Brexit: l’UE et le Royaume-Uni, condamnés l’un à l’autre?

Lorsqu’ils seront réunis ce mercredi soir, ce n’est pas l’ultime décision historique sur l’avenir du Royaume-Uni – dans ou hors de l’UE – que les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement auront à prendre. Mais le choix qu’ils auront à effectuer reste extrêmement lourd : pas tellement pour le Royaume-Uni, mais pour l’Union européenne. Car la vraie question qui se pose n’est plus celle du deuxième report du Brexit en moins d’un mois, près de trois ans après le référendum britannique et au bout des deux années réglementaires prévues pour la négociation de sortie. Les discours, surtout français, refusant d’accepter comme inévitable ce nouveau report que les 27 ont pourtant eux-mêmes offert aux Britanniques le 21 mars dernier, ont baissé d’intensité à mesure qu’on s’approchait de la date du sommet extraordinaire d’aujourd’hui : personne ne s’oppose à un report, qu’il soit bref ou long… [scald=26254724:sdl_editor_representation] La vraie question est désormais la suivante : comment l’UE, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas réputée pour la rapidité et la simplicité de sa prise de décision, pourra-t-elle continuer à fonctionner efficacement avec un Etat membre coincé, contre la volonté d’une majorité de son peuple et de sa classe politique, dans une appartenance à l’UE qui risque d’être vécue comme une humiliation ? Participation aux élections Si, comme cela paraît maintenant quasiment assuré, les Britanniques participent aux élections au Parlement européen de la fin du mois de mai, il y a de fortes chances qu’ils renverront à Bruxelles et Strasbourg un nombre encore plus important d’eurodéputés europhobes ou eurosceptiques. Ils pourront participer à la désignation des prochains présidents de la Commission et du Conseil européen, ils enverront l’un des leurs siéger dans le futur collège – comme son nom l’indique, les décisions y sont formellement collégiales – et ils pourront peser sur la construction du budget de l’UE qui sera fixé pour sept ans. [scald=26254725:sdl_editor_representation] Aux préoccupations légitimes qui ont envahi les esprits des dirigeants européens quant à la capacité que conserverait le Royaume-Uni à bloquer ou entraver les décisions et le fonctionnement de l’UE, l’argumentaire préparé par la technostructure diplomatico-administrative européenne mise sur les constats ou espoirs suivants. Primo, les Britanniques se sont toujours montrés des partenaires loyaux, c’est-à-dire respectant les règles et l’esprit de la « coopération sincère » inscrite dans les traités. Cadre financier pour 7 ans Deuxièmement, les experts de la bulle bruxelloise ont évalué qu’aucune décision législative majeure n’attend l’UE dans les prochains mois, c’est-à-dire dans le temps maximal du report qui sera accordé à Londres (au plus tard fin mars 2020). Si ce n’est la désignation des prochains dirigeants des institutions européennes, et l’adoption du prochain cadre financier pour 7 ans. Pour ces deux dossiers, les 27 se contenteront de la promesse, que Theresa May ne manquera pas de leur réitérer, que le royaume ne se mettra pas en travers de leur route. Une loyauté mise à mal On ne peut s’empêcher de se demander comment tous ceux qui développent cette thèse, de même que les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement qui s’apprêtent à y acquiescer, peuvent faire semblant d’oublier les différents moments durant les quatre décennies d’appartenance britannique à l’Union, où le Royaume-Uni a en toute légitimité empoisonné la vie de l’UE ou rendu ses décisions plus difficiles. Ce même pays restera aussi loyal comme membre indéfiniment sortant mais contraint de rester, affublé d’un sous-statut quasi officiel de paria ? Et on parle ici sans même compter l’imprévisibilité de la scène politique de Westminster, qui pourrait installer un Boris Johnson, pas vraiment le plus sérieux et le plus consistant des politiques britanniques, au 10 Downing Street… L’article 50 du traité de Lisbonne a été pensé pour donner un maximum de prévisibilité et de sécurité juridique à une sortie d’un Etat membre, tout en limitant dans le temps cette période complexe et risquée. La nouvelle doxa inventée ces jours-ci consiste à prolonger cette période et à repousser les décisions à une date future (qui pourrait encore être reportée à son tour), au nom… de la sécurité et du statu quo, rien n’étant censé changer pour les citoyens et pour les entreprises. [scald=26254723:sdl_editor_representation] Les raisons des 27 Les 27 sont donc sur le point d’accepter d’être facilement rassurés. Ils ont deux raisons pour ce faire. L’une bonne, l’autre mauvaise. La bonne : il est normal, respectable et légitime que les 27 femmes et hommes à la tête de leurs pays hésitent à prendre toute décision qui reviendrait, directement ou indirectement, à provoquer un Brexit sans accord, synonyme de chaos et de perturbations qui pourraient être sérieuses. La mauvaise : ces 27 chefs politiques seront soulagés de pouvoir repousser à plus tard le risque de cette sortie sans accord que personne ne veut, et qui serait du plus mauvais effet à la veille des élections européennes, lesquelles sont aussi des élections nationales en Belgique. Enfin, on entend une nouvelle petite musique dans les milieux européens de Bruxelles. Elle chante la grandeur et la force du projet européen, qui seraient désormais spectaculairement démontrées par l’incapacité du Royaume-Uni à en sortir… C’est ainsi que se confondent en ce moment, en un étrange unisson, les difficiles calculs politiques des 27 chefs d’Etat ou de gouvernement, et la foi quasi religieuse dans le projet européen qui anime la technostructure de l’UE, et pour laquelle le Brexit raté sera la révélation tant attendue. Peut-on vraiment croire que l’UE et le Royaume-Uni sortiront plus forts de cette aventure ?

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