Washington parie sur un «monde plus sûr» avec la levée des sanctions contre l’Iran

Le premier jour d’un monde plus sûr » : ce samedi, le secrétaire d’État John Kerry n’a pas de mots assez forts pour louer le coup de tonnerre diplomatique qui vient de retentir sur les rives du Danube, à Vienne : pour la première fois depuis un long bras de fer entamé en 2002, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), vient d’annoncer que l’Iran se conformait à ses obligations internationales en matière d’activités nucléaires. Le rapport des inspecteurs onusiens ouvre la voie à un bouleversement profond des relations internationales : la levée partielle d’un corset de sanctions économiques internationales à l’encontre du régime islamique, édictées pour certaines il y a plus de trois décennies. Au siècle dernier. Téhéran se frotte les mains : il devrait récupérer assez rapidement plus de 50 milliards de dollars d’avoirs financiers gelés sur des comptes en banque étrangers, essentiellement en Chine, au Japon et en Corée du sud ; reprendre ses exportations de pétrole brut non raffiné vers l’Europe et l’Asie ; acheter des avions de ligne en grand nombre à Airbus. Et tant pis sur le prix du baril, à son plus bas niveau depuis onze ans, ne laisse pas miroiter des fontaines de pétrodollars. Barack Obama marque des points Politiquement, le président iranien Hassan Rouhani démontre à ses adversaires radicaux que sa politique d’apaisement avec son meilleur ennemi, l’Amérique, méritait d’être essayée, puisqu’elle réintroduit l’Iran dans le concert des nations et allège le fardeau de ses millions de concitoyens. Par un curieux jeu de miroir, son alter ego américain, Barack Obama, avance la même carte : face à une opposition résolument hostile envers la normalisation des relations diplomatiques avec l’Iran et rangée au garde-à-vous derrière Israël, très inquiet de la résurgence du vieil axe historique Washington-Téhéran, naguère prolifique, il montre que la prolifération nucléaire au Moyen-Orient pouvait bien être enrayée. Que l’Iran peut devenir un partenaire, certes incommode, face à un péril bien plus grand à ses yeux, l’islamisme radical représenté par le groupe « Etat islamique » en Syrie et en Irak. Que la stratégie lancée à son arrivée à la Maison-Blanche sept ans plus tôt, lorsqu’il appelait l’Iran à « desserrer ses poings », était la bonne. A plus court terme, il marque des points appréciables en obtenant la libération de quatre prisonniers américains détenus dans la sinistre prison d’Evin, près de Téhéran, dont le chef de bureau du Washington Post en Iran, Jason Rezaian, détenu depuis 2014 sur la foi d’accusations d’espionnage jamais étayées. Les détracteurs républicains d’Obama dénonçaient jusqu’ici cette administration démocrate si vile et si lâche qu’elle négociait un accord nucléaire tandis avec un pays retenant en otage plusieurs ressortissants américains. Test ultime pour Rouhani Le plus dur, cependant, reste à faire pour s’approcher du monde rêvé par le toujours optimiste John Kerry : Téhéran doit montrer patte blanche pour les dix années à venir, en éliminant 98 % de son stock d’uranium enrichi ramené à 300 kilos tout au plus ; en se contentant pour 15 ans d’enrichir le-dit uranium à un taux « civil » maximum de 3,67 % ; en démantelant définitivement son réacteur à eau lourde afin qu’il ne puisse jamais produire de matière fissile (plutonium) susceptible d’être employé pour la confection d’ogives nucléaires ; en détruisant 13000 de ses centrifugeuses parmi les plus performantes ; et en ratifiant de manière formelle le « protocole additionnel » au Traité de Non-Prolifération (TNP), qui autorise l’AIEA, cerbère du traité, à « mener des inspections renforcées et inopinées ». [scald=542444:sdl_editor_representation] Là se trouve sans doute le test ultime pour Rouhani et les modérés iraniens, qui devront s’assurer que les sourcilleux Gardiens de la Révolution, les pasdarans, véritable Etat dans l’État et cerbère du programme atomique national, ne fassent pas capoter le fragile édifice par défiance envers l’inoxydable « Grand Satan ». « Nous serons vite fixés, glisse Dennis Ross, ancien sherpa de la diplomatie Obama au Moyen-Orient, dans le Washington Post. Si le Conseil des Gardiens de la Révolution (que préside le Guide suprême Ali Khamenei) autorise la participation des candidats considérés comme proches de Rohani et les plus pragmatiques aux élections parlementaires à venir en Iran le 26 février prochain, cela nous dira quelque chose. S’il les retoque, cela nous dira aussi quelque chose ». Le gouvernement américain espère par ailleurs que le vent réchauffant les relations avec l’Iran viendra souffler sur les négociations de paix en Syrie appelées à reprendre le 25 janvier. Une attitude butée des diplomates iraniens à Genève, là aussi, « dirait quelque chose ». Obama prémuni en cas de trahison iranienne Fustigé sur sa droite, traité de « Candide » face à de roués interlocuteurs iraniens qui auront tôt fait de réinjecter les liquidités débloquées dans le Hezbollah libanais et le régime ami syrien alaouite de Bachar el Assad, Obama conserve encore la main : en signant un décret exécutif dès samedi sur la levée partielle des sanctions, il contourne l’obstacle d’un véto du Congrès, seul à même de voter une levée complète des sanctions spécifiquement américaines. Et se prémunit en cas de trahison iranienne : les entreprises américaines et leurs filiales étrangères sont toujours strictement interdites de traiter avec une longue liste de sociétés et d’individus iraniens, « blacklistés » du fait de leur implication dans les activités de terrorisme, de prolifération nucléaire ou balistique. Si Téhéran, en outre, venait à violer ses engagements vis-à-vis de l’AIEA, il suffirait au président démocrate de biffer d’un trait de stylo le décret exécutif et rétablir les sanctions tout juste abolies. Pour un monde plus sûr, il faudra encore attendre un peu.

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