20 ans après la fusillade de Columbine, la situation s’est-elle améliorée dans les lycées américains?

Mobile, Baltimore, Kansas City, Rio Rancho, Blountsville, Prescott : depuis le début de l’année 2019, les États-Unis ont déjà connu six fusillades dans des lycées. Bilan : un mort et cinq blessés. La dernière fusillade importante remonte à mai 2018, dans le lycée de Sante Fe au Texas, avec 10 morts et 12 blessés. Pourquoi les tireurs n’ont-ils pas été interceptés avant leur passage à l’acte ? Qui est responsable ? Si de telles tragédies continuent à arriver, la situation s’est néanmoins améliorée depuis la fusillade de Columbine en 1999, selon David Finkelhor, sociologue et directeur du Crimes Against Children Research Center à Université du New Hampshire. [scald=26316881:sdl_editor_representation] [scald=26321632:sdl_editor_representation] Toutes ces fusillades qui touchent les lycées aux États-Unis ont-elles des points en commun ? Un certain nombre d’études sur les fusillades en milieu scolaire ont tenté de dresser des généralisations, elles n’ont pour la plupart jamais réussi à mettre au jour de réels points communs en termes de maladies, de harcèlements constants, de milieux familiaux perturbés. La seule évidence qui semble se dégager et qui est souvent observée touche au fait que le tueur, plus que ses congénères, semble posséder une expérience des armes en amont, ainsi qu’une familiarité avec elles. Un autre dénominateur commun, entre ce cas et d’autres fusillades connues, touche au fait que l’individu avait été signalé par des gens qui voyaient en lui un danger, une menace. Comment se fait-il alors que ces tueurs n’aient pas été proprement détectés, et interceptés avant passage à l’acte ? Le problème est que cette familiarité avec les armes, ces signalements, concernent un nombre énorme d’individus. C’est un peu comme chercher une aiguille dans une meule de foin. Chercher à différencier ces cas est extrêmement ardu. Presque aucun ne finit par déclencher de telle fusillade. À quel niveau les responsabilités sont-elles imputables ? Il est assez ardu de prévenir des événements rares. Car ces fusillades restent des phénomènes relativement rares, en dépit du battage médiatique. D’un point de vue statistique, et à des fins de prévention, les événements rares sont plus difficiles à interpréter pour dresser des conclusions. Si l’on parle de victimes d’accidents de la route, avec 20.000 morts par an, vous avez une base de données conséquente pour établir des interprétations. Bien plus qu’avec les quelques dizaines de morts par balles dans les écoles chaque année, aussi terribles soient-elles. Il n’y a pas ici réellement de série noire sur laquelle on pourrait bâtir des conclusions. Les statistiques, hélas, ne sont pas rigoureusement tenues par les agences fédérales et ce sont les médias qui les diffusent, sans analyse comparative préalable. Nous avons par le passé observé des phénomènes de contagion, s’agissant de jeunes vulnérables, avec plusieurs drames ultra-médiatisés. Le phénomène des copycats. Il est intéressant dans la mesure où il explique certaines tueries par le besoin de notoriété chez ces jeunes, qui se sentent marginalisés, rejetés, isolés et sont parfois en état de dépression. Cette dépression peut trouver à s’exprimer sur les réseaux sociaux, où elle se verrait accentuée ? Il faut veiller à ne pas trop simplifier ces questions. On s’inquiète que les jeunes puissent être exposés à des discours de haine, découvrent des moyens de causer d’énormes ravages, que les médias sociaux leur offrent une plateforme pour exposer leurs méfaits. Mais dans le même temps, ces réseaux permettent une meilleure détection potentielle, offrent une aide à ceux qui se trouvent en état de dépression qui recherchent de l’aide et peuvent obtenir des conseils d’autres personnes les incitant à ne PAS commettre l’irréparable. Il est justifié de dénoncer la technologie des armes à feu (NDLR fusils d’assaut en vente libre, classe politique dans le déni) mais pas internet, non. Je ne suis pas d’accord. Quelles stratégies de prévention existent ? Une des stratégies de prévention les plus en vogue actuellement, en termes se nomme Bystander Mobilization (litt. mobilisation des spectateurs) : il s’agit d’aider les jeunes à surmonter leur réticence naturelle à alerter les autorités, à tirer le signal d’alarme s’agissant d’une personne au comportement inquiétant. Cela permet d’aborder des thèmes très sensibles, et rencontre un réel succès pour d’autres formes de violence, notamment le harcèlement sexuel, la victimisation des jeunes adolescentes et toutes les autres formes de violence scolaire. En amont, il importe de continuer à renforcer les services d’aide à la santé mentale, notamment en environnement scolaire, pour permettre aux jeunes d’être écoutés à propos de ce qui se passe dans leur vie. En aval, les premiers secours communautaires doivent continuer d’être renforcés, notamment le soutien aux parents et aux enfants après une fusillade. À l’échelle du pays, les parents, les familles, sont aujourd’hui bien plus conscients du problème qu’avant. La sensibilisation est bien plus grande. Si ces tueries ne sont que des exceptions, comment prévenir de telles tragédies ? Le problème, en termes de crime, est que les catalyseurs de changement sont des cas extrêmes, qui génèrent beaucoup de publicité. Mais les politiques qui en découlent ne sont pas toujours les meilleures et des choses importantes sont négligées. Après la tuerie de Columbine en 1999, plusieurs mesures de prévention ont ainsi été mises en œuvre. Bien qu’il n’y ait pas de forte validation scientifique, les statistiques se sont améliorées sur le long terme. Il s’avère que certaines de ces stratégies se sont révélées efficaces : le développement des plans d’action des écoles, les fameux « lockdown », l’incitation faite aux jeunes de parler plus librement lorsque quelque chose les dérange. Les écoles sont considérablement plus sûres aujourd’hui qu’il y a 20 ou 25 ans. Les victimes par armes à feu n’ont pas sensiblement bougé, mais les autres types de crime, oui : harcèlements, agressions sexuelles, racket. Ces statistiques-là sont en baisse très nette en Amérique. Les quartiers autour des écoles se sont eux beaucoup améliorés, partout. C’est une tendance très encourageante. Sandy Hook en 2012, ou Parkland en 2018, sont des tragédies qui ne représentent pas le chemin parcouru. Et puis les enfants sont bien plus en sécurité à l’école qu’ils ne le sont à la maison (plus de 1500 morts par an liés à des violences domestiques). Quant aux lycéens affectés par la fusillade de mercredi, je ne me fais pas trop de souci pour eux, sur le long terme : parce qu’ils vivent dans une ville habituellement calme, aisée, pacifique, ils bénéficieront d’une bien meilleure résilience que les enfants des cités les plus violentes d’Amérique, qui ont, eux, bien plus de chances de reproduire les mêmes schémas de violence urbaine en grandissant.

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