«On pourrait décider que les hommes se taisent pendant un an»

Il y a quelques semaines, un article du Soir révélait que 80 % des têtes de liste libérales aux élections de mai 2019 sont des hommes, blancs, de 52 ans en moyenne. Quelques jours plus tôt, le scandale de la Ligue du LOL illustrait la réalité d’une domination masculine fondée sur la cooptation entre hommes, blancs et hétérosexuels. [scald=26208298:sdl_editor_representation] Et chaque jour, un simple coup d’œil aux trombines qui défilent dans le poste – Donald Trump, Charles Michel, Poutine, Yann Moix, Houellebecq – suffit à confirmer cette prédominance médiatique, politique, sociétale, en zo voort. Fatalité ? Et si le changement devait se faire de l’intérieur ? Aux Tanneurs, un collectif tente l’expérience. Bernard Breuse, Miguel Decleire et Stéphane Olivier sont des hommes de plus de 50 ans, blancs et hétérosexuels. Le trio fait donc partie de la classe dite « dominante » et entreprend dans Calimerode scruter l’agacement que suscitent leurs privilèges. Sont-ils, inconsciemment, porteurs de reproductions patriarcales ? Sont-ils prêts à changer ? Transquinquennal a décidé de se donner en pâture, de regarder en face sa blanchitude ou son paternalisme. Le collectif devrait doublement battre sa coulpe puisque, en marge de la pièce, les trois comédiens se laisseront filmer, 24h/24, par des caméras de vidéosurveillance en streaming. Devenant des « choses » que le public peut railler, critiquer, haïr, les artistes répondront au public via des chats. « Nous voulons autoriser la colère du public, la provoquer même, lui laisser sa place ; celle du moteur d’un changement collectif transversal », annonce le trio. Est-ce qu’on peut parler d’un mea culpa, d’un examen de conscience ? Miguel Decleire. Nous avons l’impression de faire de notre mieux. Nous ne nous rendons pas compte de tout ce qui nous échappe, y compris des dominations que nous exerçons ou dont nous profitons. Nous sommes des hommes progressistes, mais il y a apparemment des injustices qu’on ne reconnaît même pas. On essaye donc d’en prendre conscience pour pouvoir changer. Stéphane Olivier. « Mea culpa », ça voudrait dire qu’on est coupable. Cette question de la culpabilité parasite le propos. S’il y a bien une chose qui est l’expression du patriarcat, ce sont les religions monothéistes et la culpabilité est un concept issu de ces religions donc, si on veut avancer, il faut sortir de cette question. Bernard Breuse. On peut parler de conscience mais d’inconscience aussi. On est au croisement. Il y a ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. Ce qu’on veut bien savoir et ce qu’on ne veut pas savoir. Qu’est-ce qui a provoqué cette envie chez vous ? MeToo ? M.D. On est parti de la pièce Straight White Men de Young Jean Lee. Ça a été le déclencheur pour décider de nous mettre en scène comme trois hommes blancs hétérosexuels. La pièce s’est avérée trop américaine pour l’adapter mais l’idée vient de là. S.O. Si aucun homme blanc considéré comme dominant ne prend la parole pour exprimer son point de vue, on n’en sortira pas. Il faut casser le schéma. C’est pour ça qu’on a voulu se documenter, s’interroger. Lors d’une rencontre autour de Philip Seymour Hoffman , par exemple, un de nos précédents spectacles, une jeune femme a pris la parole et nous a dit que ce spectacle traitait du viol, en parlant de certaines scènes de domination masculine que, de notre point de vue, on voyait plutôt comme du fantasme, quelque chose de surréaliste. B.B. Ce « viol » était un cas bien particulier : un personnage d’âge mûr profitait d’une situation pour coucher avec une adolescente de 15 ans. Nous pensions présenter cette situation de manière objective, sous forme de comédie. Nous n’y voyions pas la charge de domination. Le constat était pourtant évident : c’est une oppression, et de la pire espèce. Si vous deviez confesser un méfait en tant qu’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans ? B.B. La question qui nous occupe est aussi la question raciale et comment la société évolue. Je me suis aperçu que je fais partie de la majorité qui ne veut pas savoir ce qui se passe, qui préfère mettre une couche d’oubli sur la domination qu’on a exercé au Congo, par exemple, et qu’on continue à avoir sur la RDC. Mais je me suis documenté et des choses ont commencé à me choquer. Par exemple, quand Didier Reynders, en tant que ministre des Affaires étrangères, dit : on veut avoir le résultat des élections en RDC. Je me demande quelle serait notre réaction si un mandataire politique congolais disait : je veux avoir le résultat des élections à Wezembeek-Oppem. On continue d’être sur une domination post-coloniale. S.O. J’ai été élevé dans une famille progressiste, plutôt pro-féministe. J’ai essayé d’avoir cette attitude vis-à-vis des femmes. J’ai fait au mieux pour partager les tâches, et puis ma femme m’a quitté pour un homme plus jeune d’origine latino. J’avais près de 50 ans et je me suis dit : j’ai eu cette attitude-là et qu’est-ce que j’en ai tiré ? Je me suis quand même demandé si je ne m’étais pas fait avoir. C’est quand même les machos qui sortent avec les plus belles filles, c’est quand même les gars extrêmement dominants qui sont à la tête de l’Etat, qui gagnent plus d’argent. Bien sûr, je suis pour une égalité absolue entre les personnes, mais il reste un hiatus entre le discours et les faits. Pourquoi intituler le spectacle « Calimero » ? Avez-vous l’impression de ne pas être responsable de ces mécanismes de domination ? S.O. Non. C’est simplement parce qu’en Flandre, Calimero est le surnom qu’on donne à Bart De Wever, qui est notre porte-drapeau en tant qu’homme blanc dominant de plus de 50 ans. Qui, en plus, n’ose pas avouer qu’il a fait une chirurgie bariatrique pour perdre ses 50 kilos, ce qui est une coquetterie très machiste.

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