Quand la télé aide la justice

Un homme corpulent avec une longue barbe descend d’une voiture un grand sourire aux lèvres. « Enfin ! », s’exclame une jeune femme en pleurs. La caméra filme les retrouvailles de Steven Avery avec sa famille. Nous sommes en 2003 et cet habitant du Wisconsin, ancien employé d’une casse, vient d’être libéré après dix-huit ans de prison pour une agression sexuelle qu’il n’a pas commise. Cette fois, le personnage existe Cette première scène de « Making a Murderer », disponible sur Netflix, plante le décor. Le spectateur va découvrir au fil des douze épisodes l’histoire dingue, quasi irréelle, de Steven Avery. Un scénariste n’aurait pas pu inventer de meilleur personnage. Le père de quatre enfants est incarcéré à la suite d’une erreur de la police et libéré des années plus tard grâce aux analyses ADN. Rebondissement dès le deuxième épisode : après sa libération, il est accusé du meurtre de la jeune Teresa Halbach alors qu’il réclame 36 millions de dollars de dédommagement pour son incarcération. Pas la peine d’aller plus loin dans les révélations, la série rend accro les adeptes du genre policier. Sauf que, cette fois, le personnage existe. Plus de 300.000 fans américains ont signé une pétition demandant le pardon présidentiel pour Steven Avery, toujours emprisonné actuellement. La série documentaire de Netflix insinue que les preuves ne sont pas valables. D’où l’élan citoyen pour soutenir le condamné. Le travail des deux réalisatrices, Moira Demis et Laura Ricciardi, a remis en lumière l’histoire de ce détenu. Le style de « Making a Murderer » rappelle celui utilisé par le thriller documentaire « The Jinx », produit par HBO en mars dernier. Le réalisateur Andrew Jarecki s’intéressait au cas de Robert Durst. En six épisodes, la série tourne autour de cette personnalité ambiguë et revient sur trois meurtres non résolus. Le final a fait grand bruit. Alors qu’il était aux toilettes, entre deux interviews filmées, le millionnaire a oublié que son micro était branché et avoué les crimes : « Mais qu’est-ce que j’ai fait bordel ? Bien sûr que je les ai tous tués. » La veille de la diffusion de l’épisode, la police a arrêté Robert Durst. « Beaucoup d’innocents dans les prisons américaines » Sur un autre média, le podcast radio « Serial » de la journaliste Sarah Koenig ressortait pour sa première saison une vieille affaire de meurtre de 1999. Le jeune condamné Adnan Syed a réussi à avoir une audience en appel suite à de nouveaux éléments mis en évidence par la série. La deuxième saison se concentre sur le soldat Bowe Bergdahl, détenu cinq ans par les talibans en Afghanistan et accusé de désertion. Les entretiens avec le militaire sont aussi inédits et exclusifs. Comment ces journalistes et réalisateurs arrivent à obtenir des éléments que la justice n’a pas ? Dans le cas de « The Jinx », c’est tout simplement un coup de chance. Steven Avery et Adnan Syed sont deux condamnés qui n’ont pas pu prouver leur innocence. « Il est difficile de revoir le dossier d’un condamné aux États-Unis, et la justice n’aime pas trop avouer qu’elle s’est trompée, explique Benoît Frydman, professeur de droit à l’ULB. Le système américain suppose qu’on investisse une somme importante pour se défendre. Si on n’a pas les moyens, ou si l’on est victime de préjugés racistes, c’est plus dur. C’est un jeu de lutte entre l’accusation et la défense. Il y a donc beaucoup d’innocents dans les prisons américaines. Heureusement des avocats, des cliniques, des ONG travaillent sur des affaires classées pour essayer d’innocenter, par exemple grâce à l’ADN. » Contacter les médias pour alerter l’opinion publique sur une injustice n’est pas nouveau. Mais est-il dangereux qu’une chaîne câblée ou une société comme Netflix utilise un fait divers pour réaliser une série ? « La justice est publique, commente Benoît Frydman. C’est très important que les journalistes ou réalisateurs puissent réviser la façon dont elle est rendue. Le fait que les citoyens s’intéressent et surveillent de près la justice est une bonne chose ». La décision finale sera toujours prise dans les tribunaux.

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