Grand format - Dans la foulée du groupe Borlée

Il est 10 heures ce vendredi et Jonathan Borlée est déjà occupé à faire ses gammes depuis une heure dans l’Indoor Atletiek Hal, situé sur le site de la Faculté d’éducation physique de l’Université de Louvain. Il est venu en éclaireur avant l’arrivée de son père, de ses frères Kevin, Dylan et Rayane, d’Hanne Claes et de Damien Broothaerts, les autres membres du « Team JB » qui s’entraînent ce matin. « Je connais le schéma global, ça fait tellement longtemps que je fais ça, mais les séances varient au jour le jour », explique, entre deux déboulés, le recordman de Belgique du 400 m, qui va découvrir au fil de la journée le programme que lui a concocté « le coach ». Le jour du départ pour les Etats-Unis pour un long stage qui va précéder les Relais mondiaux de Yokohama (11 et 12 mai) approche pour les membres du groupe d’entraînement le plus performant de l’athlétisme belge. Un groupe qui a vécu sous haute tension ces dernières semaines avec l’affaire de la convention que voulait imposer la Ligue belge d’athlétisme à quelques jours de l’Euro en salle de Glasgow. Sans compter la lettre incendiaire que la Ligue francophone a publiée sur son site, dans laquelle elle s’en est prise violemment à Jacques Borlée après ses plaintes proférées en Ecosse, révélant sur la place publique ses émoluments et ses dépenses ainsi que le coût global des bourses dont ont bénéficié ses enfants de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles depuis plus de dix ans. [scald=26239380:sdl_editor_representation] « On paie nos impôts en Belgique » « Vu le contexte, j’ai été assez étonné de leur sérénité et de leur forme à Glasgow », dit Jacques Borlée qui, en tant que coach du relais 4 x 400 m, a vu ses hommes décrocher leur 11e médaille en 22 finales, ceci à côté des 9 autres remportées au fil des ans par ses enfants Olivia (2), Kevin (3), Jonathan (1) et Dylan (2) et Jonathan Sacoor (1). Un total de 20 breloques auxquelles il s’empresse d’ajouter celles d’or décrochées en 2009 par Jonathan sur 400 m et par Jonathan et Kevin sur 4 x 400 m lors de la finale des championnats universitaires US, les célèbres NCAA, « parfois supérieurs aux championnats d’Europe ». Avec les chiffres jetés en pâture, sa réputation d’« homme d’argent » en a pris un coup mais celui que certains adorent détester a réponse à tout. « On a évoqué un total de 2 millions d’euros de bourses d’argent public pour mes enfants depuis 2007, mais si on divise ce montant par leur nombre et par leur nombre d’années au plus haut niveau, on arrive à 200.000 euros par an », justifie Jacques Borlée, qui révèle que son nouveau contrat lui assure un salaire mensuel de 10.000 euros brut (5.500 de la Ligue francophone/Adeps, 2.500 de la Ligue flamande/Sport Vlaanderen, 2.000 du COIB). « A part en 2014, notre seule mauvaise année, nos bons résultats ont été récurrents. Quand nous sommes en stage, nos dépenses quotidiennes sont dans les fourchettes autorisées, entre 70 et 87 euros par jour. Une bonne partie de nos frais sont payés par le COIB. Et quand elles ne sont pas prises en charge par le système, nous assumons nous-mêmes nos dépenses grâce à nos sponsors, qui servent aussi à assurer l’après-carrière de mes enfants. Et puis, je vous le rappelle, nous vivons tous en Belgique, pas à Monaco ; nous payons nos impôts comme tout le monde ! » « Beauté et efficacité » Si le groupe Borlée a pris ses quartiers dans cette salle de Louvain en cette veille de week-end, « c’est pour pouvoir travailler la vitesse dans de bonnes conditions, sans devoir se soucier de la température qu’il fait dehors ». Une situation temporaire qui prendra fin lorsque la salle de Louvain-la-Neuve ouvrira ses portes, le 25 avril. « Dès cet instant, il est sûr que nous nous y établirons ». [scald=26239382:sdl_editor_representation] Pendant que les athlètes s’échauffent ou entament les exercices de pliométrie sous l’œil d’Ambre Borlée, la fille de Jonathan et, du haut de ses 19 mois, la première de la « next gen » du clan, dans l’entrebâillement de la porte apparaît Peter Hespel. Ce professeur à la KULeuven, spécialiste en physiologie de l’exercice, est l’un des experts qui encadrent le groupe de Jacques Borlée depuis toujours ou presque. Les deux hommes se voient régulièrement pour parler de biomécanique, notamment, et les membres du groupe viennent passer une batterie de tests quatre fois par an à la Bakala Academy adjacente. « Jacques a toujours mis la priorité sur le geste, explique Hespel. Pour lui, les chronos ne signifient rien si le mouvement n’est pas bon. Tout est dirigé vers la beauté et l’efficacité. La gestuelle est intégrée dans la motricité de ses athlètes, ce qui les libère d’une “suranalyse” une fois qu’ils se mettent à courir. Etre ici ou en stage à leurs côtés, c’est aussi un investissement pour moi. Quand on est scientifique, il ne faut pas toujours rester dans son labo ! » Témoignage d’un ancien Damien Broothaerts se lance dans un sprint au-dessus des haies qui ont été disposées sur la piste. A 36 ans, le Bruxellois a sa carrière derrière lui, mais il est venu se dérouiller les jambes avec ses anciens « collègues » à quelques jours des Mondiaux en salle pour vétérans (où il ira décrocher deux titres), avec la bénédiction du patron. « Quand je suis arrivé dans le groupe Borlée, fin 2012, j’ai eu l’impression de commencer un autre sport, dit-il. J’aurais sans doute eu une autre carrière si j’y étais venu cinq ans plus tôt. Tout y est dirigé vers la performance alors qu’ailleurs, on est généralement content quand vous vous qualifiez pour un grand championnat, voire quand vous y passez un tour. Rien n’est laissé au hasard, tout est réglé dans les moindres détails. La seule difficulté que l’on peut rencontrer, c’est de ne pas pouvoir suivre si on n’est pas au niveau ; dans ce cas-là, on peut vite être largué… » « J’avais peur de Jacques ! » Hanne Claes n’a pas connu ce problème. La Louvaniste, qui a débarqué en mars 2017 dans le « team JB », avait pourtant plusieurs obstacles à franchir, à commencer par ceux de la langue et d’une grosse remise à niveau nécessaire après de nombreuses blessures. Elle reconnaît également qu’avant de le contacter, elle avait « peur » de Jacques Borlée pour avoir été, pendant quelque temps, la principale concurrente de sa fille Olivia sur 200 m. « Je me souviens notamment qu’après l’avoir battue de justesse lors d’un championnat de Belgique, il m’avait superbement ignorée… » [scald=26239073:sdl_editor_representation] Claes, qui dit avoir contacté trois ou quatre autres coachs avant de se tourner vers lui, explique avoir été convaincue par son discours quand elle a enfin osé l’aborder. « Je savais ce que je voulais et il pouvait me l’offrir. Au début, cela n’a pas été simple, parce que je sortais de rééducation. J’ai aussi dû adapter ma manière de courir, mes positions de pieds et du haut du corps. Mais Jacques a très vite cru en moi, m’a toujours soutenue. C’est finalement un homme très doux, plein de sollicitude. Etre dans ce groupe est très motivant mais il faut être à 100 % tout le temps parce qu’on veut être les meilleurs. Mais quand je vois que les frères souffrent autant que moi, je me dis que je suis dans le bon ! » Un ressenti confirmé par ses 4e places tant sur 400 m haies que sur 4 x 400 m, l’été dernier, à l’Euro de Berlin, un double résultat pour le moins inattendu quelques mois plus tôt… Un pour tous, tous pour un Il est midi et le groupe plie bagages pour rejoindre le stade des Trois-Tilleuls, à Watermael-Boitsfort, où Camille Laus se joint à la bande. Une transhumance d’une trentaine de kilomètres qui est loin d’être idéale mais encore inévitable pour l’instant. Heureusement, l’endroit est d’une grande convivialité. [scald=26239383:sdl_editor_representation] A l’instar d’une équipe pro de n’importe quel sport d’équipe, les athlètes partagent le même repas concocté sur les recommandations de la nutritionniste Louise Deldicque (UCLouvain), avec un soin tout particulier apporté aux protéines ingérées chez ces spécialistes du sprint long. Au milieu de la troupe, le psychologue du sport Jef Brouwers est venu prendre la température générale avant de s’entretenir individuellement avec Hanne Claes. « Ce n’est pas simple d’entraîner autant d’athlètes qui courent sur la même distance, reconnaît Jacques Borlée. Le plus gros challenge, c’est d’éviter qu’ils se comparent, sous peine de s’inhiber. Mais à côté de ça, il y a pas mal d’avantages, comme l’esprit de groupe. Quand il y a le feu, ils se resserrent. C’est un pour tous, tous pour un. » L’heure des soins « S’entraîner seul, ce doit être terriblement compliqué, confirme Kevin Borlée. C’est dur de se retrouver constamment face à soi-même. Avec Jo, on n’a forcément jamais connu que ça, mais alors qu’on se contentait de suivre au début, en essayant de comprendre le processus, aujourd’hui, on apporte de plus en plus notre input, notre ressenti. C’est très constructif. Mais il y a un million de méthodes d’entraînement différentes ; à chaque athlète de trouver son équilibre. » En lui permettant de grandir, Jacques Borlée a aussi dû intégrer une certaine organisation dans son groupe, notamment au niveau de la logistique et du secrétariat ; ceux-ci sont gérés par son épouse et Ludwig De Clercq, le manager des frères et de Jonathan Sacoor, le champion du monde junior du 400 m parti cette année six mois aux Etats-Unis, à l’Université du Tennessee. [scald=26239381:sdl_editor_representation] Une fois le repas terminé, c’est l’heure des soins, qui ont lieu à la piscine Calypso adjacente. Une séance de kiné pour les uns (avec l’un des quatre qui « tournent » au fil de l’année), un peu de réflexologie plantaire pour les autres. Rien n’est laissé au hasard pour assurer le bien-être des troupes. « L’athlète au centre » « Chez moi, c’est l’athlète au centre et les experts autour, répète Jacques Borlée. Et ces derniers doivent rester dans leurs compétences pour ne pas brouiller le message vers les premiers. » A 16 heures, c’est retour sur la piste, en plein air cette fois, pour deux nouvelles heures de travail. Rayane Borlée, 19 ans, le plus jeune de la bande, peut interrompre sa révision de quelques cours de son premier bac entamé à la Solvay Business School, cours qu’il a amenés avec lui. Au milieu d’une flopée d’écoliers venus passer leur cours de gym au même endroit, la routine reprend le dessus avec, pour commencer, cet indispensable échauffement où pas une partie du corps n’est oubliée. Le coach, lui, place les cônes dans un des couloirs en vue de l’exercice suivant. Quand il est sur un anneau d’athlétisme, la vie s’arrête rarement pour Jacques Borlée. [scald=26239384:sdl_editor_representation] [scald=26239073:sdl_editor_representation]

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