Isabelle Roskam: «On doit s’autoriser le plaisir partagé avec ses enfants»

Isabelle Roskam est professeur à la faculté de psychologie de l’UCL-Louvain et mère de cinq enfants. Travaillant avec beaucoup de parents, elle analyse avec nous la démarche à avoir quand on a envie d’emmener nos mômes au cinéma. Que faut – il privilégier dans le choix d’un film pour enfants ? [scald=25897527:sdl_editor_representation] Il faut que ce soit un temps de plaisir partagé. Je travaille beaucoup avec des parents et je constate qu’ils se posent pas mal de questions chaque fois qu’ils font quelque chose avec l’enfant. Ça manque parfois de naturel. La notion de plaisir n’est pas ce qui est mis spontanément en avant. On choisit ce qui stimule les fonctions cognitives de leur enfant. On a l’impression que prendre du plaisir un peu gratuitement dans des activités de loisirs, ce n’est pas assez bien. On perd la notion de passer du temps de qualité ensemble. Oui, on peut s’autoriser à aller voir des films juste pour le plaisir. Même s’il n’y a pas un message en profondeur qui permet d’en discuter après. C’est bien aussi d’être en phase avec des émotions positives, avoir bien rigolé devant une comédie sans prétention. Donc la première question à se poser n’est pas : « Qu’est-ce que ce film va lui apporter dans son développement ? » mais « Va-t-on passer un moment de qualité ensemble ? » On est dans une société qui prône la compétence et la performance. Faire des choses gratuitement juste pour partager quelque chose de positif, on ne se l’autorise pas. Or, je crois qu’on doit s’autoriser cela avec ses enfants. Réapprendre la notion de plaisir, avoir des tranches de rire ensemble. Le cinéma est-il un bon vecteur de plaisir ? Oui si ça procure du plaisir aux parents et aux enfants. La notion de temps de qualité est très personnelle. Est-ce que le choix du film me correspond et correspond à mon enfant ? Ce n’est pas le film que tout le monde a envie de voir qui doit être choisi mais celui que j’ai envie de voir avec mon enfant. Il y a aussi des enfants qui ne sont pas rassurés dans une salle de cinéma car il fait tout noir et ça fait beaucoup de bruit. On choisit alors un autre loisir. Faut-il préparer l’enfant à ce qu’il va voir ? Pas forcément. Car il y a le plaisir de la découverte. Est-il important de parler ce qu’on a vu avec l’enfant ? Absolument. Rediscuter du film ravive les émotions communes. Ça crée une complicité et permet des échanges riches. On peut verbaliser sur ce qu’on a ressenti. C’est à travers cela aussi que l’enfant apprend la perspective de l’autre. On peut être devant la même chose et ne pas ressentir la même émotion. Les enfants sont égocentrés, ils ont besoin qu’on leur apprenne qu’il y a des choses qui peuvent leur faire plaisir mais en effrayer d’autres. Au cinéma, les échanges sont limités, c’est pourquoi il est important de poursuivre la discussion après. Ça permet aussi de mieux se connaître mutuellement. De mieux connaître nos enfants et du coup de mieux choisir en fonction des goûts et du tempérament des enfants. Dans le choix des films qui sortent d’ici Noël, il y a une nouvelle version de « Mary Poppins » et une nouvelle version de « Rémi sans famille ». En quoi ces deux classiques peuvent-ils toucher les jeunes d’aujourd’hui ? Les classiques, ça marche toujours car cela touche à des choses pertinentes pour les enfants. Dans le cas de Mary Poppins , c’est toute la question de la magie mais aussi du rapport adultes-enfants. Car ce qui est au cœur de cette histoire, ce sont des parents pas très disponibles pour leurs enfants et une nounou magicienne qui se met à leur hauteur et prend le temps du partage. C’est quelqu’un de ferme mais bienveillant. Elle met des limites mais elle les fait aussi rêver. Mary Poppins a tout du parent idéal. C’est très contemporain : des parents pris dans la vie active, dans leur boulot et c’est la nounou qui vient jouer leur rôle. Thématique ultra-contemporaine. Comme elle l’était à une autre époque où dans les familles bourgeoises on confiait l’éducation de ses enfants à une nounou. On ne met plus nos enfants en nourrice mais on les met à la crèche, dans des stages… Pour Rémi sans famille , ça soulève le fait de grandir sans parents, la question de qui je suis, d’où je viens. Cela touche à la question de l’attachement, de la solitude, du besoin d’être aimé, reconnu. C’est quelque chose de très contemporain aussi avec des trajectoires de migration et d’abandon pour bien des enfants. Les enfants connaissent tous des enfants et des familles dans des situations moins faciles, avec des parcours difficiles. Les films Disney d’aujourd’hui sont beaucoup plus speedés. Est-ce une bonne chose de coller à la frénésie de la société ? Si je n’avais qu’un conseil, je dirais : variez ce que vous donnez à vos enfants. Il faut leur faire découvrir des choses qu’il n’irait pas chercher du premier coup. Les enfants vont vers ce qu’ils connaissent. Ils adorent regarder 100.000 fois la même chose. Il faut essayer d’exposer ses enfants à des films différents qui offrent des univers différents. Car c’est peut-être là qu’on découvre son enfant. On apprend ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas et on peut l’ouvrir à une variété. Lui donner aussi le droit de ne pas aimer. Mais que ce soit argumenter. C’est un cliché que de dire que les enfants aiment la frénésie. Il y en a plein qui adorent toujours la poésie et les petites princesses. Les classiques de Disney jouent sur ce qu’aiment les enfants : le contraste entre le bien et le mal, la petite touche d’humour, la solidarité entre les personnages pour lutter contre ce qui ne va pas. Donc remontrer des classiques Disney, faites-le. A quel âge un enfant est-il prêt à découvrir en salle ? C’est très différent d’un enfant à l’autre. Il faut être très attentif aux caractéristiques personnelles de l’enfant. Le cinéma est une salle qui devient toute noire et où le niveau sonore est très fort, cela peut être inconfortable pour certains. Regarder la télé ça passe très bien en salle, ça les angoisse à cause du noir mais aussi des effets sonores. Et ce n’est pas que pour les films d’aujourd’hui. Mettez la bande-son de Blanche Neige est très angoissante. Il faut laisser le temps à chacun d’appréhender ses stimulations sonores fortes. Ce n’est pas une question d’âge. Autre chose : certains enfants savent tenir en place pendant deux heures, pour d’autres c’est trop dur. Certains ont besoin de bouger après une demi-heure. L’essentiel est de connaître son enfant à travers ses goûts et le contexte environnemental. Pourquoi le cinéma reste-t-il magique pour les enfants ? Pour les enfants qui aiment ça, c’est le contexte en soi : se retrouver dans le noir avec une télé gigantesque a un côté fabuleux. Ça crée la magie. Au cinéma, on se fait absorber par le film car on a zéro stimulation en dehors que le film. Ce qui est différent avec la télé qui est dans une maison où ça bouge. Le cinéma, c’est un peu un moment suspendu, un cocon. Le film pour enfant qui marche bien surfe sur la vague de la morale binaire de l’enfant : c’est bien, c’est pas bien. Il n’y a pas beaucoup de nuance entre les deux. Pour l’enfant, il y a les bons et les méchants de façon à ce qui se passe dans le film ne fasse aucun doute sur ceux qui doivent gagner. Il ne faut pas trop jouer sur la nuance mais alterner les ascenseurs émotionnels (rire, angoisse, tristesse, mélancolie…). Regardez « Le roi Lion », tout y est : les gentils, les méchants, les ascenseurs émotionnels. Dessin animé ou personnages en prise de vue réelle ? Les tout-petits préfèrent les dessins animés. Ils comprennent ce qui est en train de se passer car les expressions émotionnelles des personnages sont très caricaturales, donc mises à leur portée. Cela rejoint à la manière dont on s’adresse à un petit enfant ou un bébé, on exagère nos réactions émotionnelles car un enfant décode les émotions à partir du moment où elles sont claires. Quand on regarde un film avec des acteurs réels, ce n’est pas la même chose. Les personnages sont comme dans la vie réelle. C’est moins accessible pour les petits. Un des codes très exploités par Disney, Pixar et cie, c’est le second degré pour l’adulte qui accompagne l’enfant. Cela m’a frappé en allant voir Indestructibles 2 avec mes deux plus jeunes enfants. Le film traite de toute la perméabilité des rôles de genres, C’est très actuel dans la volonté d’avoir une égalité homme-femme. Dans le film, il est question du rôle parental, des stéréotypes de l’homme devant prendre le rôle maternel. Cela est passé totalement au-dessus de la tête de mes enfants mais le film donne aux adultes qui accompagnent leur enfant quelque chose à se mettre sous la dent. Cette approche permet de regarder le film avec notre regard d’adulte. On y trouve aussi notre compte et on va continuer à avoir envie d’aller au cinéma ensemble. C’est très malin.

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