2016, année de la laïcité?

La laïcité sera un des principaux thèmes de l’année politique 2016, du moins si une discussion s’ouvre au Parlement fédéral sur l’idée de l’inscrire dans la Constitution. Et ce débat promet d’être animé. Les lecteurs du Soir ont pu s’en rendre compte, il y a presque autant de définitions juridiques de la laïcité que d’intervenants, de même que les conséquences attendues de son éventuelle inscription dans la Constitution varient d’une personne à l’autre. Certains jugent que cette innovation ne changerait rien, la laïcité de l’État étant déjà garantie dans la Constitution sans que le mot n’y figure, alors que d’autres estiment qu’il faut ériger la laïcité en principe constitutionnel pour pouvoir en tirer toutes les conséquences, qui introduiraient autant de nouveautés dans l’ordre juridique belge. En fait, ces débats sémantiques et juridiques sont avant tout des débats politiques, au sens noble du terme. S’accorder sur un mot n’est guère utile, si le terme recouvre des projets divergents. On peut aisément s’entendre sur la séparation des Églises et de l’État, vue comme autonomie de chacune des deux sphères, religieuse et politique, par rapport à l’autre : il s’agit là d’un principe laïque consacré par la Constitution belge. Mais, pour autant, veut-on en finir, en Belgique, avec le financement public des cultes, qui constitue a priori une entorse au principe de séparation ? Des spécificités belges De même, l’idée laïque de neutralité de l’État à l’égard de toutes les convictions fait consensus : nul ne peut engager la puissance publique en faveur d’une croyance déterminée. Mais si l’État doit être neutre, peut-il financer certains cultes et pas d’autres, comme on le fait en Belgique ? Et que faire de cette spécificité belge qui voit les écoles publiques organiser des cours de religion et de morale, ou l’État subventionner très largement les écoles privées, assimilées à un service public fonctionnel ? Jusqu’où doivent aller les principes de séparation et de neutralité ? Ceux qui veulent introduire la laïcité dans la Constitution entendent-ils en tirer toutes les conséquences qu’on en tire en France, ou veulent-ils instaurer une laïcité « à la belge » qui préserverait nos plus anciens compromis ? Le débat sur les contours de la laïcité ne concerne pas seulement les restrictions que l’on pourrait apporter à ce principe au moment de le constitutionnaliser. La question est surtout de savoir si l’on ira au-delà d’une des définitions les plus célèbres de la laïcité, celle du spécialiste français Jean Baubérot. Ce dernier a dégagé quatre principes constitutifs de la laïcité : la séparation des Églises et de l’État ; la neutralité de l’État à l’égard de toutes les convictions ; la liberté de conscience et de culte ; l’égalité des droits pour tous, indépendamment des convictions. Cette liste frappe par sa symétrie – deux principes concernant l’État, deux concernant les citoyens –, ainsi que par son apparence d’exhaustivité. Mais certains partisans d’une constitutionnalisation de la laïcité ne se limitent pas à ces principes : ils y ajoutent, notamment, la suprématie de la loi civile sur la loi religieuse et le devoir de l’État de protéger les citoyens contre les excès de pouvoir des Églises ou des groupes religieux. Un débat politique, plus que juridique On le voit, ces deux ajouts ne sont pas des détails. La suprématie de la loi civile est très largement reconnue, mais avec des nuances : certains s’efforcent d’en limiter les effets au moyen de clauses de conscience ou de droits spécifiques accordés aux « entreprises de tendance ». De même, protéger les citoyens des pressions exercées au nom de la religion – par exemple en interdisant les signes religieux à l’école, ainsi que le propose Patrick Dewael afin de soulager les jeunes musulmanes – procède d’un principe largement admis, la liberté de conscience et l’absence de contrainte en matière convictionnelle. Mais sa traduction concrète divise : comment légiférer pour libérer ? Peut-on forcer les individus à s’émanciper, ce qui paraît contradictoire alors que c’est un des sens de l’obligation scolaire ? Certaines définitions de la laïcité, comme celle de Baubérot, conviennent à presque tous car elles ménagent les droits et les intérêts des religions, alors que d’autres définitions sont spécifiques au mouvement d’idées dans lequel s’inscrivent la laïcité organisée et le républicanisme français. Si le débat a lieu au Parlement, il sera donc politique bien plus que juridique.

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