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YouTube, terre promise des complotistes et extrémistes de tout poil

Une mouvance idéologique radicale a réussi à se renforcer sur la plateforme vidéo en profitant des failles de son algorithme. YouTube, réseau social préféré des moins de 20 ans, serait-il devenu un moteur de radicalisation ? Le géant s’en défend.

Responsable du pôle Multimédias Temps de lecture: 5 min

On mesure depuis cette semaine, et la publication du rapport du comité du Sénat américain relatif aux activités de renseignements, l’efficacité redoutable de l’arme de désinformation massive pilotée depuis Saint-Pétersbourg durant la campagne présidentielle. Pour décrédibiliser Hillary Clinton, et propulser Trump à la Maison Blanche, les trolls russes ont réussi à diffuser leur venin de manière coordonnée à travers 3.841 comptes Twitter, 133 comptes Instagram et 81 pages Facebook. De quoi susciter 73 millions de réactions sur Twitter, 77 millions sur Facebook et, on ne l’avait pas soupçonné, 187 millions sur Instagram. Le rapport met aussi en lumière le rôle joué par YouTube, où les trolls russes animaient quelque 17 chaînes de propagande.

Alors que tous les projecteurs s’étaient focalisés sur Facebook, on a cru un temps que la plateforme vidéo de Google passerait entre les mailles du filet. YouTube serait pourtant un des terreaux les plus fertiles pour les croyances les plus folles, les théories du complot et surtout, les idées de l’extrême-droite. En cause : le fonctionnement même de son algorithme dont l’obsession se résume à assurer une visibilité maximale aux contenus. On est ici au cœur de l’économie de l’attention. L’idée ne consiste pas tant à flatter vos intérêts, mais d’inconsciemment vous entraîner dans une bulle de contenus réduite. A ce jeu, les vidéos les plus farfelues ou exposant les théories les plus radicales tirent facilement leur épingle du jeu. Ce sont précisément ces failles qu’exploiteraient à fond les complotistes et extrémistes de tout poil.

Moteur de la radicalisation ?

YouTube, moteur de la radicalisation ? Un reportage du Daily Beast, qui est à la plateforme vidéo de google ce que le New York Times est à Facebook, soit son principal poil à gratter, livre une pièce accablante au dossier. Dans son édition du 17 décembre, le site expose les témoignages d’une série de jeunes internautes happés inexorablement dans la nasse de « l’alt-right » américaine, cette nouvelle droite extrémiste décomplexée, elle-même biberonnée aux codes du Web. C’est le cas de David Sherrat, 19 ans, qui, de lien en lien, en est arrivé à « rencontrer un néonazi sans le savoir ». Sa transition extrémiste a duré 4 ans, depuis de simples clips inoffensifs de « Call of Duty » jusqu’à des groupes anti-féministes et le mouvement masculiniste, qui colporte l’oppression des hommes par les femmes. Arrive le jour où il se retrouve en train de poser pour un selfie avec d’autres « youtubeurs », ouvertement négationnistes. Nous avons fait le test en tapant « pacte de Marrakech ». Trois clics on suffit pour que l’on nous expose des contenus douteux, dont l’incontournable Sputnik, organe de propagande russe, agitant le spectre d’une immigration massive en Europe. Cinq clics pour tomber nez à nez avec des vidéos de groupe d’extrême droite, dont une flirtant avec le million de vues.

Contenus nauséabonds, fake news, théories du complot, idées réactionnaires, suprématistes blanches, misogynes… En dépit des mécanismes correctifs mis en place par Google, son algorithme de recommandation fait l’objet d’un nombre croissant de critiques. L’une des plus anciennes lui reprochait de ne pas faire la différence entre un dessin animé pour enfant et des parodies malsaines. En cause : « l’auto-play », ce mécanisme qui déclenche automatiquement la vidéo suivante, sans aucun filtre.

De quoi glisser dans des mondes, certes marginaux sur YouTube, mais redoutables en termes d’efficacité. Daily Beast, toujours, en novembre dernier, épinglait le cas des «<UN>platistes<UN>» ( » flat-earthers », en anglais), qui sévissent le plus sérieusement du monde en affirmant que la Terre n’est pas ronde, mais plate. Le tout à grand renfort de vidéos complotistes. Mais aussi de conventions en chair et en os, comme la « Flat Earth Conference » qui s’est tenue à Denver (Colorado), en novembre dernier, où des centaines de « youtubeurs » s’échangeaient leurs plus belles vidéos sur leur smartphone. Du pain bénit pour YouTube qui met tout en œuvre pour susciter un maximum de vues, le plus longtemps possible, chez ses membres.

Réseau d’influence alternatif

Si les « platistes » font plutôt sourire, les « youtubeurs » de l’alt-right, qui autrefois agissaient plutôt sur des plateformes plus confidentielles comme 4Chan, suscitent plutôt l’inquiétude. Trois études récentes ont pu démontrer le succès de YouTube au sein de l’extrême droite, qui en a fait un de ses outils de propagande privilégié, loin devant Facebook. La première, menée par le chercheur J.M. Berger pour le compte de Vox Pol Network (université de Dublin), a analysé les liens tweetés par les membres de la mouvance radicale en Europe. La majorité des 74.000 tweets analysés renvoyaient vers une vidéo de YouTube. La seconde a été menée par le média d’investigation Bellingcat, qui s’est penché sur les conversations entre militants fascistes sur la plateforme de discussion Discord. L’analyse de ces données montre que les vidéos de YouTube sont très souvent au cœur de la radicalisation, singulièrement au moment où des militants relativement « softs », selon les standards de l’alt-right, basculent vers des contenus explicitement fascistes. Des « youtubeurs » comme Milo Yiannopoulos, Alex Jones ou Ben Shapiro (aujourd’hui bannis de YouTube) sont souvent cités.

La troisième étude remonte au 18 septembre. Publiée par l’institut de recherche américain Data & Society, elle montre comment un vaste « écosystème » s’est déployé sur YouTube autour d’un « réseau d’influence alternatif » constitué d’environ 65 universitaires, spécialistes des médias et figures du Web, évoluant du conservatisme tranquille à l’extrême droite virulente. Tous multiplient les « talk-shows », rameutant des dizaines de milliers d’internautes autour de leurs thèmes fétiches : antiféminisme, nationalisme blanc, rejet de la « bien-pensance » de gauche, rejet de l’immigration, misogynie…

Aujourd’hui, YouTube, 1,9 milliard d’utilisateurs mensuels, est le réseau préféré des moins de 20 ans, très loin devant Facebook, réseau de « vieux ». Selon la dernière enquête du Pew Research Center, 85 % des ados américains y seraient présents.

 

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3 Commentaires

  • Posté par Snyers Damien, vendredi 21 décembre 2018, 9:02

    Ha ha ha ha ha :D Prendre une capture d'une vidéo de JP Sears comme illustration, le gars qui fait de la parodie critique, c'était peut-être pas le meilleur choix pour un article sérieux, ça aurait été mieux de prendre un vrai complotiste ^^

  • Posté par Snyers Damien, vendredi 21 décembre 2018, 11:00

    Oui c'est pas faux. Mais ça me fait surtout rire de voir JP dans ce contexte ^^

  • Posté par Fizaine Grégory, vendredi 21 décembre 2018, 10:06

    Je trouve ce choix pertinent. Cela permet de ne pas donner davantage de crédit aux véritables con plotistes.

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