Issa Gamboulatov, candidat Ecolo dans les cantons de l’Est

Issa Gamboulatov a le regard bienveillant, une moustache et des cheveux poivre et sel qui trahissent ses 55 ans. Ce Tchétchène d'origine est arrivé en Belgique en 2001. Il a quitté Khassaviourt avec sa femme Lisa et leurs enfants, Djakar et Karina. Quand il a débarqué du Caucase, Issa ne connaissait rien de la Belgique. En fait, il voulait rejoindre le Canada, « pour être le plus loin possible de la guerre », mais faute d'argent, il atterrit finalement dans un centre d'accueil pour réfugiés à Fraipont près de Liège. Il déménagea ensuite à Raeren dans les cantons de l'Est. Un choix logique puisqu’Issa a des bases d'allemand. En 2005, il emménagea à La Calamine. A son arrivée en Belgique, Issa voulait rebâtir sa vie et s'ancrer comme il l'avait fait au Daguestan. « J'ai directement cherché le contact avec la population belge. C'est normal comme musulman et comme Tchétchène : nous avons décidé nous installer ici, nous ne sommes pas des touristes », raconte-t-il. Communicatif et déterminé, il décida de mettre son énergie au service du sport. La lutte plus précisément, discipline nationale en Tchétchénie mais beaucoup plus modeste chez nous. Il s'investit dans son club local dont il est aujourd'hui le vice-président et rejoint la ligue d'arbitrage belge. Il entrepris alors de rénover les installations de son club qui en avaient bien besoin. Il proposa même de réaliser les travaux lui-même. La commune suivit et débloqua un peu d'argent pour réaliser l'ouvrage. Avec l'aide des membres du club et de leurs parents, ils rafraichirent la salle, aujourd'hui rebaptisée Buvaysar Saitev, du nom du triple médaillé olympique originaire de Tchétchénie dont le portrait géant veille sur les entrainements des lutteurs qui foulent le tapis. Djakar, son fils de 18 ans en fait partie. Grand espoir du club, il a pour objectif de disputer les jeux olympiques de Tokyo en 2020 et, qui sait, de décrocher une médaille. « Avec les couleurs de la Belgique. Pour moi c'est évident », précise-t-il. Issa aurait pu se contenter de ses fonctions dans le monde la lutte. Mais sa conscience politique ne l'aurait pas laissé tranquille. A 18 ans déjà, il intégrait le parti communiste en Russie. Un choix qu'il fit par défaut - c'était à l’époque la seule formation politique - mais il n'était pas attiré par la doctrine du parti. Avec quelques camarades de classes, ils rêvaient d'un système plus libéral. A cette époque, il ne put mener l'action politique qu'il imaginait. Ce n'est que quelques années plus tard, lorsque la première guerre de Tchétchénie l'obligea à s'exiler au Daguestan, qu'il exerça son premier mandat. Dans son petit village de Moguilioskoïe, il se présenta aux élections communales de 1997 et se fit élire. On lui confia le portefeuille des voiries et du transport. Issa pu apporter sa pierre à l'édifice et parvint à construire des routes pour améliorer la mobilité de la cité. [scald=390920:sdl_editor_representation] Cette première réussite, il en parle encore avec fierté aujourd'hui. L'année d'après, on lui offrit un poste d'assistant-député. Une fonction qu'il épousa sans hésiter et qu'il exerça, toujours bénévolement. Soucieux d'aider son peuple en souffrance, il fut chargé de faciliter l'intégration de ses compatriotes exilés au Daghestan. En parallèle, il organisa et conduit des convois vers Grozny pour rapatrier les blessés et les soigner dans la petite Croix-Rouge de son village comme il l'avait fait lors du premier conflit. « C'était très dangereux en tant que Tchétchène. Normalement je n'avais pas le droit de faire ces allées et venues. Pour passer les contrôles, je devais ruser! Les soldats russes étaient aussi malins qu'un arbre! Un jour, alors que je transportais deux rebelles à l'arrière d'un van, un soldat a voulu fouiller le véhicule. Je lui ai dit qu'il n'en avait pas le droit et qu'il allait avoir des ennuis. Il m'a cru et nous a laissé passer mais s'il les avait découverts, j'aurais été arrêté et j'aurais eu de gros problèmes. » Tout bascula le soir du 21 décembre 2000 quand quelqu'un vint sonner à la porte. Les Russes avaient identifié Issa comme un fauteur de troubles, ils planifiaient de l'arrêter et probablement de le faire disparaitre ou de l'envoyer en prison, ce qui revenait au même. Issa remercia celui qui venait de lui sauver la vie et pris la soirée pour réfléchir. Le lendemain, il rassembla bijoux et objets de valeurs et trouva quelqu'un qui lui racheta le tout pour 1.200 euros. Le 23 décembre dans l'après-midi, il prenait le train avec sa femme et leurs enfants laissant derrière lui le reste de sa famille, dont sa mère en pleurs. Le voyage dura vingt-six jours. Ils parviendront à rejoindre Kaliningrad, avant de trouver un passeur qui les amena illégalement en Belgique via la Pologne et l'Allemagne. Après quelques années en Belgique, en 2005, Issa décida de se réinvestir en politique. Être bien intégré ne lui suffisait pas, il voulait prendre part à la vie de sa nouvelle communauté. Ses papiers en poche et des idées plein la tête, il frappa à la porte du parti Ecolo. Une évidence au vu de son parcours académique : Issa était attiré par les objectifs environementaux du parti, particulièrement son projet de fermer les centrales nucléaires. Il se sentit bien accueilli chez les verts. Seule la barrière de la langue posa problème. Ce n'était qu'une question de temps avant que cet obstacle ne disparaisse. Tous les jours il prenait des cours de langues. Le français la journée, l'allemand, l'anglais ainsi qu’un peu de serbe et de croate le soir. Pressés de pouvoir changer les choses, sa femme Lisa et lui voulurent se présenter aux élections communales de 2006. Malheureusement pour lui, Ecolo cherchait des femmes pour compléter ses listes et seule Lisa pu se présenter. Monika Neumann fut la première personne qu'Issa rencontra dans le parti. Elle venait d'être élue au Parlement wallon. Elle se souvient qu'Issa cherchait beaucoup à établir le contact et à intégrer sa communauté. « Il faisait beaucoup pour les siens (les Tchétchènes). Quand il est arrivé, il avait beaucoup d'idées, notamment pour rassembler les différentes communautés. C'est vrai qu'à cette époque nous cherchions plutôt des femmes pour composer la liste mais les thématiques portées par Issa ne convenaient pas vraiment à une élection locale comme celle de 2006 », explique-t-elle aujourd'hui. Qu'à cela ne tienne. Trois ans plus tard, les élections régionales et communautaires approchent. Issa pu enfin se présenter aux élections. Il obtint 225 voix de préférences, un score honorable mais qui ne lui permit pas d'obtenir un mandat. Après cette première tentative, il continua à être impliqué au sein du mouvement écologiste. En 2014, il se présenta à nouveau aux élections du Parlement germanophone. Vingt-deuxième sur la liste Ecolo, il obtint la confiance de 254 électeurs. Une progression qui, à nouveau, ne lui donna pas accès à un poste au sein de l'assemblée. Mais son désir politique restait tenace: « Si j'avais été élu, j'aurais tout mis de côté pour me consacrer à la politique. Je voudrais en faire mon métier », avoue-t-il. [scald=394050:sdl_editor_representation] Si la politique ne lui a pas encore souri, Issa a trouvé d'autres moyens pour se mettre au service de la communauté et de ceux qui, comme lui, ont émigré vers notre pays. Avec quelques personnes - « sa team » comme il aime l'appeler - il a fondé en 2009 une association : le Vaynakh (Notre Peuple) est enregistré comme AISBL depuis 2013. Elle permet aux membres de la diaspora de se renseigner sur les activités culturelles et sportives qui touchent à la communauté caucasienne de Belgique. Ici pas question de faire de la politique : Issa trouve le sujet trop clivant et cherche avant tout à rassembler les gens. Le Vaynakh organise notamment des tournois sportifs et des rencontres littéraires. Karl Heinz-Lambert, ancien Ministre-Président de la communauté germanophone, aujourd'hui président du Parlement, a participé à quelques unes de ces activités pour montrer son soutien et a eu souvent l'occasion de rencontrer Issa Gamboulatov: « C'est quelqu'un qui a toujours été très actif pour la communauté, surtout au niveau sportif. Il a contribué à relancer la vieille tradition de lutte que nous avions dans la région. Il a aussi fait beaucoup pour la communauté tchétchène dont il semble être un leader. Il travaille aussi beaucoup pour faciliter l'intégration des étrangers en communauté germanophone. C'est quelqu'un de positif, et j'apprécie beaucoup son ouverture d'esprit. Je ne peux qu'encourager les gens issus de l'immigration comme lui à se présenter en politique. » Patriarche, leader, ces mots reviennent souvent quand on évoque le rôle d'Issa au sein de la communauté. Une chose est sûre, c'est l'une des grandes figures tchétchènes de Belgique. Lorsqu'un Tchétchène rencontre un problème c'est souvent lui qu'on appelle pour apaiser les tensions. « Issa a fait 150 fois plus que la police! » estime son ami Magomed. Les forces de l'ordre locales lui ont d'ailleurs demandé son aide, au cas où des problèmes devaient survenir avec des Tchétchènes. « Il nous serait utile pour faire la traduction et apaiser les esprits. Depuis que nous lui avons demandé de nous aider, nous n'avons pas eu besoin de ses services mais il nous a appelé pour nous prévenir de l'organisation d'une manifestation tchétchène à Liège et nous avons transmis l'information à nos collègues. Il y a toujours des problèmes lors des rassemblements tchétchènes. Souvent des troubles de l'ordre public et des bagarres », confirme Daniel Baltus, commissaire de police à Eupen. Entre son travail, le club de lutte, ses fonctions d'arbitre international et son rôle au sein de la diaspora, Issa ne dort que quatre heures par nuit. Mais il n'a pas oublié ses ambitions politiques pour autant. Son rêve est de devenir député européen. Il espère pouvoir se présenter aux élections en 2019 pour « bâtir des ponts entre l'Est et l'Ouest », dit-il. D'ici là, Issa continuera son travail pour aider les autres à s'intégrer comme lui l'a si brillamment réussi.

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