Donald Tusk: «Le bloc occidental ne doit pas être remis en cause»

Donald Tusk, président du Conseil européen, Premier ministre polonais entre 2007 et 2014et ancien président de la Plateforme civique. En décembre 2014, lorsque vous preniez les rênes du Conseil européen, vous mettiez en garde contre le retour de l’histoire en Europe. N’avez-vous pas l’impression que, cinq ans plus tard, l’Europe s’est fait rattraper par l’histoire ? Les adversaires qui nous entourent montent en puissance et nous sommes en Pologne de plus en plus divisés. L’époque de l’illusion optimiste est certainement révolue. C’est douloureux pour les Polonais car nous avions longtemps rêvé de l’adhésion à l’Union européenne. Après 2004, de nombreux citoyens croyaient que ce serait la fin heureuse de notre histoire. L’appartenance à l’occident, au sens politique, était censée mettre un terme à la zizanie à laquelle nous étions confrontés depuis toujours. Un graal qui nous assurerait la stabilité et qui rendrait notre avenir prévisible. Ces dernières années, l’Europe a dû relever des défis de taille. Mais je ne suis pas fataliste. Le retour de l’histoire et d’une politique dure ne doit pas être synonyme de fléau pour l’Europe. L’accélération du cours de l’histoire nous préoccupe mais ne peut pas nous paralyser. Le phénomène n’est pas nouveau. Lors de l’adhésion de la Pologne à l’UE, on s’interrogeait sur les frontières de l’Europe. Quels pays pourraient encore intégrer le club. À présent, la question de la survie même de l’Union se pose. D’aucuns prédisaient la fin de l’Europe et de l’occident avant même que l’intégration européenne ne démarre. Ortega y Gasset écrivait que les prophéties noires et apocalyptiques annonçant la décadence faisaient légion. Je suis tout à fait d’accord avec sa conclusion selon laquelle il vaut mieux penser à l’aube plutôt qu’au crépuscule. Nous ne pouvons nous laisser convaincre par le discours d’une Europe du repli qui risque de voler en éclat. Différents scénarios sont envisageables, mais aucun d’entre eux n’est inéluctable. Ce n’est pas vrai que l’élargissement de l’Union n’est plus d’actualité. Dans certaines capitales, en particulier dans les pays fondateurs, ce sujet est passé de mode. Parmi les dirigeants allemands, on pourrait sans doute encore trouver des enthousiastes à l’adhésion de nouveaux États mais du côté de Paris ou de Rome ce serait plus difficile. La Vieille Europe se lasse du conflit en Ukraine ou de l’instabilité dans les Balkans. Mais l’engagement de l’Union concernant l’Ukraine ou les Balkans n’a pas faibli. Nous avons connu ds crises bien pires. Il y a 15 ans, lorsque la Pologne adhérait à l’UE, personne ne savait si cette aventure allait être un succès. [scald=26529191:sdl_editor_representation] Vous êtes l’un des seuls politiques en Europe qui estiment que le Brexit peut encore être évité. Sur quelles prémisses se fonde votre optimisme ? Selon Hannah Arendt, les événements ne deviennent irréversibles que lorsque les gens les considèrent ainsi. Ce n’est pas une vérité absolue. Après le référendum britannique, en 2016, j’ai pensé que si nous considérions le dossier comme clos, il le serait. J’estime qu’actuellement il y a 20-30 % de chances que la sortie du Royaume-Uni de l’UE n’ait pas lieu. C’est beaucoup. ► Tous nos articles sur le Brexit Progressivement, nous nous apercevons que le Brexit va s’apparenter à un autre phénomène que celui que s’imaginaient ses initiateurs. Il n’y a aucune raison de capituler, même si nous martelons que le référendum est l’expression de la volonté du peuple et que celle-ci doit être respectée. Oui, il le faut. Mais (…) aucune chose n’est irréversible, tant que les gens croient qu’un retour en arrière est encore possible. L’Union aura-t-elle assez de patience ? C’est Churchill qui disait qu’un problème reporté était un problème partiellement résolu Nous avons réussi à gagner un peu de temps. Le délai s’achève en octobre, mais je vais encourager toutes les parties à rester ouvertes sur le calendrier. Nous ne pouvons mener un Brexit à la hâte. C’est Churchill qui disait qu’un problème reporté était un problème partiellement résolu. [scald=26529187:sdl_editor_representation] La Pologne est entrée dans l’Union il y a 15 ans, avant la vague populiste. De nos jours, Matteo Salvini, figure de proue de la Ligue d’extrême-droite en Italie met en place une internationale populiste. L’Alternative pour l’Allemagne fait croire aux gens qu’il faut être fier de l’armée allemande pendant une guerre. C’est nouveau. Et le FPÖ autrichien est à nouveau au pouvoir 20 ans après Jorg Haider. Mais aujourd’hui on peut parler d’un gouvernement classique de centre-droit bien plus modéré à Vienne. Et en France ? Jean-Marie Le Pen, alors chef de file du Front national, a accédé au second tour de la présidentielle en 2002, tout comme sa fille il y a deux ans. Les forces antieuropéennes connaissent des hauts et des bas également dans les pays du Benelux et en Scandinavie. Ce n’est pas nouveau. Dans de nombreux pays, les citoyens sont plus pro-européens que les gouvernements. Parfois, c’est le contraire. [scald=26529190:sdl_editor_representation] Si l’Union veut jouer un rôle sur la scène internationale, peser face aux États-Unis, à la Russie, à la Chine, elle doit être dotée des attributs d’une grande puissance. Pour l’instant, on ne les aperçoit pas. A l’échelle mondiale, dans les relations entre l’Europe et les États-Unis, seul le président américain a changé. Il porte un autre regard sur le rôle de l’Union européenne. Tant pis. Personne n’est parfait – cet adage correspond à l’Union européenne. Mais en rêvant d’une Union efficace, devons-nous vraiment puiser dans le modèle chinois ou russe ? (…) À l’échelle mondiale, dans les relations entre l’Europe et les États-Unis, seul le président américain a changé. Il porte un autre regard sur le rôle de l’Union européenne. Tant pis. Mais le changement d’approche de Washington ne signifie pas que l’Europe doive également changer de politique. [scald=26529189:sdl_editor_representation] Les liens transatlantiques doivent être préservés. L’océan Atlantique ne revêt ici d’ailleurs qu’une importance symbolique car en ce qui concerne les questions géopolitiques l’Union est sur la même longueur d’onde que les USA, malgré quelques difficultés passagères, et le Canada, mais aussi avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud. Jamais une identité géopolitique commune aussi poussée n’a existé par le passé, malgré la nouvelle stratégie de Washington qui peut surprendre certains. On n’est pas forcément tous fans de Donald Trump, mais cette réserve à son égard ne doit pas nous inciter à remettre en cause le bloc occidental comme phénomène de culture politique au centre de laquelle se trouvent les libertés et les droits de l’homme. L’Union européenne ne pourra défendre seule ces valeurs au niveau mondial. Que répondez-vous quand on s’étonne à Bruxelles que la Pologne et la Hongrie, qui ont été les premiers à se libérer du carcan communiste il y a 30 ans et ont fait le choix de la liberté et de la démocratie, sont aujourd’hui leurs détracteurs ? Je suis critique à l’égard du gouvernement PiS. Mais je n’ai pas de complexes à Bruxelles en tant que Polonais. La Pologne et la Hongrie ne sont pas les « hommes malades » dans une Europe en pleine santé. Chaque pays a son lot de problèmes plus ou moins grands. Je conseille à tout le monde de regarder d’abord dans son jardin. [scald=26529188:sdl_editor_representation] Quel a été votre plus grand succès ? Le maintien de l’unité de l’Union malgré les circonstances défavorables. Nous avons fait preuve de solidarité face à la Russie. La presse belge m’a même attribué le surnom de « monomaniaque » car le monde est sur le point d’imploser et que Tusk se focalise sur la Russie et l’Ukraine. Un contraste amusant – en Pologne, le PiS me traite de poutinien et à Bruxelles on disait que j’étais obsédé par la menace russe. Nous avons maintenu l’unité dans la crise migratoire, j’ai réussi à convaincre l’Union de la nécessité absolue de protéger les frontières de la communauté. Pour qu’on mette fin à cette dichotomie absurde : Europe ouverte, Europe fermée. Mes partenaires ont compris qu’une Europe ouverte ne suppose pas une Europe sans frontières. Au cours de la crise grecque, j’ai fourni des efforts pour qu’un accord soit conclu entre l’Allemagne et la Grèce. Nous avons évité le Grexit qui aurait été un désastre économique. Cette année, votre mandat de président du Conseil européen touche à son terme. Quels conseils avez-vous pour votre successeur ? En me passant le flambeau, mon prédécesseur Hermann Van Rompuy m’a conseillé que je lui emboîte le pas. Les circonstances, mon tempérament, mon origine – autant de facteurs qui ont fait que j’ai suivi une autre voie. Van Rompuy avait sa façon de diriger le Conseil, qui avait ses avantages, mais j’ai adopté un autre modèle. Gardant en mémoire tous ces éléments, je conseillerai à mon successeur de m’entendre sans forcément m’écouter.

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