causes d’excuse », qui se situait uniquement au stade du jugement, et permettait de diminuer voire d’éviter la peine. Ce que la nouvelle loi crée, c’est la possibilité d’une négociation entre le prévenu et le parquet en amont du jugement. Cette nouvelle loi était-elle indispensable ? Est-ce un aveu d’impuissance de la Justice dans certains domaines comme le terrorisme ou le grand banditisme ? Aveu d’impuissance, je n’irais pas jusque-là. C’est un peu de la politique spectacle, qui considère qu’il faut doter la justice de certains moyens pour lutter contre la grande criminalité, dans le cadre d’une politique criminelle efficace, pour reprendre les termes souvent employés. Ce genre de dispositif est-il efficace ? En matière de stupéfiants, on a vu que cela ne fonctionnait pas du tout. Et les juges sont assez réticents à appliquer cette prime de délation et sont très restrictifs dans l’application des conditions (des révélations sincères, complètes, révélatrices et substantielles), que les jugent n’estiment souvent pas réunies. N’est-il pas problématique également de considérer qu’un acteur majeur d’une affaire pénale échappera à la peine que la loi prévoit pour ses agissements, tandis que ceux qu’il dénoncera n’auront, eux, pas ce privilège ? Il y a un risque de dérive : un alourdissement progressif des peines pour les non-collaborateurs. Cela pose un problème par rapport au principe d’égalité et de non-discrimination. D’une part, le système est limité à certaines infractions et pas à d’autres. D’autre part, cela pose un problème quant au principe de l’égalité des âmes, car il y a une impossibilité de récompenser un témoin à décharge, tandis qu’un témoin à charge peut l’être. Et puis, se pose la question de la fiabilité du témoignage : en général, les repentis agissent avant tout par calcul opportuniste, plus que par désir de repentir. Il y a donc un risque de vengeance privée par justice interposée. On le comprend, à vos yeux, ce nouvel outil judiciaire n’est pas une bonne chose. Quelle image cela donne-t-il de la Justice ? Le parquet ne peut recourir à cet outil que si les autres outils à sa disposition n’ont pas suffi à manifester la vérité. Quels sont ces autres outils ? Les perquisitions, les écoutes téléphoniques, l’audition d’autres personnes, etc. Bref, une palette d’outils. Ici, on mobilise très vite ce nouvel outil, auquel on fait de la publicité. Et l’on annonce déjà qu’une personne qui n’est pas poursuivie pour des petites infractions (trucage de matchs, de corruption active et passive, de blanchiment de capitaux et d’appartenance à une organisation criminelle !) va faire l’objet d’une peine particulièrement modérée. Cela heurte le sens moral et je ne suis pas sûre que la Justice s’en trouve grandie.

Votre compte

«C’est tout le système pénal qui s’en trouve déstabilisé»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Débats et idées

Le politologue: «Nouer des accords comme le faisait Jean-Luc Dehaene est devenu autrement difficile»

Entretien Amitié toxique: «Il est plus facile de se débarrasser d’un ennemi que de mettre à distance un ami»

Comment parler de la guerre en Ukraine aux enfants

Faut-il des trophées non genrés pour faire évoluer les mentalités?

E-commerce: un débat entre modernité active et modernité passive

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Guerre en Ukraine: la centrale de Zaporijjia encore bombardée, des capteurs de radiation endommagés

Décodage La Belgique est-elle suffisamment prête pour faire face à des incendies de grande ampleur?

Avant/Après: incendies, lacs asséchés… la sécheresse frappe durement l’Europe (photos)

Reportage Plan canicule: à Bruxelles, les maisons de quartier sont sur le coup

Conference League: Anderlecht doit juste assurer face à Paide (direct à 20h)

Etats-Unis: comment un complot iranien voulait venger l’assassinat de Qassem Soleimani en ciblant John Bolton

Gestion des salaires : quand la Belgique est à la pointe de la technologie

Combiner travail et études : voici vos droits et obligations

Voiture de société et grandes vacances : tout ce qu’il faut savoir

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel