Professions: slasheur
Peut-être faites-vous du slashing sans le savoir. Ce billet vous dit tout, slash, cash & clash…


Ma voisine est formidable ! Elle a entamé sa semaine en animant deux journées de coaching, l’a poursuivie par des cours de marketing et la termine avec un atelier qu’elle consacre au sponsoring. Comme bien d’autres personnes de sa génération, ma (jeune) voisine pratique le slashing : elle est slasheuse !
Combiner plusieurs activités rémunérées, par choix ou par nécessité, devient de plus en plus fréquent. Comme souvent, il a fallu inventer les mots qui correspondent à ce phénomène de société. Sans surprise, c’est l’anglais qui a inspiré les néologismes slasheur, -euse et slashing : il s’agit de composés de slash, dénomination de la barre oblique qui sépare typographiquement des formes associées. Cela vaut-il un clash avec mes lecteurs francophiles ?
Pas de slache pour les slasheurs…
Ma petite souris me dit que ce billet risque d’être clivant. Son sujet sera familier à d’aucuns, mais paraîtra incongru à d’autres. Son développement ravivera les craintes d’une anglicisation du français ou confirmera la séduction de l’anglais dès qu’il s’agit de nommer un phénomène de société en plein boom. Je me risque : avez-vous, dans votre entourage, des personnes qui pratiquent le slashing, en d’autres termes, des slasheuses et des slasheurs ?
J’entends déjà des commentaires sur la consonance pantouflarde de cette appellation. Détrompez-vous : les slasheuses et les slasheurs (répétez-moi cela dix fois de suite…) sont hyperactifs. On désigne ainsi des personnes qui exercent simultanément plusieurs activités rémunérées. Votre nièce slasheuse souhaite ajouter aux revenus étriqués de son emploi dans une grande surface ceux d’une graphiste indépendante. Votre cousin slasheur aime combiner son métier de journaliste et sa passion de comédien.
Association entre un métier du cœur et un métier de la raison ou cumul d’activités pour atteindre un revenu décent, le slashing procure à celles et ceux qui le pratiquent plusieurs identités professionnelles. Cette nouvelle relation au monde du travail implique des capacités d’adaptation et de réactivité qui s’avèrent bien utiles dans une société en mutation permanente. Et les adeptes du slashing sont de plus en plus nombreux : d’après certaines évaluations, ils seraient plus de quatre millions en France (environ 16 % de la population active).
… mais de multiples casquettes
Comment nommer ce phénomène de société qui a pris de l’ampleur ces dernières années ? Dans le monde anglo-américain, c’est la dénomination slash worker qui s’est imposée. On y trouve le terme technique slash, ce signe typographique servant à séparer par une barre oblique des formes associées, comme dans la séquence (répandue depuis quelques années) et/ou. Dans le contexte qui nous intéresse, cette barre oblique sépare les différents titres d’emplois.
En Europe francophone, on a créé au départ du même mot les noms slasheur (parfois écrit slasher) et slasheuse , apparus il y a quelques années. La première mention repérée après une rapide consultation de la Toile remonte à un article du 8 mars 2012.
Significativement, c’est la forme slasher qui apparaît à ce moment, avec une finale conforme à la morphologie anglaise, mais qui cèdera bientôt le pas à la forme francisée slasheur. Plus récemment est venue s’ajouter la forme slashing, nom masculin qui désigne le cumul de plusieurs activités rémunérées.
Ces néologismes posent une nouvelle fois la question de la capacité des francophones à nommer en français de nouvelles réalités. Comme souvent, on observe des pratiques différentes de part et d’autre de l’Atlantique. L’Office québécois de la langue française, peu enclin à adopter des anglicismes, propose travailleur plurifonction, travailleuse plurifonction, ou cumulotravailleur, cumulotravailleuse. J’ai également relevé le composé multi-entrepreneur (-euse) et la périphrase cumuleur (-euse) de jobs.
Nul doute que les geeks qui suivent cette chronique enrichiront la courte histoire du mot slasheur par d’intéressantes attestations. S’agissant d’une activité non rémunérée, il ne pourra être question de slashing. Votre chroniqueur n’aimerait pas se faire jeter comme une vieille slache…
Que serait cette chronique sans ses lectrices et lecteurs ?
Il m’arrive régulièrement de souligner l’apport des lectrices et des lecteurs de cette chronique, à propos de billets publiés ou de thématiques à traiter. Deux sujets récents confirment l’importance de cette contribution, que j’accueille avec une sincère gratitude.
Les élèves belges qui brossent pour le climat ont inspiré plusieurs réactions qui permettent d’illustrer la variété des synonymes du verbe sécher dans la francophonie. Ainsi, en Suisse romande, d’après le témoignage de M. Nozomu, confirmé par la Base de données lexicographiques panfrancophone, on courbe les cours.
Des formes plus localisées apparaissent : biffer (Neuchâtel), biquer (Jura), flûter (Valais), gatter (Genève) ou schwentser (Berne, Fribourg, Neuchâtel). Outre-Atlantique, d’après l’Oreille tendue de Benoît Melançon, on foxe un cours, mais on peut aussi le skipper, le loafer ou même le phoquer .
Sans vouloir rouvrir le dossier de l’origine de notre brosser , je relaie la référence au Dictionnaire de la langue française de Littré que Rosanne Mathot m’adresse, à propos d’une phrase de Saint-Simon où il est question de quelqu’un qui « brossa à travers la compagnie et disparut » (avec l’acception « s’échapper, s’esquiver à travers »). Sur le même sujet, Maurits Van Overbeke me rappelle que, dans le parler flamand de Leuven, le nom bros signifiait « zéro ». Recevoir un zéro à l’examen se disait donc een bros krijgen du côté de la KUL, mais on entendait aussi ramasser une brosse à l’UCL. Peut-être est-ce à rapprocher de l’expression du français populaire faire brosse « échouer », attestée depuis le 19e siècle et qui est à mettre en rapport avec un des sens figurés du verbe (se) brosser : « être obligé de se passer de ce que l’on désire ».
Le billet sur l’hypothétique flandrisation de la Wallonie a donné l’occasion à Hervé Champagne d’ajouter à la liste des dérivés attestés de Flandre le nom flandrin, aujourd’hui vieilli mais naguère bien implanté en français général.
Quant à Pierre-Yves Lambert, il m’a fait découvrir l’adjectif (parfois nominalisé) flamanisé, en vogue chez les jeunes Bruxellois∙e∙s issu∙e∙s de l’immigration marocaine. Pour les personnes qui se demanderaient ce qu’est un Arabe flamanisé, voici une réponse fournie dans l’enquête menée par David D’HONDT à Bruxelles en 2010 sur «La jeunesse à la bruxelloise» : « C’est un Arabe fashion qui porte pas de Sebago, pas le dégradé, il met pas de gel, pas de chaussure comme Prada et une veste en cuir. Pour moi c’est un gars qui s’habille bien, classe, toujours beau… Ce sont les plus beaux. »
Que ces fidèles lectrices et lecteurs soient remerciés et, à travers eux, toutes les personnes qui font vivre cette chronique.
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S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir3 Commentaires
Excellent article, plaisir de fin de semaine ... pas trop dispendieux!
Fin de semaine, dispendieux... Un air (frais) venu de la Belle Province, merci Monsieur Poupaert !
Cette invasion de l'anglais me fait pleurer de rage... J'entends encore mon père saluer son interlocuteur du vendredi par un percutant "bonne fin de semaine." C'était il y a bien longtemps...