«Aucuns frais»: n’est-ce pas singulier?

Écrivez-vous «aucuns frais» ou «aucun frais» ? La consultation de la première grammaire française venue ne laisse la place à aucune latitude sur ce point : il convient d’écrire «aucuns frais» parce que le nom frais est un masculin pluriel, avec lequel aucun doit s’accorder. Cela dit, comment expliquer les attestations fréquentes de «aucun frais» ? Par la méconnaissance de ce que frais est un nom toujours employé au pluriel ? Sans doute pas. Mais plutôt parce que aucun , employé avec une valeur négative, signifie «pas un», «nul». Si ce n’est même pas un, l’idée du pluriel est quelque peu… singulière. Postscriptum 1 «Aucuns frais», «aucuns honoraires», «aucuns sévices», «aucunes funérailles», «aucunes obsèques», etc. : avec des noms qui n’ont pas de singulier, le déterminant (ou adjectif) indéfini aucun doit s’accorder au pluriel. Mais au-delà de ce constat normatif, comment comprendre que des francophones, qui n’ignorent pas que frais ou funérailles sont des noms pluriels, écrivent «aucun frais», «aucune funéraille» ? Les graphies du type «aucun frais» peuvent s’expliquer par un alignement sur les très nombreux emplois dans lesquels aucun signifie «pas un», «nul», à l’opposé de l’idée d’un pluriel. Cela entraîne que le nom déterminé par aucun soit lui-même au singulier : «aucun honoraire», «aucun sévice». Et même : «sans aucun frais supplémentaire», «aucun frais ne pourra être facturé». Postscriptum 2 Les attestations fournies par le Bon usage (15e édition, 2011, § 630), montrent que certains auteurs emploient aucun au pluriel, même lorsque le nom possède un singulier : «aucuns soins» (H. de Balzac), «aucuns droits» (A. Dumas), «aucuns arrêts» (V. Hugo), «aucunes manières» (J. de La Varende), etc. Ces auteurs paraissent peu représentatifs de l’usage d’aujourd’hui, qui privilégie dans ces cas les formes au singulier. Et qui – en dépit des recommandations normatives – installe peut-être une forme d’invariabilité (en nombre) du déterminant aucun . Postscriptum 3 En ancien français, le nom frait (ou fret ) est un masculin singulier. Il apparaît notamment dans des expressions comme « paier le fret » qui signifie «payer les dégâts occasionnés, le bris». Il remonte en effet au latin fractum , du verbe frangere «briser». Comme le précise le Trésor de la langue française , on est passé du «dommage qu’on cause en brisant quelque chose» à la «dépense destinée à réparer ce dommage». Il est plaisant de constater que les graphies «aucun frais» renouent, sinon avec le sens, au moins avec le nombre du mot frait à l’époque médiévale… Addendum à la chronique du 20 janvier 2016 La chronique consacrée à la prononciation de formes telles que xénophobe, xénophobie s’est concentrée sur le x - initial, sans aborder la réalisation des -x- internes aux mots. La situation n’est guère plus simple que celle décrite pour l’initiale. On trouve généralement ( laxatif, vexer, pixel, flexible, boxon, oxyde ), sauf dans le cas du préfixe ex - suivi d’une voyelle, qui est réalisé ( exempt, exonérer, exulter ) ; ce même ex - devient s’il est suivi d’une consonne sourde ( explorer, extirper, excellent ). Mais il y a aussi dans soixante et dans sixième, dixième . La prononciation du français n’est vraiment pas plus simple que son orthographe…

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