«Mon enfance retrouvée»

Son nom le montre bien : l’écrivaine française est d’origine italienne. Parents et grands-parents sont venus en France via la Belgique, où ils sont quand même restés dix ans, pour s’installer dans une ferme, à Cellefrouin, en Charente. C’est là que Paola Pigani est née. C’est là que Pia, son héroïne, grandit, avec son frère et ses trois sœurs, entre papa et maman, la nonna, le nono et la voisine, la vieille Armande. Une enfance à la campagne, heureuse mais travailleuse. Il faut bosser après l’école et le week-end. Mais après, le bonheur des bois, des champs, de la campagne. Paola Pigani était invitée par le festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. Nous l’avons rencontrée. [scald=26651162:sdl_editor_representation] C’est une enfance retrouvée ou c’est réellement la vôtre ? C’est mon enfance retrouvée avec celle des autres aussi, de ma fratrie. Qui se donne le temps de rencontrer tout un petit monde composé de vieilles personnes, d’agriculteurs, de gens vivant un peu sur la marge, qui ont réellement existé. Chacune de ces personnes a eu un rôle dans ma vie d’enfant, j’ai souhaité leur donner une place. Et par ce récit et la fiction, essayé de rendre évident un certain ordre des choses dans ce petit monde qui s’est fragilisé. L’équilibre de la vie de tous les jours tenait à ce que chacun y avait sa place. Du vieux manouche qui de temps en temps ramenait du poisson à la ferme en espérant qu’on lui donne du lait et des œufs pour nourrir sa famille nombreuse, de l’exilé portugais venu en France pour ne pas être envoyé en Angola jusqu’aux mémés très âgées qui ont à peine de quoi vivre mais auxquels des enfants du village apportent de la nourriture. Ce récit, c’est un hommage à la famille ? Au travail de ces familles venues d’ailleurs ? Au monde paysan ? C’est un hommage à tout ça. Comment une famille qui arrive en France avec juste une malle et une machine à coudre Singer parvient à vivre, à travailler et s’offrir le luxe de certains rêves, comme se construire une maison. Chacun a son rôle dans l’économie de la famille, les enfants compris. Oui, mais sans qu’il y ait de rébellion, ni de négociation : même les plus jeunes enfants comprennent que, pour faire tourner une ferme, il faut que chacun donne sa part. Toutes les familles nombreuses de ce milieu et de cette époque fonctionnaient comme ça. Pas de vacances, pas d’activité d’éveil, pas de loisir à proprement dit. Ce qui nourrit largement un désir très solitaire d’éloignement à l’adolescence. Pour s’inventer, pour être soi. Forts de certaines valeurs non inculquées mais intégrées simplement dans la vie de tous les jours, les enfants auront la force de se créer un destin ailleurs. Est-ce un monde disparu ? Le monde agricole commençait à se transformer et il est encore en mutation. Mais toutes les petites exploitations ont disparu, les vaches laitières qui faisaient partie du paysage, il n’y en a presque plus. C’est un monde disparu quasiment, mais pas à l’abandon. Je n’ai pas voulu faire un livre nostalgique, genre c’était mieux avant, encore moins faire passer des messages réactionnaires sur l’éducation des enfants, sur les valeurs de travail, famille, patrie, non non non. C’était le fonctionnement d’une famille nombreuse, c’était naturel. Vous montrez la dureté de la vie paysanne, les difficultés de ce monde en mutation. Et en même temps, il y avait une très grande liberté. J’irais même jusqu’à dire un sentiment d’ivresse. Dans les éléments, le vent, la pluie, l’orage, l’espace à perte de vue. C’est un fondement pour la vie. Je ne sais comment l’expliquer. Hier j’étais sous une pluie battante et je reçois ça naturellement, je ne peux pas pester. Quoi qu’il arrive, je me sens ancrée dans la vie terrestre parce que j’ai senti, enfant, cette nature, la terre. Avec ce sentiment d’être protégée. Mais on, vous envoie en internat. Et là, c’est l’enfermement avec ces âmes grises que sont les bonnes sœurs. Contraste en effet. Mais en même temps, c’était une chance immense de pouvoir connaître l’ennui et la solitude. D’abord pour se penser en tant qu’être humain, qui on est, qui on veut devenir. Et puis pour découvrir les livres, la lecture, la poésie. Votre livre, ce n’est pas seulement une enfance, c’est une langue. On sent le plaisir que vous avez eu à croquer cette histoire. L’enfance et l’adolescence, c’est l’âge de l’inventivité. Ecrire au présent m’a permis de retrouver ça. Et de retrouver cet humour aussi. Mon père instillait une atmosphère très chaleureuse dans la famille, il chantait « Io so un povero negro », je suis un pauvre type, mais il chantait quand même.

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