La galerie du Centre, entre ombres et ongles

Ah, la galerie du Centre ! Cet îlot en plein cœur de Bruxelles, entre la Bourse et la Monnaie, constitue un ensemble pour le moins étonnant. Des passants commentent : « Glauque », « pas rassurant », « bizarre ». On y trouve, pêle-mêle, quelques snacks, un cinéma, de la lingerie fétichiste, des protéines en poudre pour les muscles, un philatéliste, des extensions pour les cheveux, un perceur, un tatoueur, un centre de beauté. Et puis, il y a ces « magasins d’ongles », qui se sont multipliés dans la galerie ces dernières années. [scald=584954:sdl_editor_representation] Il y a désormais sept magasins qui proposent aux dames des soins de manucure (pose de faux ongles, vernis) à des prix défiant toute concurrence (20 euros, « pas de qualité à ce prix », persifle-t-on). Le premier commerce s’est installé il y a quelques années, le succès a été immédiat : « Il y avait des files de plusieurs mètres, jusqu’à mon magasin », se souvient Christopher, le perceur. Depuis, il y a eu un engouement certain, plusieurs surfaces – les loyers sont faibles par rapport à la moyenne du quartier – appartiennent au même propriétaire. Ce dernier, habitant à l’étranger, refuse les interviews. Les filles s’installent entre copines, dans un décor acidulé orange-rose-blanc, au milieu des bruits qui rappellent parfois ceux du dentiste. Les employés, principalement d’origine asiatique et peu bavards, couvrent leurs visages à cause des odeurs d’acrylique extrêmement fortes. « Je suis là depuis deux ans et, non, je ne souffre pas de la concurrence, j’ai ma clientèle », explique une travailleuse, profitant de quelques rares minutes de répit sur sa journée. Chaque mètre carré est rentabilisé dans ces surfaces, souvent sans comptoir. [scald=584952:sdl_editor_representation] De l’avis de plusieurs commerçants, le business des ongles ne profite pas aux autres. « Les clientes viennent avec 20 ou 25 euros en poche pour leurs mains, et ne s’arrêtent pas ailleurs », résume l’un d’eux. En effet, la galerie, pourtant située en plein centre de Bruxelles, peine à attirer une clientèle de passage. Il y a beaucoup de va-et-vient dans les commerces proposés. Qui plus est, comme le relevait l’Echevine des Affaires économiques de Bruxelles, Marion Lemesre, lorsqu’elle a visité les lieux récemment, l’endroit a été victime, dans le passé, d’un réseau d’exploitation de la pauvreté via des marchands de sommeil. La libérale avait alors affiché son soutien à la redynamisation de la galerie. « Bubble tea » et pralines en produits d’appel Des efforts sont déjà entrepris : du côté de la rue des Fripiers, très fréquentée, plusieurs magasins un peu plus haut de gamme se sont installés. Le Leonidas, sur le coin, est là depuis longtemps. En mai dernier, 8tea5 s’est installé : Ling-Ming Fan y vend des « bubble tea », une spécialité taïwanaise assez originale (on y a testé le thé pêche avec des bulles au goût pomme verte). Le manager précise qu’il a choisi cet endroit car il est visible depuis la rue des Fripiers. Le magasin de chaussures est aussi dans ce cas, tout comme Nora, qui vend des vêtements de marque depuis peu. Et ce n’est pas facile… « La galerie n’est pas attirante. Elle manque de décoration, de fleurs, de musique à l’entrée, d’une belle lumière », regrette-t-elle. [scald=584949:sdl_editor_representation] Autre problème de la galerie : sa voûte, qui aurait sérieusement besoin d’un petit coup de rénovation. Le tapis rouge, les néons, les multiples panneaux agglutinés rue des Fripiers, les enseignes toutes différentes des commerces à l’intérieur ; tout cela achève de créer une atmosphère déroutante pour les visiteurs. « La galerie a bien fonctionné jusque dans les années 80-90, il y avait beaucoup de vie. Puis ça a commencé à décliner, commente Erik Baptist, conseiller stratégique chez Atrium, l’agence régionale du commerce. Elle a souffert à cause d’une structure compliquée de co-propriété. Dans les années 2000, il y a eu une prise de contact pour trouver des pistes pour parvenir à une identité. On a lancé le projet de rénovation du design de la galerie (les enseignes, les lumières), mais tout ça a pris du retard. » Marsupilami dormant sous papier peint Mais il estime qu’il s’agit d’une « petite galerie étonnante », « un peu cachée mais charmante ». C’est qu’elle révèle, en effet, quelques surprises. En 2013, des nouveaux propriétaires ont ouvert des yeux médusés devant Buck Danny, Pirlouit, le Marsupilami, qui dormaient là depuis des années sous une couche de papier peint. Le local avait abrité, dans les années 50, une agence de presse fournissant le journal Spirou. L’entrée qui débouche sur la rue du Marché aux herbes, via l’impasse où se trouve le café « Au bon vieux temps », a un côté pittoresque. [scald=584953:sdl_editor_representation] En fait, ceux qui s’en sortent bien sont les commerçants qui sont implantés depuis longtemps et qui ont, vu leur offre étant plus ciblée, une clientèle fidèle. C’est le cas de Christopher, le perceur, implanté depuis une vingtaine d’années, de Daniel, le philatéliste, ou encore de Chantal, qui tient depuis 15 ans la boutique de lingerie fétichiste (mais le magasin a ouvert il y a 32 ans). Malou, qui vend des sandwichs depuis 30 ans, a aussi trouvé sa place. Et il y a bien sûr le cinéma Aventure, spécialisé dans le documentaire, qui s’est offert un relifting complet en 2010. [scald=584951:sdl_editor_representation] Son directeur, Jérôme Branders, essaie d’organiser de plus en plus d’événements associatifs et culturels. À propos de l’endroit, il reconnaît qu’il s’agit d’une galerie « dans laquelle on n’entre pas sans but précis ». Mais il se dit positif pour l’avenir : « Petit à petit, ça évolue. » Est-ce un hasard si le principal point d’attraction de la galerie du Centre est un cinéma ? Peut-être pas. Avant 1952, il y avait, en lieu et place de la galerie qu’on connaît aujourd’hui… le Coliseum, une grande salle de spectacle dotée d’un cinéma. « C’était au temps où Bruxelles chantait… » C’était au temps où la galerie du Centre rêvait ? Les commerçants du coin ne désespèrent pas d’écrire le prochain couplet de la chanson. [scald=577120:sdl_editor_representation]

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