La Chine et ses musulmans, une relation compliquée

Gérer un pays de 1,3 milliard d’habitants appartenant à 56 groupes ethniques différents n’est évidemment pas chose facile. Depuis plus de 40 ans, le pouvoir chinois contrôle d’assez près les différents groupes ethniques autres que les Hans, qui représentent 92 % de la population chinoise. Avec une attention toute particulière pour les musulmans. « Il y a en Chine 20 millions de musulmans », explique Hacer Zekiye Gonul, doctorante à l’ULB et chercheuse en études extrême-orientales. [scald=26702519:sdl_editor_representation] « Ils appartiennent à dix groupes ethniques. Les plus nombreux sont les Huis (48 % des musulmans chinois), qui sont physiquement très proches des Hans : ils vivent un peu partout en Chine, intégrés dans la société. Viennent ensuite les Ouïgours (41 % des musulmans chinois), un peuple turcophone d’Asie centrale qui vit dans le Xinjiang ». [scald=26701074:sdl_editor_representation] Mais le pouvoir chinois entretient des relations compliquées avec ses minorités musulmanes, et la politique de sécurité à leur égard a considérablement évolué durant les dernières décennies. L’attaque de Kunming « Après la chute de l’Union soviétique, mais aussi après les événements de la Place Tiananmen, il y a d’abord eu la politique des “Trois principes” développée par le président Jiang Zemin. Selon lui, la religion devait être “en accord avec la loi”, “guidée de façon active” et “compatible avec la société socialiste” », poursuit la chercheuse. « Après les attentats du 11 septembre 2001, l’islam a été assimilé au terrorisme international. Et les mouvements séparatistes existants ont été considérés comme du terrorisme islamique, contre lesquels il fallait appliquer la “Guerre globale contre le terrorisme”. Le gouvernement du président Hu Jintao a commencé à faire une claire distinction entre les Ouïgours, potentiellement dangereux et mauvais, et les Huis, présentés comme des musulmans modèles ». Peu après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 a eu lieu l’attaque de la gare de Kunming, capitale de la province méridionale du Yunnan. Six hommes et deux femmes ont attaqué au couteau les personnes présentes dans la gare, en tuant 31 et en blessant 141. Cette attaque, attribuée à des séparatistes ouïgours, avait profondément choqué les responsables chinois. [scald=26701077:sdl_editor_representation] « Dans la foulée de son grand concept du “Rêve chinois”, Xi a donc décidé qu’il fallait “siniser la religion”, ce qui a affecté tant la pratique que la doctrine religieuse », précise Hacer Gonul. Le Parti défend désormais cette sinisation comme étant une arme vitale contre le terrorisme et l’extrémisme, en ciblant particulièrement la population musulmane. La diversité ne fait pas partie du “Rêve chinois” : les Hans sont la référence, le modèle de développement ». Le rôle majeur de la propagande Avec ses panneaux géants montrant les différents groupes ethniques chinois souriants, main dans la main, avec des Hans pour les guider, la propagande joue un rôle politique majeur dans la Chine communiste. « Elle vend l’idée que les différentes ethnies sont toutes membres de la même famille », détaille Vanessa Frangville, professeure en Etudes chinoises à l’ULB. « Pour illustrer l’idée d’une nation composée de différentes entités harmonieusement unies, le Parti a choisi d’utiliser l’image d’un fruit : la grenade. Avec des slogans du type : “Les groupes ethniques doivent se blottir étroitement comme les graines d’une grenade”. Et des monuments représentant une grenade géante fendue ». [scald=26702520:sdl_editor_representation] Au-delà de ces images symboliques, le Parti, qui avait d’abord opté pour une politique visant la fusion naturelle des ethnies dans la nation chinoise, les différents groupes se mélangeant naturellement, a donc décidé d’accélérer cette fusion en l’organisant via différentes politiques. Les mariages interethniques sont ainsi encouragés. Au Tibet par exemple, un couple Han-Tibétain recevra une prime, des aides sociales et aura un accès préférentiel à un logement. [scald=26701073:sdl_editor_representation] « Dans le Xinjiang, où vit la minorité ouïgoure, a aussi été mise en place la politique “Devenir une famille”, ajoute Vanessa Frangville. Des fonctionnaires Han sont “invités” dans les familles ouïgoures pour une journée, une semaine ou plus. Il y a des photos sur WeChat, postées par la Ligue jeunesse du parti communiste du Xinjiang, où l’on voit ces fonctionnaires partager le repas et même le lit avec ces familles ! Officiellement, c’est pour monter Hans et Ouïgours comme frères et sœurs unis dans la famille chinoise. Mais il s’agit aussi d’une intrusion dans la vie privée de ces familles ». Autre axe de cette politique d’assimilation, le projet « beauté ». Les femmes ouïgoures sont invitées à montrer leur beauté. En réalité, un code vestimentaire strict est imposé dans les lieux publics : interdiction du foulard islamique pour les femmes, de la barbe pour les hommes, des t-shirts arborant un drapeau turc. Militarisation du discours Il y a aussi une militarisation du discours officiel sur les minorités et l’islam avec une dérive sécuritaire : multiplication dans les rues de la capitale du Xinjiang, Urumqi, des unités anti-émeutes et des patrouilles de police. Et de grands posters montrent des femmes en costume traditionnel donnant le bras, tout sourire, à des policières. [scald=26701075:sdl_editor_representation] « Mais il y a aussi un autre discours, beaucoup moins public et jamais traduit en anglais, selon lequel la religion est une pathologie », reprend la professeure de l’ULB. « Les Ouïgours seraient malades car trop religieux, ce qui justifierait la répression mise en place à grande échelle, car de larges pans de la société ont besoin d’être soignés. C’est aussi une façon de justifier l’échec des politiques menées jusqu’ici par le parti communiste. Les Ouïgours et d’autres groupes ethniques sont implicitement considérés comme étant sous-développés et pauvres. Les éduquer, c’est leur permettre de sortir de la misère et de l’obscurantisme. Pour les soigner, on les envoie à l’hôpital mais surtout dans les centres de formation, selon l’appellation officielle chinoise, pour les rééduquer. Les Ouïgours parlent, eux, de camps de concentration, je préfère utiliser l’appellation de camps d’assimilation forcée. Mais il y a différents types d’institutions : il y a des centres de jour, des internats dont on peut sortir le week-end mais aussi des camps fermés. Cette politique a été lancée il y a un peu plus de six ans ». Pour les officiels chinois, cette politique est efficace : le nombre d’attaques terroristes menées par des Ouïgours a considérablement diminué… « On pourra juger de son efficacité dans 10 à 15 ans », conclut Vanessa Frangville. Des nombreuses familles ont été séparées, des tas de gens ont disparu. Les Ouïgours exilés ont rapporté des abus physiques et psychologiques orchestrés par l’Etat. La famille est une structure essentielle pour les Ouïgours et la séparation des parents et des enfants a forcément un gros impact psychologique. On ne peut que s’interroger sur l’impact qu’aura cette politique sur les adolescents… » [scald=26701076:sdl_editor_representation]

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