Fary, le crooner du stand-up

Il a des dreadlocks en chignon, qui lui donnent des airs de neveu de Bobby McFerrin – le vocaliste new yorkais qui musait, en 1988, « Don’t worry, be happy ». Il a la voix douce, en interview, celle d’un petit frère de MC Solaar. La « coolitude », sur scène, d’un cousin de Clooney. Si vous ne le connaissez pas encore, ça ne saurait tarder. À 27 ans, Fary, Français aux origines cap-verdiennes, s’apprête à remplir le Cirque Royal et le Forum de Liège. L’an passé, le nouveau protégé de Kader Aoun devenait le premier humoriste français à être distribué sur Netflix, avec Gad Elmaleh. Le magazine GQ en faisait son « humoriste de l’année ». On ne parlera pas ici du nombre de vues que ses spectacles génèrent sur les réseaux sociaux (65 millions sur Facebook). Au milieu de la meute des humoristes actuels, tant ils sont aujourd’hui légion, Fary apporte une véritable fraîcheur. Il sort du lot. On le retient. Son humour, ni potache ni trash, a une ironie douce qui rassemble. Il a la gestuelle d’un crooner, qui balancerait de temps en temps une vanne, entre deux solos de jazz. Fary, c’est un peu le Nat King Cole du stand-up. Avec un parcours de gamin précoce. Enfant prodige À onze ans à peine, ce jeune fan d’Elie Kakou fait ses premiers pas sur scène, en reprenant un sketch de Jamel « à une soirée caritative organisée par mon oncle au profit des enfants du Cap Vert ». Dans la foulée, il écrit ses propres sketches. Teste une première scène parisienne vers seize-dix-sept ans. Et se professionnalise déjà vers 19 ans, avec une grande salle et un premier cachet. [scald=26119867:sdl_editor_representation] Quelques passages à la télévision (« On n’demande qu’à en rire », puis le « Jamel Comedy Club » et « On n’est pas couché »), et voilà sa carrière lancée, dès 2016, avec un premier spectacle, « Fary is the New Black », mis en scène par Kader Aoun, dans lequel il disséquait les mille visages de la discrimination ordinaire, banalisée. « Il y a aujourd’hui un racisme plus malin que jadis, dit-il. Moins frontal, et du coup plus impactant dans la vie de tous les jours. Comme on ne le voit pas, il est plus ancré dans le quotidien. Il se traduira dans les refus d’appartements, de postes… Le diable est dans les détails. » [scald=26119868:sdl_editor_representation] Dans « Fary is the New Black », l’artiste insistait sur les effets pervers de la langue française. Certains mots ont du mal à être dits. À « noir », on préfère aujourd’hui « black ». Le sujet le rend prolixe. « Dire le mot “black”, aujourd’hui, c’est mettre inconsciemment de la négativité sur le mot “noir”. C’est laisser entendre que le mot “noir” est un gros mot, puisqu’on évite de le prononcer en français. Si ce mot a de la négativité aujourd’hui, c’est qu’on part du principe que ce mot dit quelque chose de ce que nous vivons. » Idem du mot « juif » ou « arabe ». Des mots difficiles à dire. Or, poursuit Fary, « les mots, c’est beaucoup plus fort que ce qu’on croit. En utilisant un mot plus qu’un autre, on transmet quelque chose. Quand on dit néo-nazi, le mot utilisé adoucit presque la réalité. » Fary débarque chez nous avec son deuxième spectacle, « Hexagone », qu’il vient de créer au Comédia, à Paris. Le titre du spectacle ne fait écho en rien à une célèbre chanson de Renaud. « Quand on écoute cette chanson, on se dit que Renaud aurait pu l’écrire la semaine dernière. J’ai choisi ce titre en pensant à cela. Le spectacle raconte l’insécurité de la France, l’insécurité à être Français aujourd’hui, mais de manière plus douce que dans la chanson. » « Hexagone » n’abordera pas l’actualité, précise Fary. « Ce qui est risqué avec l’actu, c’est que ça passe vite. J’ai un peu du mal avec cette soif d’actualité, basée sur un rythme toujours changeant. Je préfère l’idée, comme dans la chanson de Renaud, qu’on puisse entendre ça vingt ans plus tard, sans avoir le sentiment qu’on parle de quelque chose qui n’existe plus. L’idée, c’est de faire une pièce d’art qui va durer le plus longtemps possible… ce qui est contraire à un travail surtout centré sur l’actualité. » De quoi parle « Hexagone » ? D’identité, dit-il. La question étant : « c’est quoi, être ? Et c’est quoi, devenir, en fonction de l’endroit où l’on vit ? C’est quoi de se construire dans un monde qui est dans cette ambiguïté, entre le populisme et de grosses mégalopoles qui avancent à la vitesse des réseaux sociaux ? » « Un chroniqueur de la vie » Comment vit-il dans le grand désordre contemporain de la France sous Macron, celle des gilets jaunes, de Le Pen et Mélenchon ? « Je suis un peu un chroniqueur de la vie. Je suis spectateur, c’est ma chance. » Spectateur, et à sa façon pédagogue. L’humour noir, le sarcasme, la subversion frontale, ce n’est pas son mode de fonctionnement. « Quand j’écris, ma seule limite est de ne pas vexer des gens. Des fois ça arrive qu’on perde une personne. Mais quand ça touche un groupe d’individus, c’est que j’ai un peu raté mon objectif. J’ai un sketch qui a bien fonctionné sur internet, qui parlait du legging. Mais à un certain moment, je me suis demandé si ce n’était pas misogyne, et vexant pour les femmes plus rondes. Heureusement, j’ai eu beaucoup de retours positifs de filles… ça m’a rassuré. Le propre de l’humour c’est de créer du lien, de connecter les gens. Or, c’est quand on commence à rigoler ensemble qu’on se met à créer du lien. » Le refus du commentaire politique, propre à la revue de presse, n’empêche pas certains des penchants de Fary, que l’on devine sans peine. « Beaucoup de gens ne comprennent pas aujourd’hui le monde qui avance, avec ses mouvements migratoires. Alors en face, il faut de la pédagogie. C’est ce que j’essaie de faire, à ma façon. J’aime beaucoup la phrase de Tupac, le rappeur américain, qui disait : “Je ne sais pas si je vais changer le monde, mais en tout cas j’espère que je vais influencer les gens qui vont le changer.” » À la différence de nombreux aspirants comiques, qui commencent dans de petits cabarets et rêvent de finir star de cinéma, Fary dit avoir déjà trouvé son nirvana : la scène. Il ne manque pas de confiance. Connaît son potentiel. « Le vrai talent que j’ai, c’est là, sur scène. Je n’ai jamais été le clown de service, celui qui fait constamment des blagues. Mais la scène, c’est un truc qui m’est naturel. Quelque chose que je gère. Dans mon esprit, j’y suis chef d’orchestre, je dirige une audience. Je joue d’un instrument, et l’instrument c’est le public. » Toutes ses ambitions sont-elles pour autant réalisées ? Pas encore, nuance-t-il. « Je voudrais maintenant essayer d’être meilleur et plus sincère à chaque spectacle. Monter le curseur de tout ce qui me plaît en humour. Être moins attendu, plus surprenant, plus poétique, plus efficace, plus intelligent. » Au pied d’une carrière fort prometteuse, Fary ne perd pas de temps. Son troisième spectacle est presque écrit. « Ça parlera du couple et de l’amour. » De la part d’un crooner du rire, un rendez-vous déjà immanquable. Le 18 février au Forum de Liège, www.leforum.be ; les 10 et 11 mars au Cirque Royal, www.cirque-royal-bruxelles.be

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